
Sur Instagram, les publicités se multiplient pour faire la promotion de compléments alimentaires ou de boissons contenant des champignons « adaptogènes ». Ces champignons sont présentés comme ayant de nombreuses vertus. Toutefois, si certaines études ont montré des résultats encourageants, les bienfaits réels de ces champignons restent, à ce stade, scientifiquement infondés. Leur efficacité réelle reste donc à prouver en l’absence d’études cliniques convaincantes.
Cordyceps, reishi, lion’s mane, chaga… sur Instagram, les publicités pour ces champignons d’un type un peu particulier se multiplient. Soutenues par un marketing digital bien rodé, de nouvelles sociétés se sont lancées dans la commercialisation de compléments alimentaires à base de ces champignons dits « médicinaux », « adaptogènes » ou « fonctionnels ».
Ces compléments alimentaires s’affichent donc comme des concentrés de « pouvoirs » détenus par ces champignons et seraient donc capables de nous donner plus d’énergie, de booster notre immunité, notre concentration ou notre libido mais aussi de nous aider à lutter contre le stress ou à trouver le sommeil…
Des champignons aux propriétés « exceptionnelles » promus sur les plateformes en ligne
Certains de ces champignons sont utilisés depuis des milliers d’années sous forme d’extraits dans la médecine traditionnelle orientale.
Depuis peu, ils apparaissent en Europe dans le cadre d’un mouvement axé sur la santé et le bien-être. Et cette tendance à la consommation de champignons « fonctionnels » sous forme de compléments alimentaires ou de boissons pour remplacer le café est poussée par des partenariats avec des influenceurs choisis par les marques pour faire la promotion de leurs produits (1, 2).
« Immunité, stress, beauté, digestion, les cas d’usages sont infinis », promet par exemple le créateur d’une marque de compléments alimentaires à base de champignons.
Ici, une internaute explique que le cordyceps permet « l’oxygénation des cellules » ou encore que la crinière de lion, appelé aussi par son nom anglais « lion’s mane », permet la « régénération nerveuse ».
Un business en pleine expansion
En 2023, le marché mondial de ces champignons fonctionnels a été évalué autour des 30 milliards de dollars par des sociétés d’analyse financière (1, 2). Avec une croissance annuelle à deux chiffres, ce même marché pourrait avoir doublé à l’horizon 2032, puisqu’il devrait dépasser les 62 milliards de dollars annuels selon ces mêmes analystes.
Une autre étude évoque même un chiffre dépassant les 83 milliards de dollars annuels en 2033.
Ce n’est donc pas le fruit du hasard si les « maitake », « turkey tail », « agaricus blaze » ou autre « oyster mushroom » et le déjà plus connu « shiitake » s’invitent de plus en plus souvent sur vos réseaux sociaux.

© Captures d’écran Instagram / Plusieurs marques font la promotion sur Instagram de leurs produits à base de champignons.
Les promesses avancées par ces produits sont souvent alléchantes pour un public qui souhaite faire appel à des compléments d’origine naturelle pour améliorer son bien-être.
Françoise Fons, Professeur des Universités et chercheuse à la faculté de pharmacie de Montpellier dans le domaine de la biodiversité végétale et fongique source de molécules actives explique que l’engouement pour certains de ces champignons et leurs vertus vient d’Asie et est ensuite passé par les États-Unis avant de susciter de l’intérêt en Europe ces dernières décénnies par le biais des compléments alimentaires.
Parmi ces champignons aux vertus naturelles, la plupart des publicités et des produits s’articulent essentiellement autour de quatre variétés : le cordyceps, le reishi, le lion’s mane et le chaga.
Bienfaits annoncés, études scientifiques, efficacité réelle : nous avons analysé les quatre champignons phares de cette nouvelle industrie.
Le cordyceps

© Getty Images / Cordyceps militaris en milieu naturel.
Le cordyceps est un genre de champignon dont il existe un grand nombre d’espèces. Deux d’entre elles sont habituellement commercialisées pour leurs vertus pour le corps humain : le « Cordyceps sinensis » et le « Cordyceps militaris« .
L’espèce habituellement commercialisée est le « champignon chenille ». Son nom scientifique est « Ophiocordyceps sinensis« , il est aussi habituellement appelé « Cordyceps sinensis ». Présent sur les hauts plateaux de l’Himalaya, ce champignon entomopathogène parasite les chenilles du genre Thitarodes est aussi appelé « yartsa gunbu » par les locaux. En raison de sa rareté et de sa forte demande, il est devenu l’un des compléments naturels les plus chers au monde. Il est utilisé depuis des siècles dans la médecine traditionnelle chinoise.
Il existe aussi le « Cordyceps militaris » ou « Cordyceps militaire ». Contrairement à son cousin sauvage, « sinensis », le « militaris » peut être cultivé commercialement en utilisant un type spécifique de chenille comme organisme hôte.
Propriétés attribuées au cordyceps : énergie, performances physiques, boost de la libido et antistress
C’est peut-être le plus en vogue pour le moment. Selon les marques qui le commercialisent, le cordyceps « augmente la tonicité » et « booste l’énergie ». « Incroyable pour l’immunité, la libido, pour la performance physique », il aiderait également « à mieux résister au stress ».
Le reishi

© Getty Images / Le champignon reishi dans son milieu naturel.
Le reishi est appelé en français « ganoderme luisant ». C’est un champignon basidiomycète de la famille des ganodermataceae. Son nom scientifique est « Ganoderma lucidum« .
Ce champignon est utilisé dans la médecine traditionnelle asiatique depuis des millénaires. Il aurait à une époque été réservé à l’empereur de Chine pour ses prétendues propriétés de longévité et de renforcement de la santé.
Propriétés attribuées au reishi : longévité, équilibre émotionnel, anti-inflammatoire, antistress, relaxation et sommeil
C’est l’un des plus connus de ces champignons dit « adaptogènes ». Le Ganoderma lucidum attise la curiosité notamment en raison de son surnom de « champignon de l’immortalité ».
Parmi les propriétés qu’on lui attribue, il est vendu comme un champignon « anti-âge » grâce à ses vertus « antioxydantes » mais aussi « utile pour la relaxation, pour le système nerveux », « excellent pour les inflammations, pour l’immunité », « très bon pour le sommeil » et il améliorerait « l’équilibre hormonal ».
Le lion’s mane

© Getty Images
Le lion’s mane est appelé en français « hydne hérisson » ou « champignon crinière de lion ». Son nom scientifique est « Hericium erinaceus« .
C’est un champignon comestible quand il est jeune et qui est cultivé surtout en Chine, depuis les années 1960. Le lion’s mane séché y est utilisé comme remède traditionnel pour soulager les maladies chroniques de l’estomac.
Propriétés attribuées au lion’s mane : amélioration des capacités cérébrales, de la mémoire, de la concentration
Selon les marques qui proposent le lion’s mane comme complément alimentaire sous forme de gélules ou de poudre pour remplacer le café par exemple, le lion’s mane permet une « amélioration des capacités cérébrales ». Il soutiendrait « la concentration, la mémoire et les fonctions cognitives » et favoriserait « la clarté mentale, tout en apaisant le système nerveux ».
Le chaga

© Getty Images / Le champignon chaga à l’état naturel.
Le chaga est appelé en français polypore oblique ou polypore incrusté. Son nom latin est « Inonotus obliquus« .
Il s’agit d’un champignon lignivore parasite, que l’on retrouve principalement sur des bouleaux et plus rarement d’autres feuillus. On le trouve essentiellement au sein des forêts boréales de l’hémisphère nord. Cette espèce est utilisée sous sa forme de chancre, qui est une lésion sur l’écorce ou le bois d’un arbre, et est appelée ainsi : chaga.
Propriétés attribuées au chaga : anti-oxydant, amélioration de l’immunité, de la digestion et de la vitalité
« Le chaga est le super aliment le plus anti-oxydant au monde, idéal pour votre immunité, la digestion et votre vitalité », indique un site en ligne. Un autre décrit le chaga comme « riche en antioxydants, il renforce les défenses immunitaires et aide à lutter contre l’inflammation et la nervosité. Il soutient également l’équilibre digestif et cellulaire ».
Cela veut dire quoi « adaptogène » ?
Une plante dite « adaptogène » est une plante supposée augmenter la capacité du corps à s’adapter aux différents stress, quels que soient ces stress.
Dans le cadre de ses cours Françoise Fons enseigne l’usage de deux plantes dites « adaptogènes » aux futurs pharmaciens : « Ce sont des plantes bien particulières qui sont appelées Ginseng et éleuthérocoque. Elles possèdent des racines très déformées ressemblant au corps humain que l’on utilise pour que les personnes âgées qui sont un petit peu confuses puissent mieux de s’adapter à leur environnement et pour leur redonner de l’énergie. On utilise traditionnellement ces plantes et d’autres plantes dites adaptogènes en cas d’asthénie quel que soit l’âge, souvent en association avec d’autres plantes ou des vitamines même si l’efficacité n’est pas formellement démontrée.« .
La professeure de l’université de Montpellier précise qu’elle n’utiliserait pas le le terme « adaptogène » pour qualifier ces champignons, également appelés « fonctionnels », car ce n’est pas un terme scientifiquement reconnu et qu’il regroupe plusieurs notions variables en fonction des auteurs.
D’ailleurs, d’après l’Agence européenne des médicaments, bien que de nombreuses recherches aient été réalisées depuis plus de 50 ans, l’existence et les effets des plantes adaptogènes n’ont jamais été démontrés, de sorte que l’utilisation de ce terme est interdit dans le cadre du marketing dans l’Union Européenne. « En tant que tel, le terme n’est pas accepté dans la terminologie pharmacologique et clinique couramment utilisée dans l’UE.«
Le terme adaptogène est donc un terme vendeur mais qui ne correspond pas à la médecine fondée sur les faits, les études en la matière étant insuffisantes pour démontrer un quelconque effet.
Sur quoi reposent ces allégations ?
Mais comment ces champignons dit « adaptogènes » fonctionnent-ils ? Quelles molécules contiennent-ils ?
« Les champignons médicinaux plébiscités en Asie – principalement le reishi, le chaga, le cordyceps, l’hydne hérisson (ou crinière de lion, appelé aussi d’après son nom anglais « lion’s mane ») […] contiennent des substances particulières appelées mycopolysaccharides ou bêta-D-glucanes, qui expliqueraient leurs effets bénéfiques » explique le Service Public d’Information en Santé français (SPIS) sur une page dédiée aux cafés, dits « aux champignons ».
Certains de ces champignons contiennent également des polyphénols qui sont des molécules organiques qui ont un effet antioxydant et anti-inflammatoire.
Sur sa page, publiée en mars 2025, le SPIS précisait que « la plupart de ces substances ne sont pas absorbées par l’intestin. Une fois ingérées, elles se retrouvent dans les selles, à l’exception d’une petite fraction qui semble être digérée par les bactéries de la flore intestinale ».
« Dans les médecines traditionnelles, chinoises ou autres, il y a des usages historiques qui sont rapportés. C’est vrai pour les champignons, c’est vrai pour les plantes. Après, ça peut être des effets qui sont très vagues, c’est-à-dire des effets bénéfiques sur la santé, sur la mémoire, sur la longévité. Il n’y a pas de fait scientifique, la plupart du temps, qui étaye ces allégations », affirme de son côté Florence Chapeland-Leclerc, enseignante-chercheuse en botanique et en mycologie à l’Université Paris Cité à l’AFP.
Des études sans preuves suffisantes
Qu’en est-il alors des études avancées par les professionnels du secteur ?
Pour Sylvie Rapior, professeure des universités émérite à l’Université de Montpellier et spécilaiste en mycologie, « on ne peut parler d’efficacité que s’il y a preuve d’efficacité. Et la preuve d’efficacité passe obligatoirement par des tests précliniques et des tests cliniques. Malheureusement, les études menées à ce stade sur les effets de ces champignons sur la santé ont souvent été menées dans des tubes à essai ou sur des animaux, ce qui en limite fortement la transposition à la santé humaine ».
Quant aux essais cliniques menés chez des patients, « ceux-ci sont rares, de petites tailles et d’assez mauvaise qualité en termes de méthodologie ».
Florence Chapeland-Leclerc parle, elle aussi, d’études « très succinctes » et invite à rester « très prudent ». « Il n’y a pas de preuves scientifiques puisque la plupart des études ne sont pas basées sur des essais cliniques. Ce sont des études qui sont faites sur cellules in vitro et donc ça ne présage en rien de l’effet sur l’organisme humain », pointe-t-elle.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a d’ailleurs refusé, au vu des données scientifiques, plusieurs allégations de santé sur ces champignons. Les produits contenant du reishi ne peuvent par exemple pas prétendre « stimuler le corps en phase d’épuisement ». Et les produits contenant du « cordyceps sinensis » ne peuvent pas prétendre « revigorer l’organisme » ou « augmenter l’endurance ».
Il y a cependant bien des études prometteuses sur ces champignons.
- Comme celle sur [l’utilisation du Lion’s Mane pour combattre la dépression], publiée en 2025. Mais ses conclusions indiquent cependant clairement que si « les études précliniques et cliniques confirment ses effets antidépresseurs (ndlr : du lion’s mane). \[…\] des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer les dosages optimaux, clarifier les mécanismes d’action sous-jacents et évaluer les interactions médicamenteuses potentielles ».
- Autre exemple, l’effet de stimulation du système immunitaire grâce à une boisson à base de « cordyceps militaris » a été [étudié sur 40 sujets en Thaïlande]. Malgré des résultats « potentiellement » bénéfiques, le nombre limité de participants ne permet pas d’en tirer des conclusions cliniques et les conclusions de l’étude précise que les effets détaillés « doivent faire l’objet d’un examen plus approfondi ».
- C’est aussi le cas d’une meta analyse sur l’utilisation du « cordyceps sinensis » comme traitement parallèle du cancer du poumon. Malgré des éléments qui suscitent l’espoir, celui-ci « doit faire l’objet d’une enquête plus approfondie à la lumière de nouveaux éléments de preuve.
Pourtant, à ce stade, aucun des quatre champignons et les molécules qui les composent ne se trouvent dans les médicaments qui sont commercialisés aujourd’hui en France ou en Belgique, par exemple. « Ce n’est pas exclu dans le futur mais cela devra passer par des développements importants dans le secteur de l’industrie pharmaceutique et des tests cliniques d’ampleur avec preuve d’efficacité ainsi que des autorisations officielles avant d’être mis sur le marché », précise Sylvie Rapior.
Bénéfices incertains mais risques bien réels
Si les bénéfices sont incertains, les risques de consommer ces produits sont eux bien réels.
Françoise Fons, pointe deux principaux dangers. « Il y a d’abord le risque d’interaction médicamenteuse, car ces compléments alimentaires contiennent bien des molécules actives. Il faut penser à signaler l’utilisation de ces compléments et en parler à son médecin, ce que les gens en général ne font pas, parce qu’ils prennent souvent ces compléments de façon spontanée ».
« Il y a aussi les risques de ne pas avoir réellement dans le produit qu’on achète ce qui est indiqué sur l’étiquette. C’est-à-dire qu’en fonction de qui revend, notamment à travers des fournisseurs sur internet, les voies d’approvisionnement, etc. les risques sont d’avoir des produits frelatés ou sans contrôle qualité. Il vaut mieux se fournir dans des pharmacies qui ont pignon sur rue au niveau complément alimentaire et qui s’approvisionnent via des laboratoires pharmaceutiques et grossistes sérieux », indique Mme Fons.
Sylvie Rapior attire également l’attention sur les potentiels effets secondaires de certains de ces champignons.
Le site de référence sur les médicaments Vidal détaille certains de ces effets secondaires potentiels : le reishi et le chaga peuvent par exemple augmenter l’effet des anticoagulants et exposer aux risques d’hémorragie
« Certaines personnes consommant ces champignons ont signalé des diarrhées, des saignements de nez ou des démangeaisons de type allergique, ainsi qu’une sécheresse de la bouche, de la gorge ou du nez, réversibles à l’arrêt de leur consommation », précise également le SPIS.
Des appels à la vigilance des autorités de la santé
Pour rappel, contrairement aux médicaments, les compléments alimentaires ne sont pas soumis à une autorisation de mise sur le marché. Aucune étude d’efficacité ou d’innocuité n’est requise avant leur commercialisation.
Sciensano rappelle par ailleurs que les compléments alimentaires « ne sont pas des médicaments et ne sont pas destinés à prévenir ni à traiter des maladies. Un médicament doit suivre des exigences différentes et être autorisé par l’Agence des Médicaments« .
Enfin, le service de Santé publique belge appelle à la vigilance des consommateurs lorsqu’ils se procurent des compléments alimentaires : « Soyez particulièrement vigilants ors de l’achat de produits sur internet : certains produits peuvent être adultérés et contenir des substances qui peuvent mettre votre santé en danger, surtout s’ils ne respectent pas les normes européennes. »