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CNews n’a pas diffusé les images d’Ukrainiens “attachés et fouettés” par le “comité Azov”

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Author(s): Grégoire Ryckmans et Hugo Payen, RTBF

Des images violentes de civils attachés à des poteaux et torturés circulent sur les réseaux sociaux et la messagerie Telegram. Ces vidéos ont été évoquées par Pascal Praud dans son émission diffusée sur Cnews. Cependant, contrairement à ce que laisse penser un montage vidéo, la chaine française n’a pas diffusé les images en question. Par ailleurs, au regard de plusieurs analyses indépendantes de ces vidéos, les violences montrées ne sont pas liées au régiment Azoz ni a des propos prorusses. Il s’agirait de “maraudeurs” ou “pilleurs” qui seraient punis par la population locale.

Sur Twitter, VKontact, dans des “stories” Instagram ou sur la messagerie cryptée Telegram, un montage vidéo reprenant des extraits de personnes attachées à des poteaux et frappées par d’autres civils sont mélangées avec un passage d’une séquence de l’émission “L’heure de pros”, diffusée sur la chaine française Cnews et animée par le journaliste Pascal Praud.

Le montage vidéo qui a été vu des dizaines de milliers de fois suggère que, lors de l’émission de ce lundi 21 mars 2022, le présentateur emblématique de Cnews a diffusé ces images, décrites comme étant celle de civils ukrainiens, attachés à des poteaux et malmenés.

La vidéo diffusée sur Twittter vs l’extrait réellement diffusé sur Cnews

L’auteur du Tweet se réjouit que “La vérité pointe le bout de son nez sur la réalité en Ukraine sur CNEWS“.

Cependant, si Pascal Praud a bien évoqué ces images violentes de personnes torturées, lors d’un débat qui portait sur la guerre en Ukraine, elles n’ont pas été diffusées par la chaine.

Dans le passage de l’émission en question, Pascal Praud évoque bien ces images de personnes attachées à un poteau et malmenées (de 45’20 à 50’) et cite le nom du régiment Azov qui serait derrière ces violences : “J’ai vu ce week-end, sur tous les réseaux sociaux, des Ukrainiens attachés à des pylônes et fouettés par des membres du comité (sic) Azov.

Mais le montage diffusé sur les réseaux sociaux n’est pas le reflet de ce qui a été diffusé sur l’antenne de la chaine d’info française. Les images des violences diffusées sur les réseaux sociaux ont été superposées sur l’extrait reprenant l’échange sur le plateau de “L’heure des pros”, comme vous pouvez le constater ci-dessous.

NDLR : Attention, certaines images sont violentes et peuvent heurter votre sensibilité.

Le passage original, sans l’ajout des images de violences, est disponible sur le site officiel de CNews mais aussi sur les plateformes vidéo YouTube ou Dailymotion.

Dans ce passage original, Pascal Praud indique clairement, en évoquant des images de civils humiliés : “On ne peut pas les passer, ces images“.

L’extrait monté avec les images de CNews circule sur Twitter avec ces images non sourcées. Le profil de la personne qui relaye cette vidéo contient la mention “#IStandWithPutin” (Je soutiens Poutine).

Une information reprise par plusieurs sites

Parallèlement à ces publications sur les réseaux sociaux, un site appelé le média en 4-4-2 et qui se présente comme diffusant une “information alternative, a publié un article sur le sujet, titré : “Pascal Praud dénonce les tortures du bataillon nazi Azov contre les Ukrainiens attachés, dénudés et fouettés”.

Le fondateur de ce média, Marcel D., a partagé l’article sur Twitter. Son tweet a été repartagé plus de 600 fois. L’article a également été partagé par plusieurs groupes sur Facebook. Globalement, l’outil Crowdtangle indique que cet article a pu toucher plus de 400.000 personnes.

Selon Conspiracy Watch, l’observatoire du complotisme, ce site (le média en 4-4-2) a été fondé par Marcel D, un “youtubeur complotiste soralien” qui “relaie de nombreuses thèses conspirationnistes“.

L’article du “média en 4-4-2”, qui a été repris par d’autres sites en ligne francophone, intègre une séquence vidéo reprenant les images de violences et celles du plateau de CNews. Dans celle-ci, les propos de Pascal Praud indiquant qu’ils n’allaient pas diffuser les images en question est, cette fois, bien présent.

Que sait-on de ces vidéos de personnes humiliées?

Ces vidéos montrent des hommes, des femmes et parfois des enfants attachés à des poteaux. Dans celles-ci les personnes sont parfois dénudées et parfois victimes de coups.

Pascal Praud les décrit comme ceci : “Vous voyez des Ukrainiens attachés à des pylônes et fouettées par des membres de comité (sic) Azov. Manifestement parce que ces Ukrainiens ne veulent pas aller au combat”.

Mais qu’en est-il réellement.

Nous n’avons pas pu retrouver l’origine de toutes les vidéos montrant les violences. Cependant, nous avons pu déterminer que certaines d’entre elles ont été diffusées début mars, via des canaux Telegram et qu’elles proviennent de plusieurs villes dont Kiev.

Selon plusieurs sources et plusieurs médias, dont Newsweek, des scènes de violences similaires qui sont filmées et diffusées montrent des personnes qui se seraient rendues coupables de “pillages”.

En effet, dans certains de ces extraits filmés, des personnes portent des pancartes sur leur dos. Sur celles-ci, on retrouve le mot “мародере” (12, 3). En ukrainien, ce mot signifie “maraudeur”, comme l’indique l’outil de traduction automatique de Google.

La maraudage, était, autrefois, selon le Larousse un “vol de denrées commis par des soldats en campagne“. Cette définition recoupe en partie la notion de “pillage” présentée par plusieurs sources.

Dans un autre extrait, le mot “voleur”, “вор” en ukrainien est écrit sur la personne attachée.

Ces photos et vidéos semblent donc bien tournées en Ukraine. Mais plutôt que le fait du régiment Azov, ce bataillon militaire influencé par l’idéologie néonazie, ces images montreraient des pilleurs malmenés par d’autres civils ukrainiens suite à des vols ou des pillages.

Des victimes de représailles après avoir tenu des discours prorusses?

Nos confrères de “vrai ou fake”, de France Info se sont également intéressés à des vidéos similaires. Selon certains internautes, les personnes attachées à des poteaux sont malmenées en raison de leurs sympathies prorusses.

Dans leur article, les journalistes de France Info qui ont mené l’enquête indiquent que les personnes ligotées ne sont pas accusées d’être prorusses mais bien d’être des pilleurs, comme nous l’avions observé.

Les équipes de France Télévisions ont par ailleurs géolocalisé certaines de ces images et ont pu identifier qu’elles ont été tournées à Irpin, en Ukraine. “La vidéo est apparue sur les réseaux sociaux le 9 mars, mais la télévision espagnole l’a diffusée une semaine plus tôt. Le journaliste qui a réalisé le reportage précise que les pilleurs présumés sont restés dans la même position entre une et deux heures, avant d’être détachés”, indique l’article.

Cependant, toutes les personnes attachées ne sont toutefois pas accusées d’être des pilleurs. Sur d’autres images, un commerçant de Dubno a également été humilié en public car il aurait, selon un média local, vendu de l’alcool, ce que la loi martiale interdit.

Nos confrère de Libération ont également enquêté sur plusieurs vidéos similaires. Les traductions de certaines de ces vidéos réalisées par CheckNews permettent d’établir que ces séquences se déroulent dans un contexte de conflit autour d’accusations de vol (sans qu’ils aient pu être en mesure de déteminer si elles sont fondées ou non).

Le régiment Azov, à nouveau invoqué

L’utilisation du régiment Azov, ce groupe militaire ukrainien d’ultra-droite influencé par l’idéologie néonazie, pour expliquer des faits graves de violences, voire de tortures, n’est pas récent.

Ce bataillon militaire est régulièrement utilisé par l’argumentaire russe pour justifier son “opération militaire” en Ukraine et sa “dénazification”.

Cependant, rien ne permet d’établir que le régiment soit derrière les vidéos violentes qui circulent sur les réseaux sociaux. Selon les différentes analyses, il ne s’agit donc pas de personnes qui refuseraient de combattre ou de personnes ayant tenu des propos prorusses, mais bien de maraudeurs ou de pillards.

Attachées sur des poteaux, parfois dénudées, frappées à coups de ceinture et portant parfois des pancartes, ces personnes sont vraisemblablement identifiées et humiliées par la population locale. Elle punit ainsi à sa façon des citoyens qu’elle estime coupable de profiter de la guerre pour commettre des vols et des pillages.