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Des ovnis filmés depuis l’ISS ? Plutôt des navires de pêche au large de l’Argentine

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Author(s): Julien NGUYEN DANG, Sami ACEF, AFP France

Des points lumineux dans l’obscurité… Signes d’une escouade d’objets volants non identifiés filmée par la Station spatiale internationale ? Plusieurs publications virales affirment en détenir la preuve, allant même jusqu’à parler de signe de vie extraterrestre, vidéo à l’appui. Ces images, diffusées début mai, proviennent d’une caméra en orbite pointée vers la Terre. Elles n’ont pas été truquées, mais la Nasa explique qu’il s’agit très certainement de bateaux de pêche au large de l’Argentine. Une hypothèse corroborée par les investigations de l’AFP.

Des objets volants non-identifiés auraient-ils été filmés depuis la Station spatiale internationale (ISS) début mai ? C’est ce qu’affirment des internautes relayant une vidéo partagée sur Facebook plus de 2.200 fois depuis le 31 mai.

Le 6 mai […] une grande formation d’ovnis en forme de disque est apparue et s’est déplacée dans le champ visuel de la caméra avant de disparaître“, avance cette page, dédiée aux “recherches ufologiques.

Alors que la caméra survole une zone plongée dans l’obscurité, un amas d’une trentaine de points lumineux, immobiles les uns par rapport aux autres, semble passer en ligne droite devant la caméra, durant 32 secondes.

L’auteur de la publication va alors jusqu’à avancer que “selon les informations reçues (…) ces ovnis seraient issus d’organisations extraterrestres coopérantes”.

Plusieurs vidéos ou publications virales similaires ont été partagées sur Facebook (1, 2, 3) et YouTube (1, 2). Elles sont également circulées en anglais.

Des images bien prises par l’ISS

Avant-poste et laboratoire orbital auquel participent seize pays, l’ISS a été mis en orbite en 1998 et effectue depuis un tour complet de la planète en un peu plus de 90 minutes, à la vitesse de 28.000 km/h, et à une altitude d’environ 400 km.

Pour appuyer leurs dires, les publications virales partagent le lien d’une vidéo de trois heures, hébergée par la société IBM. Ce site diffuse en direct des images de la Terre prises par une caméra haute définition fixée à la Station spatiale internationale, avant de les rendre accessibles, durant un mois seulement, par segments de trois heures.

Au sein de la vidéo partagée par les internautes, à laquelle l’AFP a pu accéder avant sa suppression automatique de la plateforme, l’ISS effectue donc plusieurs tours de la planète, alternant entre le jour et la nuit, avec sa caméra toujours pointée vers la surface du globe.

Et au bout d’exactement une heure et douze minutes, les 34 points lumineux apparaissent. Ces images ont donc bien été filmées depuis l’ISS. Reste à savoir où et quand, ainsi que l’origine de ces points lumineux.

Où et quand ?

Nous avons rencontré un premier problème. La plateforme qui héberge ces vidéos de l’ISS n’indique pas immédiatement la date et l’heure exacte de publication de la vidéo. Elle se contente d’indiquer qu’elles ont été prises “hier”, “il y a quatre heures”, il y a 4 semaines”, etc…Et c’est le cas pour la vidéo qui nous intéresse. Les vidéos ne restent qu’un mois en ligne, mais celle reprise par les publications qui nous intéressent est toujours visible dans cette archive du 6 mai 2022, avec pour seule indication de date “postée il y a 13 heures“.

Capture d’écran de la plateforme IBM prise le 07/06/2022

Fort heureusement, la réponse est comme souvent cachée dans le code source de la page. Pas besoin d’être un expert : sur Google Chrome par exemple il suffit de faire un clic-droit sur la page puis de cliquer sur “inspecter”.

Capture d’écran de la plateforme IBM prise le 07/06/2022

On ouvre alors un onglet sur la droite du navigateur, qui nous présente la même page web, mais sous forme de lignes de code. Et à l’endroit qui correspond au “il y a 13 heures” sur la page, on voit apparaître une série de chiffres. Il s’agit d’un tampon “Unix” qui correspond à une date et une heure précises.

Il suffit de passer ce code dans un convertisseur en ligne, gratuit et accessible à tous, et l’on obtient la date et l’heure de publication de la vidéo: 1651785575000 = le jeudi 5 mai à 23b9min35 secondes (GMT+2).

Capture d’écran du site epochconverter.com

C’est une information cruciale. Sur la vidéo, on voit apparaître les points lumineux au bout d’une heure et douze minutes. Si la vidéo a été postée le 5 mai à 23b9 et 35 secondes (GMT+2), cela voudrait dire que la station spatiale est passée au-dessus de ces points lumineux une heure et douze minutes plus tard, le 6 mai à 0b1 et 35 secondes (GMT+2).

Est-ce vraiment le cas ?

Grâce au site gratuit ISS Tracker, on peut déterminer que la station était le le 6 mai à 00b1 (GMT+2) quelque part au-dessus de l’Amérique du sud, survolant une zone au large de l’Argentine. Et c’est donc là que devraient donc se trouver nos points lumineux.

Capture d’écran du site ISS Tracker, prise le 07/06/2022

On veut s’assurer que cette heure et ce point sur la trajectoire de l’ISS correspondent parfaitement aux points lumineux que l’on voit au bout d’1b2 dans la vidéo. Problème : il fait complètement nuit sur cette séquence, et nous n’avons aucun indice visuel.

Nous avons donc “décalé” le problème, et sélectionné une séquence 35 minutes plus tard dans la vidéo, de jour, et sur laquelle on peut identifier des éléments au sol. Nous avons repéré une zone sombre très caractéristique. Si notre piste est la bonne on doit pouvoir l’observer, sur le chemin de l’ISS, autour de 1b6 (GMT+2), le 6 juin 2022, 35 minutes après l’heure où la station est censée survoler la côte argentine.

C’est bien le cas, on voit très clairement la même tâche. Il s’agit d’une zone marécageuse autour du lac chinois d’Ulansuhai Nur.

Capture d’écran de la vidéo de l’ISS

En remontant le fil, on peut donc en conclure que les points lumineux ont bien été filmés, alors que l’ISS se trouvait au-dessus d’un point au large de l’Argentine.

Capture d’écran de la vidéo de l’ISS

La NASA penche pour des navires de pêche

Contacté par l’AFP, le NASA Earth Observatory, le service de l’agence spatiale américaine spécialisé dans l’étude des données sur le climat et l’étude des images satellites, a fourni une explication quant à la source de ces points lumineux.

“Ce sont presque assurément des bateaux de pêche. Ils pêchent souvent en formation comme ce qui apparaît dans la vidéo”, explique la Nasa. Selon l’agence spatiale, ces navires “pêchent de nuit parce que leurs lumières permettent d’attirer les poissons près des bateaux”.

( AFP / MIKE NELSON)

Le Nasa Earth Observatory a d’ailleurs consacré plusieurs articles à ce phénomène, durant lequel des embarcations de pêcheurs sont visibles depuis l’espace (1, 2, 3).

L’un d’entre eux, publié en octobre 2013, se penche d’ailleurs sur les pêcheurs de calmar qui s’aventurent de nuit à plus de 200 km de la côte argentine : la Nasa y écrit que ces bateaux “se regroupent au large le long des lignes invisibles”que sont la limite sous-marine du plateau continental, le courant des Malouines et les frontières des zones économiques exclusives de l’Argentine et des îles Malouines.

“Les pêcheurs d’Amérique du Sud (…) éclairent l’océan avec des puissantes lampes qui attirent le plancton et les poissons dont se nourrissent les calamars. Les calmars suivent leurs proies vers la surface, où ils sont plus faciles à capturer pour les pêcheurs grâce à des lignes de jigging, explique la Nasa.

L’agence spatiale explique de plus que ces bateaux peuvent disposer de “plus d’une centaine”de ces projecteurs, de quoi générer “jusqu’à 300 kilowatts de lumière par bateau”.

Une hypothèse appuyée par les données de Vessel Finder et de Global Fishing Watch

Des bateaux étaient-ils présents au soir du 5 mai au large de l’Argentine ? Pour le savoir, l’AFP a sollicité le concours de la plateforme de surveillance maritime Vessel Finder.

Ce site internet recueille les données du système d’identification automatique (AIS ou SIA) des navires grâce à un réseau “de milliers de stations terrestres et de satellites”. Grâce à ce système, les navires signalent régulièrement leur position GPS, mais aussi leur vitesse, leur cap ou encore la nature de leur cargaison. Bien qu’obligatoire pour de nombreuses catégories de navires, le système AIS n’est pas utilisé par toutes les embarcations en raison d’un “manque de régulation”, explique l’organisation Global Fishing Watch.

Les données fournies par Vessel Finder confortent toutefois les explications de la Nasa : le 6 mai vers 00b0 (GMT+2), des données GPS remontées durant les minutes précédentes montre la présence d’une flotte de bateaux de pêche sous la trajectoire de la Station spatiale internationale.

Capture d’écran ISS Tracker effectuée le 8 juin 2022
Capture d’écran Vessel Finder effectuée le 7 juin 2022

La carte des zones de pêche de Global Fishing Watch prouve également la présence de pêcheurs au large de la ville argentine de Mar del Plata. Dans la nuit du 5 au 6 mai, les données de la plateforme – qui se fondent notamment sur le système AIS – font bien état d’un effort de pêche substantiel dans la zone filmée depuis l’ISS.

Capture d’écran Global Fishing Watch effectuée le 8 juin 2022

Pas de preuve de vie extraterrestre

Contactée par l’AFP, la Nasa a affirmé qu’“aucun ‘ovni’ au sens populaire du terme n’a été vu depuis la Station spatiale internationale. Des réflexions sur les hublots de la station, sur la structure de [la station] elle-même ou des sources de lumières sur Terre apparaissent régulièrement comme des artefacts dans les photos et les vidéos prises dans ce laboratoire orbital.”

 

L’astronaute de l’Agence spatiale européenne Thomas Pesquet effectue une sortie extravéhiculaire et vérifie des câbles de la Station spatiale internationale le 16 juin 2021  (AFP PHOTO / NASA TV/ HANDOUT)

 

Le 26 juin 2021, le renseignement américain avait affirmé dans un rapport très attendu qu’il n’existait pas de preuves d’existence des extraterrestres, tout en reconnaissant que des dizaines de phénomènes constatés par des pilotes militaires ne pouvaient pas être expliqués.

Une équipe internationale de chercheurs menée par un astronome de l’université américaine Harvard a également annoncé en juillet 2021 le lancement d’une initiative visant à rechercher des preuves de technologies extra-terrestres, intitulée “Projet Galilée”, et qui prévoit la mise en place d’un réseau mondial de télescopes de taille moyenne, de caméras, d’appareils photos et d’ordinateurs pour enquêter sur les objets volants non-identifiés.

En France, les investigations autour des phénomènes aérospatiaux non identifiés reviennent au Geipan, un groupe d’investigation sur les phénomènes non identifiés adossé au Cnes – l’agence spatiale française -, qui recueille minutieusement depuis plus de 40 ans des témoignages pour tenter d’y apporter une explication rationnelle.

En moyenne, sur les 600 à 800 signalements reçus chaque année, environ 200 donnent lieu à une enquête – souvent à distance, parfois sur le terrain. “On recherche des rapprochements avec des phénomènes connus, en fonction de l’angle de vue, de la position géographique, des dates, des horaires…”, expliquait en janvier 2021 à l’AFP Roger Baldacchino, ancien responsable du Geipan. A l’aide de recoupements radars, météorologiques ou astronomiques, le Geipan finit généralement par trouver une explication, dont il publie les résultats sur son site.

Derrière ces phénomènes se cachent plus prosaïquement des satellites, des débris de fusée, des lasers de discothèques, des lanternes thaïlandaises… Seuls 3,3% des cas restent non élucidés.

 

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.32C26VA.