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Fact Check: Le Luxembourg est-il un “profiteur” du budget européen?

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Author(s): RTL Lëtzebuerg

© RTL

C’est une vieille critique: le riche Luxembourg recevrait énormément d’argent du budget européen, bien plus qu’il n’y contribue. Bref, il serait un “gros profiteur”. Si au premier abord les chiffres semblent le confirmer, dans la réalité cette manne européenne ne tombe pas forcément dans la poche du Grand-Duché.

Le Luxembourg est un pays riche. Immensément riche même, si on considère plusieurs indicateurs: champion du monde en terme de PIB par habitant (131.300 dollars), champion d’Europe au niveau du pouvoir d’achat, 7% des résidents sont (au minimum) millionnaires, et les finances solides du pays sont systématiquement gratifiées d’un triple A par les agences de notation.

Dans ce contexte, on imagine que le riche Grand-Duché n’a pas besoin d’un coup de pouce de l’Union Européenne pour réaliser ses projets.

Pourtant, chaque année, l’argent européen coule à flot en direction du Luxembourg, ce qui fait grincer des dents et alimente l’idée que le Luxembourg serait l’un des plus gros profiteurs du budget européen. Alors que la crise impose de se serrer la ceinture, pourquoi l’Europe continuerait-elle à soutenir des projets dans des pays qui pourraient largement les financer eux-mêmes?

Pour savoir si cette critique est justifiée, regardons déjà les derniers chiffres communiqués par la Commission Européenne.

En 2020, le Luxembourg a contribué à hauteur de 407,4 millions d’euros au budget européen.
La même année, le Luxembourg a reçu… plus de 2,4 milliards d’euros de l’UE, décomposés comme suit:

  • 1,696 milliard d’euros pour les dépenses administratives
  • 614,7 millions d’euros pour la croissance économique et l’inclusion
  • 68,7 millions d’euros pour la croissance durable
  • 65,2 millions d’euros pour la sécurité et la citoyenneté

Soit un “bénéfice” de près de 2 milliards d’euros. Des chiffres impressionnants, d’autant que les versements européens grossissent d’année en année, comme l’illustre ce graphique:

RTL Le montant attribué chaque année par l’UE au Luxembourg ne cesse d’augmenter. / © Commission européenne

LES “GAGNANTS” ET LES “PERDANTS”

Bref, si on se base uniquement sur ces chiffres, on pourrait considérer que le Luxembourg appartient au camp des “profiteurs” du budget européen. Car comme le rappelle le site “Toute l’Europe”:

  • Les pays comme l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark ou encore l’Autriche sont historiquement des “contributeurs nets” car ils donnent plus qu’ils ne reçoivent de l’UE
  • À l’inverse, plusieurs pays de l’Est et du Sud (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Roumanie, Grèce…) sont eux des “bénéficiaires nets” puisqu’ils reçoivent davantage qu’ils ne donnent à l’UE.

Comme on le voit sur la carte ci-dessus, le Luxembourg serait donc un “bénéficiaire net”. Oui mais voilà: “Ce type de calcul purement comptable comporte de nombreuses limites” avertit également “Toute l’Europe”.

AU BÉNÉFICE SURTOUT… DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES!

Si ce type de calcul est trompeur, c’est d’abord parce qu’il ne tient pas compte de la situation particulière de certains pays… comme le Luxembourg et la Belgique.

Dans ces deux pays en effet, le fonctionnement des administrations européennes sur leur territoire capte la majeure partie des versements européens. Ainsi, sur les 2,4 milliards versés par l’UE au Luxembourg en 2020, pas moins de 1,696 milliards (les fameuses “dépenses administratives” mentionnées plus haut) servent à financer des institutions européennes installées au Grand-Duché, comme la Cour de Justice de l’UE, la Cour des Comptes européenne, le Centre de traduction, etc.

Comme nous l’explique Claire Joawn, attachée de presse pour le budget et l’administration à la Commission Européenne, “L’impact de l’administration sur le budget de l’UE au Luxembourg est en effet important car le Luxembourg est l’un des deux sièges principaux des institutions de l’UE, accueillant une part importante du personnel de la Commission – en particulier dans le domaine des finances et de l’informatique – et de nombreuses autres institutions.

C’est pourquoi la Commission Européenne a choisi un autre mode de calcul, qui exclut en particulier les dépenses administratives et les droits de douanes*. Et là, soudain, le Luxembourg change de camp, comme l’illustre cette carte (pour la période 2016-2018):

L’exclusion des dépenses administratives modifie substantiellement le solde net des États qui accueillent les institutions européennes, au premier rang desquels la Belgique et le Luxembourg: ce faisant, ces États apparaissent comme des contributeurs nets au budget de l’Union” confirme ainsi Stéphane Saurel dans son ouvrage “Le budget de l’Union européenne“.

Nous avons également demandé confirmation à Max Dörner, attaché au secrétariat général du ministère des Finances au Luxembourg: “Oui, le Luxembourg est un contributeur net au budget de l’Union Européenne. Il y a des fluctuations selon les années, mais la tendance systémique montre plutôt que la contribution du Luxembourg est plus importante que les dépenses opérationnelles du fond de l’UE sur le territoire” approuve-t-il.

Il existe aussi une autre méthode de calcul qui présente un résultat non plus en milliards d’euros mais en % du revenu national brut. Et là encore, le Luxembourg devient (en 2018) un contributeur net:

Notons enfin qu’il faut aussi prendre en compte les éventuelles régularisations. En février 2022 par exemple, le Luxembourg a dû reverser 247,7 millions d’euros au budget de l’UE pour la période 2010-2020, “la bonne performance de l’économie luxembourgeoise au cours de la dernière décennie” ayant justifié une hausse de sa contribution.

Bref, à la lumière de ces nouveaux calculs, le Luxembourg peut donc difficilement être accusé de se “goinfrer aux mamelles du budget communautaire.

CES AVANTAGES QU’ON NE PEUT PAS CHIFFRER

Une autre raison de ne pas s’arrêter à ces calculs sur les “contributeurs”  et les  “bénéficiaires”, c’est que “ces derniers créaient l’impression faussée que le budget de l’UE consistait uniquement à donner ou recevoir, alors que ce n’était pas le cas” nuance Claire Joawn.

Dans l’ensemble, le budget de l’UE ne peut et ne doit pas être réduit à un simple exercice comptable. Les avantages de l’adhésion à l’UE dépassent largement le montant des contributions au budget de l’UE. Tous les États membres bénéficient d’une participation au marché unique, d’une approche commune face aux défis communs que sont la migration, le terrorisme et le changement climatique, et de gains concrets tels que de meilleures infrastructures de transport, des services publics modernisés et numérisés et des traitements médicaux de pointe” énumère-t-elle.

Et pour revenir aux institutions européennes, leur présence sur le sol luxembourgeois présente aussi un avantage indéniable. Comme le rappelle la Commission européenne, le Luxembourg “profite indirectement et de manière significative des dépenses administratives de l’UE“. Notamment parce que “environ 13.000 fonctionnaires européens travaillent à Luxembourg et contribuent de manière significative à l’économie nationale et locale du Luxembourg et de sa Grande Région”.

Reste à savoir ce que deviennent, concrètement, les millions d’euros versés par le budget européen au Luxembourg.

QUE DEVIENNENT LES MILLIONS D’EUROS VERSÉS PAR L’UE AU LUXEMBOURG?

On l’a vu, au Luxembourg, la majorité du financement européen fait tourner les rouages des administrations européennes installées dans le pays.

Quant au reste de ce financement, disons-le franchement: difficile de savoir ce qu’il devient. La complexité de ces échanges financiers fait que, pour le grand public, il n’est pas aisé de savoir concrètement où vont ces millions d’euros. Nous n’avons pas trouvé, par exemple, de site web ou de rapport qui détaillerait, au centime près et projet après projet, le devenir de ce budget européen au Grand-Duché.

La Commission Européenne explique néanmoins que l’autre part importante du financement de l’UE au Luxembourg correspond au soutien à la croissance et à l’emploi. Le budget de l’UE apporte ainsi “un soutien financier aux étudiants, aux scientifiques, aux agriculteurs, aux ONG, aux PME, aux communes et à de nombreux autres bénéficiaires du Luxembourg“.

RTL © Commission Européenne

Des millions d’euros qui viennent subventionner des projets comme l’agrandissement du réseau de bornes de recharges pour les véhicules électriques (voir illustration ci-dessus), des solutions de télémédecine pour le suivi médical, un “Naturpakt” avec les communes pour favoriser la préservation de la biodiversité, le soutien de l’entreprise aérospatiale OHB LuxSpace, ou encore la production d’énergie solaire sur le nouveau site Neischmelz à Dudelange…

Hélas, une fois encore, pas sûr que les citoyens soient au courant de ce coup de pouce européen, même s’il améliore leur vie au quotidien.

* Comme l’écrit Stéphane Saurel dans son ouvrage “Le budget de l’Union européenne”, “Les ressources propres traditionnelles sont prises en compte dans la contribution de chaque État membre alors même qu’elles ne sont pas représentatives d’un véritable effort contributif des États. Ceci conduit à un gonflement artificiel de la charge qui pèse sur les États dotés d’importantes installations portuaires (principalement les Pays-Bas et la Belgique) qui sont, à ce titre, collecteurs de droits de douane pour le compte de l’Union européenne”.

>À lire sur ce sujet: D’où vient le budget de l’Union européenne ? Comment est-il dépensé ?

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Ce fact-check a été également publié par http://5minutes.rtl.lu/actu/fact-check/a/1943856.html.