La fréquence de la musique à 440 Hz a-t-elle une influence négative sur les humains, a contrario du 432 Hz ?

Une publication sur Instagram, mise en ligne le 21 août 2024, met en scène une jeune fille qui interroge l’assistant vocal Alexa en anglais. Elle lui pose la question : “Alexa, pourquoi a-t-on changé la fréquence de 432 à 440 Hz ?”.

Elle poursuit : “Est-ce-que les Rockefeller ont fondé les standards des fréquences musicales ?”. En réponse, une voix synthétique répond : “Oui, la fondation Rockefeller a joué un rôle significatif dans la standardisation des fréquences musicales. En 1939, la fondation a financé une conférence sur l’éducation musicale en Europe lors de laquelle la recommandation a été d’accorder la musique à 440 Hz. Cette fréquence est devenue la base de l’internationalisation de la musique et est toujours largement utilisée aujourd’hui”.

La vidéo a été vue plus de 545.000 fois depuis sa mise en ligne et a engendré plus de 13.800 “J’aime”.

Sur TikTok, des dizaines de vidéos dans plusieurs langues font également le lien entre la fondation Rockefeller, du nom de cette célèbre famille d’industriels, de banquiers et d’hommes politiques étasuniens, et la fréquence musicale “440”.

Celle-ci indique : “En 1953, un accord mondial a été conclu, basé sur l’idée de la fondation Rockefeller, pour changer la fréquence de la musique. Ils ont changé de sa résonance harmonique naturelle à 432hz à l’actuelle qui supprime la pleine conscience de 440hz”.

Cette influence des Rockefeller, dans le cadre de cette standardisation de la musique est également avancée dans d’autres vidéos en ligne (comme sur X) qui affirment que ce changement de “la résonnance harmonique naturelle à 432hz pour l’actuelle fréquence à 440hz qui supprime la conscience”, a été poussé par la puissante famille.

D’après d’autres publications sur X (1, 2, 3), cette fréquence “est associée à une plus grande agressivité, de l’agitation, de la détresse émotionnelle et à l’hystérie collective”.

Ce 440 Hz “imposé” par la fondation Rockefeller transforme aussi la musique en “arme de guerre” amenant à un “contrôle du culte musical” qui rend les gens dociles comme un “troupeau de moutons” mais également “agressifs, psychologiquement agités, les prédisposant à toutes sortes de maladies, profitant financièrement aux agents et compagnies tenant le monopole de l’industrie musicale”.

D’autres publications en ligne estiment que cette fréquence de référence à 440 Hz “a un impact sur nos humeurs, jusqu’à nos prises de décision” et que cette standardisation est à l’origine initiée par des nazis, notamment par Joseh Goebbels, le ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande du Reich entre 1933 et 1945.

Cette théorie, relayée notamment par un Tiktokeur qui se présente comme “beatmaker et ingénieur du son en 432hz”, suppose que “les nazis ont découvert que la fréquence 440 Hz a une influence sur notre cerveau reptilien” et que l’utilisation de ce standard musical est “une technique intéressante pour manipuler facilement notre cerveau”.

D’autres TitTokeurs, comme ici, citent le nom de Joseph Goebbels. Ce dernier aurait utilisé la fréquence à 440 Hz “pour influencer les émotions et les pensées des gens, les rendant ainsi plus manipulables”.

Le “La” à 440 Hz est aujourd’hui la norme internationale pour l’accordage des instruments de musique. Cette norme a été adoptée officiellement en 1939 par une conférence internationale à Londres. Avant cela, il n’y avait pas de consensus universel, et la hauteur du “La” pouvait varier d’un endroit à l’autre dans le monde et à travers le temps.

Avant la normalisation, l’absence de référence unique pouvait causer des problèmes pour l’accordage des instruments dans des orchestres internationaux. L’adoption du 440 Hz comme standard vise à résoudre cette incohérence et le choix du 440 Hz comme norme est principalement basé sur une question de pratique.

Fanny Gribenski, agrégée de musique et diplômée du conservatoire de Paris en histoire de la musique et Maitresse de conférence à l’université de New-York est auteure du livre : “Tuning the World : The Rise of 440 Hertz in Music, Science, and Politics, 1859-1955” soit en français “Accorder le monde : L’essor du 440 Hertz dans la musique, la science et la politique, 1859-1955”.

Dans le cadre de la rédaction de son ouvrage sur l’histoire du 440 Hz, elle a suivi les nombreuses pistes historiques qui ont mené à l’adoption de ce standard musical appelé par les professionnels du secteur : la 440.

Mme Gribenski a étudié dans les détails la naissance de ce standard, suggéré au tout début du 19e siècle par un fabricant de soie appelé Johann Heinrich Scheibler. Cet industriel allemand développe une méthode qui lui permet de mesurer les fréquences de différents pianos dans plusieurs villes d’Europe.

Après avoir constaté que la fréquence moyenne des pianos à Vienne était de 440 hertz, il recommande ensuite l’utilisation de cette fréquence auprès de musiciens. “Ce standard émerge dans les années 1830, donc dans un contexte qui n’a vraiment rien à voir avec l’Allemagne nazie. Ensuite cette fréquence est promue par un fabricant de percussions américain en 1917. Ce standard se répand outre-Atlantique et est rapidement adopté par l’industrie musicale étasunienne, alors en pleine expansion”, explique Mme Gribenski.

“Il s’agit en fait de l’adoption du premier nombre rond au-dessus du standard français qui est alors en usage : la 435. C’est une augmentation légère d’un standard qui a déjà été adopté à une échelle internationale. Cependant, la 440 paraît plus commode, en particulier pour faire des calculs arithmétiques, parce que c’est un nombre rond, divisible par dix.”

Quelques années plus tard, en 1939, une conférence internationale doit se dérouler en Allemagne afin que les pays occidentaux s’accordent sur un standard musical.

Adolf Hitler est alors le chancelier allemand et l’Europe est à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. “La conférence est finalement organisée en Angleterre par la BBC à cause des tensions politiques et d’un refus de certains participants de se rendre en Allemagne”, détaille Mme Gribenski.

Le 12 mai 1939, malgré des tensions entre les pays représentés à Londres (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Italie, États-Unis et Suisse), ceux-ci s’accordent sur une résolution temporaire pour la hauteur des concerts avec un diapason étalon à 440 Hz.

Cette décision est entérinée en 1953 lors d’une autre conférence, également tenue à Londres. En 1975, la 440 Hz devient une norme ISO, soit une norme internationale et mondialement reconnue.

Si les Allemands ont soutenu l’adoption du 440 Hz en 1939, en opposition à la France qui soutenait le 435 Hz, la décision est davantage influencée par d’autres pays. Principalement par la Grande-Bretagne, qui s’est alignée sur les États-Unis qui utilisent ce standard depuis 1917 , qui est radiodiffusé à partir de 1935.

Mais quelle influence les nazis ont-ils réellement pu avoir sur ces discussions ?

Fanny Gribenski apporte des détails : “Lors de cette conférence de 1939, pendant laquelle la 440 est adoptée par plusieurs pays européens, il y a une participation de scientifiques et ingénieurs allemands qui sont, pour certains, entretiennent de bonnes relations avec le régime nazi. L’un d’entre eux est encarté au NSDAP. Toutefois, la fréquence qu’ils choisissent, c’est un alignement sur les États-Unis où elle a été adoptée auparavant. Il est vrai que ce sont les Allemands qui proposent cet alignement sur le standard américain mais ce n’est en aucun cas un standard qui est suggéré, à la base, par l’Allemagne nazie”.

“Au final, le 440 existait déjà depuis de nombreuses années et c’est la puissance de l’industrie musicale américaine qui fait que les Européens n’ont pas d’autre choix que de se ranger à la décision des Américains”, conclut la musicologue.

“Quant à l’implication de Goebbels, je ne peux pas dire ce qu’il en pensait ou s’il a eu des conversations informelles à ce sujet mais je n’ai trouvé aucune trace de son nom dans les archives lors de mes recherches”, précise encore Mme Gribenski.

Si l’industrie de la musique étasunienne est à la base de cette standardisation à 440 Hz, y a-t-il pour autant une influence de la famille Rockefeller, dans cette décision ?

Lors de ses longues recherches sur l’histoire de la standardisation de la musique et du la 440, la maîtresse en conférence à l’université de New-York n’a retrouvé aucune trace de la famille Rockefeller.

Aucune référence factuelle ou historique fiable ne fait mention de la Fondation Rockefeller ou de la famille dans l’adoption de ce standard de la musique.

Dans certaines des publications analysées en lien avec les nazis ou les Rockefeller, l’accent est mis sur la différence entre le 440 Hz “imposé” et le 432 Hz qui serait “naturel”.

D’autres internautes francophones sur TikTok (1, 2) affirment également que le 440 Hz est une fréquence “dissonante” ou “régressive”, qui “n’est pas naturelle, pas harmonieuse” et qu’elle “lave le cerveau”.

Une publication sur Facebook indique, par exemple : “La fréquence à laquelle nous soumet la musique accordée à 440 Hz nous fait ressentir de l’insécurité, de la peur, de l’angoisse et un désordre interne”.

Pour cette même publication, le 432 Hz est “le point d’équilibre sonore de la nature” et “a des effets profonds sur la conscience et aussi au niveau cellulaire de notre corps”.

Sur TikTok, des défenseurs du 432 Hz indiquent également que cette fréquence “réduit (le) stress” ou qu’il “connecte à l’univers”, mais aussi que le son “accordé en 432 Hz […] contient la fréquence de la dopamine pour stimuler l’esprit à se libérer.”

Enfin, un visuel accompagne régulièrement les publications des défenseurs du 432 Hz.

Il s’agit d’images montrant de l’eau qui vibre à 432 Hz à gauche et à 440 Hz à droite. L’image de gauche est mise en évidence car elle apparaît comme plus esthétique que celle de droite.

Cette illustration est donc utilisée par certains internautes pour affirmer que la fréquence de 432 Hz est davantage “en harmonie avec l’univers”, “alignée avec des proportions mathématiques naturelles comme la suite de Fibonacci et les principes de la géométrie sacrée” et qu’elle serait donc, par définition, plus naturelle et harmonieuse.

Dans un article dédié au 432 Hz, Emmanuel Comte, auteur, formateur, spécialiste en sons thérapeutiques et en musicothérapie réfute cette théorie. Il estime que “voir l’une (de ces images) plus belle que l’autre est faire preuve d’interprétation subjective […]. En dehors d’un protocole strict et une maîtrise des paramètres, ces expériences sont anecdotiques et n’ont d’autre valeur qu’artistique”.

Par ailleurs, dans un article de vérification des faits publié par Reuters publié en août 2021 plusieurs experts réfutent la théorie d’un la 432 plus en phase avec la résonnance de l’univers.

Susan Rogers, professeur de production et d’ingénierie musicales au Berklee College of Music a déclaré à Reuters qu’il “n’existe aucune recherche empirique suggérant que l’univers a une fréquence acoustique préférée”.

Ian Cross, professeur et directeur du Centre pour la musique et les sciences à l’université de Cambridge ajoute que ces affirmations n’ont “aucune base empirique”.

Enfin, le prince Charles Alexander, professeur de production et d’ingénierie musicales également au Berklee College of Music, a déclaré que “la sensibilité de la plupart des auditeurs n’est pas assez fine pour discerner la différence [entre le La 432 Hz et le La 440 Hz]”.

Le média étasunien n’a, par ailleurs trouvé aucune preuve que cette fréquence était utilisée dans la musique de cultures ancestrales.

Par ailleurs, pour Fanny Gribenski, ce standard de la musique qui serait plus naturel à 432 Hz repose, comme le 440 Hz, sur des théories mathématiques. “C’est le produit du même processus qui a amené à l’adoption de la 440. Ce qui est plus ‘naturel’, ou ce qui représenterait une réponse plus radicale au processus de standardisation, ce serait de renoncer à tout standard. Et donc que l’on n’ait pas une perception des fréquences médiatisée par des technologies et des théories scientifiques de la modernité qui permettent la mesure très discrète des vibrations sonores”.

Enfin, plusieurs études existent dans la littérature scientifique sur l’impact de la musique accordée à 432 Hz plutôt qu’à 440.

Nous en avons retrouvé trois, (1, 2, 3) menées entre 2019 et 2020 sous la direction de Diletta Calamassi de l’AUSL Toscana en Italie, une formatrice en infirmerie et chercheuse spécialiste du 432 Hz. La chercheuse est accompagnée à chaque fois lors de ses recherches par Gian Paolo Pomponi, un musicien italien qui se présente comme un “compositeur de musique à 432 Hz”.

Les différentes études entreprises par l’équipe italienne ont été menées sur des groupes restreints de personnes (respectivement 33, 12, et 54). Par ailleurs, si les résultats mettent en évidence des améliorations de certains paramètres de santé les différents groupes exposés à de la musique à 432 Hz par rapport à ceux exposés à celle à du 440 Hz, les conclusions précisent également leurs limites et appellent à des études complémentaires.

Une autre étude, menée par des chercheurs chiliens et publiée en 2020 a mis en évidence un avantage du 432 Hz sur le niveau de cortisol de patients qui se font extraire une dent et qu’on expose de la musique. Là aussi l’avantage du 432 Hz sur le 440 Hz est avancé mais cette étude est également limitée car elle n’a été menée que sur 42 patients.

Ces études ne sont, à ce stade, pas suffisamment larges et solides pour mettre en évidence les bienfaits du 432 Hz sur la santé par rapport au 440 Hz.

Aucune preuve tangible ne soutient l’idée que la Fondation Rockefeller ait participé à la standardisation du 440 Hz pour des raisons de manipulation ou de contrôle. Il n’existe pas de documents historiques crédibles établissant un lien direct entre la fondation et cette décision musicale.

Bien que les nazis aient été au pouvoir en Allemagne pendant la période où cette norme a été discutée (notamment la conférence de 1939 à Londres), il n’y a pas de preuves directes ou concrètes que le régime nazi ait imposé ou influencé cette décision pour des raisons idéologiques ou de contrôle.

La standardisation de la musique et le choix de la fréquence à 440 Hz a été motivée par la science acoustique, des facteurs économiques et les besoins commerciaux de l’industrie, largement influencée par les États-Unis, qui avaient déjà adopté ce standard plus de trente ans auparavant.

Par ailleurs, la fréquence de 432 Hz est souvent vantée comme étant davantage naturelle car “en harmonie avec l’univers” et alignée avec des proportions mathématiques naturelles comme la suite de Fibonacci et les principes de la géométrie sacrée.

Bien que cette fréquence ait des partisans, il n’y a aucune preuve scientifique concluante à ce stade montrant que la musique accordée à 432 Hz soit plus bénéfique pour la santé ou qu’elle ait des effets spirituels ou physiologiques différents de la musique accordée à 440 Hz.