Entre 2021 et 2023, les abonnements STIB des jeunes de -25 ans et de seniors de +65 ans sont passés à 1€/mois. D’après la tête de liste régionale bruxelloise PS Ahmed Laaouej, cette décision a permis d’augmenter le nombre d’abonnements vendus par la STIB de 40%. Il indique que c’est une façon d’habituer progressivement la jeunesse à recourir aux transports en commun. Cette déclaration est plutôt fausse. Si le chiffre de 40% a bien été communiqué dans les médias, il s’agit d’un chiffre partiel sur un trimestre et non sur une année. L’augmentation du nombre d’abonnements pour les Bruxellois de moins de 18 ans entre 2019 et 2023 est de 28%. Par ailleurs, le nombre de trajets n’a augmenté que de 7% pour les 12-17 ans et de 1% pour les 18-24 ans ce qui implique que ces nouveaux abonnements n’ont eu qu’un faible impact sur l’augmentation du nombre de voyages réellement effectués. Enfin, les études démontrent que la gratuité des transports en commun réduit davantage les déplacements à pied et à vélo qu’en voiture.
Depuis le 1er mars 2021, le prix de l’abonnement STIB pour les 12-18 a été réduit en passant de 50€ par an à 12€, soit 1€ par mois. Le 1er février 2022 et le 1er juillet 2023, ce même tarif a ensuite été appliqué respectivement aux jeunes de 18 à 24 ans ainsi qu’aux personnes de plus de 65 ans. La STIB et les pouvoirs publics parlent désormais de “quasi-gratuité” pour ces publics. Cette mesure était une promesse de la campagne du PS et d’Ecolo qui gouvernent ensemble (avec DéFI, Open Vld, Groen et Vooruit) à la région bruxelloise depuis l’élection régionale de 2019.
Lors d’un débat sur la mobilité bruxelloise tenu le 23 mai sur La Première (RTBF), Ahmed Laaouej a avancé que selon lui, ce genre de mesure était plus positive pour la mobilité que le plan Good Move auquel il est opposé, alors qu’il est porté par le gouvernement bruxellois dont le PS fait partie.
Ahmed Laaouej indiquait ainsi que “lorsqu’on a mis, grâce au Parti Socialiste, l’abonnement à 1€ de la STIB pour les jeunes et pour les seniors, il y a eu une augmentation de 40% du nombre d’abonnements.” Il nous précise aujourd’hui qu’il parlait des jeunes et non des plus de 65 ans.
Dans le débat, il ajoute que cette mesure est positive pour le transfert modal car “ça veut dire qu’on habitue progressivement notre jeunesse à recourir aux transports publics.”
Son opposante dans ce débat, Joëlle Maison, députée bruxelloise DéFI et 2e sur la liste bruxelloise aux prochaines élections régionales, a remis en doute l’efficacité d’une telle mesure, d’abord sur le plan social : “dans dix ans, je serai senior, je ne vois pas pourquoi je bénéficierais d’un abonnement à 1 euro”, suggérant qu’il vaut mieux baisser les prix pour ceux qui en ont vraiment besoin que pour tout le monde.
Ensuite, elle a aussi contesté que la (quasi) gratuité favorise le report modal depuis la voiture vers les transports en commun. “(Concernant) les politiques de gratuité et les abonnements pour les seniors, plusieurs études démontrent qu’elles n’opèrent pas un transfert modal de la voiture vers les transports en commun mais plutôt de la marche vers les transports en commun.”
40% d’abonnements en plus ?
Contacté, Ahmed Laaouej nous indique que la source qu’il utilise est un communiqué de presse de la ministre bruxelloise de la Mobilité Elke Van Den Brandt (Groen) diffusé en septembre 2021, et relayé par de nombreux médias comme la RTBF, la Libre, la Dernière Heure ou Sud Info via l’agence Belga. Ce communiqué indique que le nombre d’abonnements scolaires vendus en 2021 pour les 12-17 ans était de 35.812, soit 40% de plus qu’en 2020 (25.615 abonnements scolaires) et 46% de plus qu’en 2019 (24.447 abonnements), comme le relaient La Libre et Sud Info.
La STIB nous indique cependant qu’il s’agit probablement de chiffres partiels, enregistrés entre juin et septembre 2021 par rapport à la même période de 2020 ou de 2019. “Or les abonnements s’achètent de date à date et donc sur toute l’année”, nous précise la porte-parole.
Lorsqu’on analyse les chiffres sur toute l’année, on constate bien une augmentation des ventes d’abonnements scolaires auprès des moins de 18 ans de 33% (mais uniquement de 28% chez les Bruxellois qui sont les seuls à profiter de la mesure et de 54% chez les non-Bruxellois qui ne peuvent pas profiter de la quasi-gratuité). L’augmentation est donc moindre que les 40% annoncés.
La STIB nous communique aussi d’autres chiffres pour une autre tranche d’âge : les 18-24 ans. La société indique : “Le nombre de jeunes Bruxellois dans la tranche d’âge 18-24 ans qui sont abonnés à la STIB est passé de 70% à 90% (suite à la mesure de quasi-gratuité). Sur ces 20% d’abonnés supplémentaires, la moitié était déjà des abonnés mais qui utilisaient un autre type d’abonnement (mensuel principalement). L’autre moitié est constituée de nouveaux clients qui utilisaient des titres à la prestation (cartes 10 voyages et titres anonymes donc impossibles à estimer).” Autrement dit, pour cette tranche d’âge, si les abonnements annuels ont effectivement augmenté, il n’y aurait que quelques pourcentages d’utilisateurs nouveaux en plus.
Nous n’avons pas eu de chiffres pour la dernière tranche d’âge concernée par la mesure, les plus de 65 ans.
Davantage d’utilisation des transports en commun ?
Dans la deuxième partie de sa phrase, Ahmed Laaouej précisait que ces abonnements à 1€ par mois étaient une bonne façon d’habituer “notre jeunesse à recourir aux transports en commun”. Autrement dit, que la quasi-gratuité encouragerait l’utilisation des transports en commun au détriment des autres modes de transport, en particulier de la voiture, ce qu’on appelle le “report modal”.
Pourtant, si le nombre d’abonnements a augmenté, “le nombre de voyages réalisés par les jeunes Bruxellois de 18 à 24 ans a augmenté de 1%”, nous indique la STIB. L’augmentation semble minime par rapport au nombre d’abonnements.
Et concernant les 12-17 ans, la STIB nous indique que si le nombre de voyages a augmenté entre 2019 et 2023, passant de 23,4 millions à 24,9 millions (+7%), le nombre de voyages par utilisateur par mois a baissé :
- 2019 : 17,75 voyages par utilisateur de 12-17 ans par mois
- 2023 : 13,4 voyages par utilisateur de 12-17 ans par mois
“Cela signifie que les nouveaux abonnés utilisent de manière occasionnelle leur titre de transport”, conclut la STIB.
Autrement dit, si le nombre d’abonnements a augmenté de 33% entre 2019 et 2023, le nombre de voyages n’a augmenté que de 7%.
“Le prix n’est pas le premier frein aux transports en commun”
“Les jeunes, et a fortiori à Bruxelles, utilisent déjà les transports en commun dès qu’ils ont 12 ans ou qu’ils sont en âge de prendre les transports en commun de manière autonome, commente Xavier Tackoen, administrateur-délégué d’Espaces-Mobilité, un bureau de conseil en mobilité. Il n’y a donc pas d’augmentation spectaculaire à attendre d’une telle mesure. Par ailleurs, lorsqu’on mène des enquêtes sur les freins aux transports en commun, ce n’est pas le prix qui arrive en premier, mais l’accessibilité, la ponctualité, l’efficacité.”
Xavier Tackoen ne rejette pas complètement l’hypothèse que certains jeunes aient pu découvrir les transports en commun grâce à cette formule, mais plutôt de façon marginale. “Probablement des jeunes qui n’en avaient pas vraiment besoin jusqu’ici, parce qu’ils se déplaçaient principalement à pied ou à vélo et qui vont profiter de cette opportunité. Et c’est une bonne chose, parce qu’on sait que ceux qui apprennent tôt à voyager en transports en commun continueront à le faire quand ils seront plus âgés.”
Il n’est par ailleurs pas possible de mesurer une augmentation du nombre de voyages à la STIB en raison de la gratuité pour les 12-25 ans ou les +65 ans puisque le nombre annuel de trajets varie de façon importante indépendamment. La STIB n’a par ailleurs toujours pas retrouvé son nombre de trajets annuels de 2019, avant la pandémie du Covid-19.
“L’abonnement semble donc acheté pour l’attractivité du prix mais n’a pas spécialement d’effet sur les habitudes des déplacements. Ce constat est similaire pour les autres produits à tarif préférentiel (abonnement pour les plus de 65 ans par exemple)”, conclut la STIB. La société de transports en commun bruxelloise qui précise que cette décision a impliqué une perte de recettes liées aux ventes : -5,1 millions d’euros par an sur les abonnements scolaires, soit une baisse de 64% des rentrées sur cette tranche d’âge.
Une réduction des autres modes de transports ?
L’objectif affiché par ce type de mesure est, comme le dit Ahmed Laaouej, d’habituer “à recourir aux transports en commun” pour réduire notamment l’utilisation de la voiture. Un objectif que remettait en doute l’opposante d’Ahmed Laaouej dans le débat, Joëlle Maison (DéFI) : “(Concernant) les politiques de gratuité et les abonnements pour les seniors, plusieurs études démontrent qu’elles n’opèrent pas un transfert modal de la voiture vers les transports en commun mais plutôt de la marche vers les transports en commun.”
C’est ce que démontre en effet une étude de 2020 menée par Frédéric Héran qui a analysé le report modal dans ces cinq villes qui ont instauré la gratuité des transports publics : Hasselt en Belgique, Châteauroux et Dunkerque en France, Avesta en Suède, Templin en Allemagne. Il a rassemblé les chiffrés calculés par des études, toutes indépendantes les unes des autres, et en conclut que la gratuité des transports en commun a davantage fait baisser les déplacements à pied et à vélo qu’en voiture.
La gratuité des transports en commun a réduit l’utilisation de la voiture de 0,9% à Hasselt et Templin à 3% à Dunkerque. Cependant, pour cette ville, “l’impact ne serait dû qu’à 42% à la gratuité car d’importants investissements (65 millions d’euros) ont permis d’accroître l’offre de 30%, de porter la fréquence à 10 minutes sur 5 lignes “chrono”, de donner la priorité aux bus à certains carrefours à feux et de créer quelques voies réservées”, écrit Frédéric Héran.
Dans tous les cas aussi, il s’avère que la gratuité des transports en commun a réduit aussi les déplacements à pied et à vélo, dans des plus grandes proportions que la réduction des déplacements en voitures : de 2,6% à 12% de réduction dans le cas de Dunkerque de réduction des transports actifs.
Ceci concorde avec un rapport du Sénat français de 2019 consacré aux transports en commun gratuit qui conclut son chapitre sur le report modal de la façon suivante : “mesurée en proportion, la gratuité totale n’aboutit qu’à marginalement diminuer la part modale de la voiture, alors qu’elle réduit sensiblement celle de la marche et fait chuter celle du vélo.”
Pour Xavier Tackoen, la gratuité n’est donc pas le meilleur moyen d’encourager une meilleure mobilité. “La gratuité peut être accordée à des profils ciblés, pour qui le prix est vraiment un frein, mais pas à toute la population car ce genre de mesure coûte alors très cher en regard du report modal qu’on peut espérer. Il est plus efficace d’utiliser ce budget destiné à la gratuité pour apprendre à se déplacer autrement, notamment à pied où à vélo.”
“Un peu tôt pour faire un bilan”
Pour Ahmed Laaouej, il est un peu tôt pour faire le bilan de la gratuité des transports en commun à la STIB puisque la fréquentation n’a toujours pas retrouvé ses niveaux d’avant Covid. “Néanmoins, on voit que l’impact n’est certainement pas négatif puisqu’il y a plus d’abonnements achetés, plus de trajets et on tend vers 100% de jeunes Bruxellois qui ont désormais un abonnement ce dont on peut se réjouir.”
Enfin, sur le report modal, la tête de liste bruxelloise aux prochaines élections nous répond qu’il n’était pas le seul objectif de la mesure. “L’objectif était surtout social : pour une famille de quatre enfants qui payait 4 fois 50€, elle paie désormais 4 fois 12€, l’économie annuelle pour la famille est donc de 150€.” Cependant, avant 2021 comme aujourd’hui, le troisième abonnement familial et les suivants sont gratuits.
“Le fait d’accorder la gratuité à toute la population évite la paperasserie administrative pour les familles et le non-recours aux droits à cause de celle-ci”, précise encore Ahmed Laaouej pour qui le manque à gagner de 5 millions d’euros liés à la gratuité sur les 18-25 ans est relativement marginal dans le budget global de la STIB.
Conclusion
- Ahmed Laaouej a déclaré que la gratuité à la STIB pour les -25 ans avait permis d’augmenter de 40% le nombre d’abonnements vendus par la STIB et que cela encourageait l’utilisation des transports en commun.
- Cette augmentation du nombre d’abonnements auprès des Bruxellois âgés de 12 à 17 ans entre 2019 et 2023 est en réalité de 28%. Nous n’avons pas obtenu de chiffres pour les 18-24 ans ou pour les plus de 65 ans.
- Pour les 18-25 ans, la STIB estime que le nombre de jeunes bruxellois abonnés est passé de 70% à 90%, mais qu’une majorité de ces nouveaux abonnés étaient déjà des utilisateurs des transports en commun.
- D’après la STIB, le nombre de voyages effectués par les 12-17 ans a augmenté de 7% et celui des 18-24 ans de seulement 1%, ce qui implique que l’augmentation du nombre d’abonnements n’a eu qu’un faible impact sur l’augmentation du nombre de voyages réellement effectués.
- Enfin, différentes études démontrent que la gratuité des transports en commun réduit davantage les déplacements en vélo et à pied qu’en voiture.