Vous avez peut-être vu passer récemment des articles avec des titres tels que “Voici les prénoms les plus et les moins intelligents selon une étude d’une célèbre université” ou encore “Voici les prénoms qui ont un QI plus faible que les autres, selon une étude très sérieuse”. Intriguée par cette liste, l’équipe de fact checking Faky de la RTBF est remontée à la source. Nous avons retrouvé les auteurs. Et, non, ils et elles ne sont pas des scientifiques. Si le sujet peut paraître anodin, il n’en reste pas moins un exemple de la manière dont une plaisanterie se déforme pour devenir une information prise au premier degré.
S’en suit en général une liste des prénoms masculins et féminins “les plus intelligents”, presque toujours dans le même ordre :
1. Camille : QI moyen de 182
2. Pauline : QI moyen de 172
3. Thomas : QI moyen de 171
4. Aurélie : QI moyen de 165
5. Guillaume : QI moyen de 163
6. Julie : QI moyen de 157
7. Julien : QI moyen de 156
8. Maxime : QI moyen de 153
9. Florian : QI moyen de 148
10. Sarah : QI moyen de 142
Une autre liste circule, celle des prénoms “les moins intelligents”. Là aussi, le classement est accompagné d’un “QI moyen”.
1. Jonathan : QI moyen de 80
2. Aline : QI moyen de 82
3. Sarah : QI moyen de 82
4. Hervé : QI moyen de 83
5. Manuel : QI moyen de 84
6. Louise : QI moyen de 85
7. Emma : QI moyen de 86
8. Olivier : QI moyen de 86,5
9. Caroline : QI moyen de 86,5
10. Timothée : QI moyen de 87
11. Julien : QI moyen de 87
Ces listes avaient même inspiré l’humoriste belge Alex Vizorek dans une chronique sur RTL France en octobre dernier.
Les universités américaines de Stanford et du Montana sont souvent citées comme source dans les différents articles en ligne. Mais jamais en renvoyant vers l’étude complète. Seul un article mentionne à la fin un lien vers une source. Mais quand on clique dessus, on arrive sur… la page d’accueil de l’université de Stanford.
Des prénoms exclusivement francophones dans des études américaines ?
Chez Faky, cette liste nous a intrigués : comment des universités américaines en arriveraient à établir de telles listes de prénoms francophones ? Avec quelle méthodologie ? Conscient du caractère douteux de l’analyse, un article glisse que “c’est toujours le genre d’étude à prendre avec des petites pincettes”.
Mais dans le monde des rédactions web on sait que ce genre de papier écrit rapidement est “rentable”. Comme on dit dans le milieu, il va générer du clic. Comprenez : il sera très consulté et permettra au média d’augmenter son audience sans trop d’effort. Et ce avec une stratégie simple : les lecteurs ne manqueront pas de partager ou de commenter l’information sur les réseaux sociaux. Soit parce que leur prénom figure dans la liste des plus intelligents, soit parce qu’un de leur ami est épinglé au classement des quotients intellectuels les plus bas.
Et ça, un média comme démotivateur.fr, spécialisé dans le partage de contenus humoristique, l’a bien compris. Une vidéo publiée sur son compte Instagram le 27 octobre à ce sujet a récolté 3,4 millions de vues, 19.000 likes et 1644 commentaires.
Retour aux sources fantaisistes
Alors, d’où vient cette étude ? En tapant quelques-uns des prénoms dans un moteur de recherche, on arrive rapidement sur le site topito.fr. Ce média est spécialisé depuis plus de 15 ans dans un format très populaire : les listes. Nous tombons d’abord sur un article titré “Top 15 des prénoms qui ont un Q.I plus faible que la moyenne, d’après une étude scientifique” et daté du 5 septembre 2023.
Le texte est signé Thomasg. Après quelques recherches, nous découvrons que l’auteur s’appelle Thomas Gayet. Contacté, il explique qu’il ne travaille plus pour Topito. “Est-ce que je suis l’auteur ? Sans doute si c’est signé de moi, hasarde-t-il. Mais j’ai écrit quelque chose comme 2500 tops, donc les souvenirs sont un peu vagues.” Quand on lui explique que son texte a été repris au premier degré au point de devenir viral, il ironise : “La gloire.”
“On aime l’humour et les blagues”
L’article ne date donc pas de cette année. “Ils mettent à jour et repostent”, nous explique Thomas qui travaille aujourd’hui dans un autre domaine. On retrouve en effet des traces de ce top dans la Wayback Machine, une sorte de machine à remonter le temps d’internet qui archive des pages année après année. Le lien a été sauvegardé pour la première fois en avril 2018.
Thomas citait bien une source… mais qui n’a rien à voir avec le sujet. Il s’agit d’un article publié par des chercheurs de l’université américaine de Stanford titré “What’s in a Name ? First Names as Facial Attributes”. Objectif de l’étude publiée en juin 2013 : établir un lien entre le prénom donné à la naissance et les traits du visage. En résumé : est-ce qu’on a la tête de son prénom. Bref, rien à voir. Et l’auteur de Topito le disait bien entre les lignes en écrivant : “Pour rappel, il se peut qu’on soit quelque peu sortis de la réalité dans ce top car comme vous le savez on aime l’humour et les blagues.”
D’un top à l’autre
Voilà pour les prénoms “les moins intelligents”. Quant aux “plus intelligents”… Eh bien ils viennent aussi de Topito. Celui-là, intitulé “Top 20 des prénoms qui ont le QI le plus élevé, ceux à donner à vos enfants“, est signé Emma Schrams. Sa dernière republication remonte à juin 2022. Mais Web Archive en avait déjà fait une capture en avril 2015. L’autrice évoquait une prétendue étude de l’université du Montana et donnait un lien vers la page d’accueil de celle-ci.
Emma écrit au début : “Franchement l’université du Montana, c’est toujours du lourd question études scientifiques (le mec qui était à la tête de celle-là s’appelle Thomas, donc ça se tient), pas comme toutes ces études internet bidons. Pensez-y…” Le prénom Thomas qui avait d’ailleurs bien inspiré celui qui le porte lors de la rédaction d’un “Top 10 des raisons de ne pas appeler son fils Thomas, le prénom le plus naze du monde“.
On est des petits coquins
“Emma Schrams”, c’est Emma Schrameck qui était encore jusqu’à récemment rédactrice en chef de Topito et qui a depuis été remplacée par Louise Pierga. C’est Louise que nous avons contactée par téléphone.
“Comme on a énormément d’articles en stock sur Topito, il arrive qu’on repasse en ligne au bout d’un certain temps ceux qui marchent plutôt bien parce qu’on se dit que ça fera toujours marrer les gens”, explique-t-elle. Mais pas au point d’imaginer que certains prendront cet “article troll écrit pour rigoler” au pied de la lettre comme c’est le cas aujourd’hui. “Dans l’article, on précise bien que c’est une blague. Certaines personnes ne lisent pas tout.”
Louise Pierga a aussi écrit de très nombreux articles pour Topito et explique que ceux-ci partent souvent “d’études à la con” selon ses propres mots. Elle sourit : “On est des petits coquins”. Et de nous faire remarquer que le prénom Louise figure à la sixième place du top établi par Thomas sur les patronymes au QI le plus bas avec un “QI moyen de 85”. L’autre top terminait lui sur ces mots : “Peut-être que je suis vexée qu’il n’y ait pas le prénom Louise. Laissez-moi tranquille maintenant.” Il n’y a pas de hasard.
Quant à savoir si d’autres classements existent sur ce sujet, la réponse est oui. Edubirdie, une plate-forme de soutien scolaire et d’aide à la rédaction de devoir en avait établi un par le passé. C’est ce qu’on peut lire sur leur site internet dans une page datée de janvier 2023 (mais dont Web Archive trouve déjà une trace en 2021. On y retrouve des prénoms aux consonances anglophones telles que John, William, Ellen ou Susan.
Edubirdie précise dans une note méthodologique qu’elle a utilisé une liste de savant et savantes récompensés par différents prix tels que le Nobel ou reconnus pour leur intelligence. La plate-forme a ensuite compté les prénoms qui revenaient le plus souvent pour établir sa liste. Un travail qui n’est pas sans rappeler celui du sociologue Baptiste Coulmont qui établit chaque année un classement des prénoms qui obtiennent les meilleurs résultats au baccalauréat en France.