Les ouragans qui ont frappé le sud-est des Etats-Unis ces dernières semaines ont généré un flot de désinformation, politiques et internautes faisant renaître des théories du complot sur la manipulation du climat, à quelques semaines de l’élection présidentielle du 5 novembre.
Sur internet, de fausses affirmations accusant le gouvernement américain de mener “une guerre météorologique” se sont multipliées ces dernières semaines.
Certaines publications allant même jusqu’à affirmer que ces événements “avaient été délibérément déployés” dans les Etats qui penchent en faveur du Parti républicain pour le scrutin.
“Nous sommes dans un +effondrement+ de la géoingénierie de la part de mondialistes qui veulent +contrôler+ l’humanité”, peut-on lire sur X (ex-Twitter).
Selon certains, ces catastrophes sont également liées à un programme de recherche américain dédié à l’étude de la couche supérieure de l’atmosphère, baptisé HAARP, utilisant des antennes installées en Alaska, aux Etats-Unis, comme dans l’exemple vérifié par l’AFP dans le fact-check ci-dessous.
Cette vague de fausses affirmations a émergé après le passage des ouragans Hélène, le deuxième ouragan le plus meurtrier à avoir frappé les Etats-Unis continentaux en plus d’un demi-siècle et qui a fait au moins 237 morts, et Milton deux semaines plus tard qui a fait au moins 16 morts.
Pour Ethan Porter, professeur et chercheur à l’université de George Washington, certains utilisent la désinformation “comme moyen commode pour exprimer leurs opinions politiques”.
Le message sous-jacent étant “que ni la science ni le gouvernement ne sont dignes de confiance, que le changement climatique n’est pas réel et que d’une certaine manière les démocrates sont responsables de la catastrophe en cours”.
-“Un monde effrayant” –
L’élue républicaine et soutien de Donald Trump, Marjorie Taylor Greene a même plusieurs fois répété à ses abonnés que l’observatoire météorologique américain (NOAA) autorisait des programmes qui “contrôlent la météo”.
Des méthodes telles que l’ensemencement de nuage peuvent augmenter la pluie ou la neige dans des zones délimitées mais ne peuvent pas créer d’ouragans comme Hélène.
Des déclarations inquiétantes pour les chercheurs comme Callum Hood, de l’organisation américaine de lutte contre la désinformation en ligne CCDH.
“Cela intervient dans un moment de réelle tension politique”, indique-t-il à l’AFP, ajoutant que “l’univers des réseaux sociaux est plus propice à la haine et à la désinformation aujourd’hui qu’il ne l’a été depuis longtemps. Surtout sur X.”
Un constat partagé par Joseph Uscinski, de l’université de Miami, pointant que des “élus du Congrès” faisaient passer des idées fausses pour une réalité.
Le changement climatique, en réchauffant les mers, rend plus probable l’intensification rapide et augmente le risque d’ouragans plus puissants, alertent les scientifiques.
Ces phénomènes météorologiques peuvent désormais faire des dégâts sur les côtes mais également dans les terres, indique à l’AFP Jayantha Obeysekera, de l’université internationale de Floride.
“Un ouragan passant dans des zones montagneuses avec beaucoup d’humidité (…) est une mauvaise combinaison”, ajoute-t-il citant l’exemple de la ville d’Asheville, en Caroline du Nord, Etat qui a été le plus touché par l’ouragan Hélène avec plus de 100 morts.
Dans un contexte de forte division autour du changement climatique aux Etats-Unis, la scientifique Katharine Hayhoe souligne que ces fausses rumeurs apportent un faux sentiment de “sécurité” et de “réconfort” aux personnes cherchant à comprendre “un monde qui devient rapidement très effrayant”.
Par ailleurs, elles peuvent retarder davantage voire empêcher un plan d’action sur le terrain pour lutter contre le réchauffement climatique.
“Cela nous amène exactement dans la direction opposée à celle que nous devrions prendre”, précise-t-elle.
Attention, cette vidéo d’une formation nuageuse singulière n’a aucun lien avec l’ouragan Milton
L’ouragan Milton a atteint la côte ouest de la Floride le soir du 9 octobre 2024 en tant qu’ouragan de catégorie 3 – sur une échelle de 5 – et a causé la mort d’au moins 11 personnes selon les autorités (lien archivé ici). Il a aussi privé des millions de foyers d’électricité. Le président américain Joe Biden avait prévenu que Milton pourrait être “la pire tempête” à frapper “depuis un siècle” la Floride, pourtant habituée à ce type de phénomènes.
Deux semaines plus tôt, le passage dans le même secteur de l’ouragan Hélène a causé au moins 236 morts à travers le sud-est des Etats-Unis, dont au moins 15 en Floride.
Quelques heures avant que Milton ne touche terre, des internautes ont partagé une vidéo de nuages à l’allure peu commune surplombant une plage de sable blanc.
“HAARP a été pleinement activé en Floride. Le but est de déloger les partisans de Trump avant le jour du scrutin“, prétendent plusieurs internautes partageant la séquence sur X (1, 2) et Facebook.
Captures d’écran de X faites par l’AFP le 11 octobre 2024
La même vidéo a été relayée en anglais et en espagnol.
Mais cette séquence n’a aucun lien avec l’ouragan Milton et il n’y a pas de lien établi entre la formation nuageuse et le programme HAARP.
Ancienne vidéo
Effectuer une recherche d’image inversée à partir d’images-clés de la vidéo permet d’en retrouver la trace en ligne dès le 21 juin 2021 (lien archivé ici).
Selon l’internaute qui l’a mise en ligne sur Facebook, la séquence a été tournée à Fort Walton Beach, en Floride. Une analyse des différents éléments visuels présents à l’image, comme la jetée ou la cabine des sauveteurs en mer permet de confirmer cette indication.
Captures d’écran réalisées sur Facebook (à gauche) et Google Maps (à droite) le 11/10/2024.
Captures d’écran réalisées sur Facebook (à gauche) et Google Maps (à droite) le 11/10/2024.
Comme relevé par l’équipe de vérification hispanophone de l’AFP, la vidéo avait déjà été utilisée de manière détournée en 2022 lors du passage de l’ouragan Ian en Floride qui avait fait plus de 100 morts à travers les Etats-Unis (lien archivé ici).
Contactée par l’AFP, Cindy Fernández, porte-parole du Service météorologique national d’Argentine, avait alors expliqué que le phénomène filmé par la vidéo consistait en des asperitas (lien archivé ici). “Dans l’œil de l’ouragan, il n’y a presque pas de nuages“, avait ajouté l’experte.
Selon le service national britannique de météorologie (Met office), les asperitas, parfois appelés asperatus, “sont rares et ressemblent à des vagues océaniques ondulantes dans le ciel” (lien archivé ici). “Les conditions atmosphériques doivent être instables pour former une base nuageuse ondulée comme celle observée avec l’asperitas [et] bien que la formation elle-même ne produise pas de précipitations, les asperitas ont été associées à des orages, qui se produisent ensuite“, relève l’organisme.
Le service de météorologie des Etats-Unis indique de son côté que les asperitas “ont tendance à se dissiper sans formation de tempête” et sont classés comme une formation nuageuse relativement nouvelle puisqu’elle a été reconnue comme telle en 2009, le premier ajout à l’Atlas international des nuages depuis 1951 (lien archivé ici).
Expérimentations de faible amplitude
Les publications virales que nous vérifions mentionnent le Programme de recherche sur les aurores actives à haute fréquence (High frequency active auroral research program, ou HAARP) créé en 1990 à l’initiative de Congrès américain et mené depuis 2015 par l’Université d’Alaska-Fairbanks (lien archivé ici).
Ce projet de recherche fait l’objet depuis plusieurs années de théories du complot l’accusant de permettre de manipuler le climat et provoquer des tremblements de Terre. Ces fausses allégations ont été vérifiées à plusieurs reprises par l’AFP, notamment ici, ici ou encore ici.
Le programme est dédié à l’étude de l’ionosphère, la couche supérieure de l’atmosphère terrestre, à la frontière de l’espace (lien archivé ici). Sur son site, le programme HAARP affirme être l’émetteur haute puissance et haute fréquence le plus performant au monde pour étudier l’ionosphère, qui commence à environ 60-80 km d’altitude et s’étend jusqu’à plus de 500 km d’altitude.
“L’objectif des recherches d’HAARP est de mener une étude fondamentale des processus physiques à l’œuvre dans les parties les plus élevées de notre atmosphère“, y est-il indiqué.
En envoyant des ondes dans cette partie de l’atmosphère, les scientifiques étudient la réaction des particules de l’ionosphère. Le programme utilise les ondes radio pour chauffer les électrons qui y sont présents, créant ainsi “de petites perturbations qui sont similaires aux types d’interactions qui se produisent dans la nature” mais qui sont plus faciles à étudier pour les scientifiques.
Sur la page officielle du projet, il est expliqué que celui-ci ne peut pas contrôler les conditions météorologiques. Les ondes radio émises par l’émetteur HAARP ne sont pas absorbées par la troposphère ou la stratosphère, niveaux de l’atmosphère dont dépend la météo sur Terre. “Comme il n’y a pas d’interaction, il n’y a aucun moyen de contrôler le climat“, soulignait déjà en 2023 plusieurs chercheurs auprès de l’AFP.
“Pour être absolument clair : il n’existe aucune technologie créée par l’homme capable de générer une tempête comme l’ouragan Helene ou l’ouragan Milton, et aucune technologie créée par l’homme capable de diriger une telle tempête ou de déterminer sa trajectoire“, a déclaré à l’AFP le 9 octobre Andra Garner, professeure associée de sciences environnementales à l’université Rowan dans le New Jersey (lien archivé ici).
“Toute affirmation selon laquelle une quelconque technologie de manipulation de la météo serait à l’œuvre dans des tempêtes comme Hélène ou Milton est un non-sens flagrant et un mensonge dangereux“, ajoute la chercheuse.
En revanche, souligne la spécialiste, le “réchauffement d’origine humaine” peut avoir de multiples incidences en permettant à des tempêtes comme Hélène ou Milton de se renforcer rapidement au-dessus d’eaux océaniques exceptionnellement chaudes, de “produire des ondes de tempête exceptionnellement importantes qui sont aggravées par l’élévation du niveau de la mer, et d’engendrer des précipitations extrêmes“.
Graphique expliquant la formation d’un ouragan et les liens avec le changement climatique. (AFP / Sophie RAMIS, Cléa PECULIER)
Selon une étude récente du groupe World Weather Attribution (WWA), les pluies torrentielles et les vents violents qui se sont abattus sur Hélène ont été rendus environ 10% plus intenses en raison du changement climatique (lien archivé ici).
Sur son site web, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) indique que bien que certaines recherches sur la possibilité d’influer sur le comportement des ouragans aient été menées entre les années 1960 et 1980, elles ont ensuite été abandonnées après s’être révélées inefficaces (lien archivé ici).
Derrick Herndon, ancien météorologue militaire et chercheur sur les ouragans à l’Université du Wisconsin (lien archivé ici), avait déclaré à l’AFP en 2023 qu’il n’est à ce jour pas possible de modifier des phénomènes aussi massifs que les ouragans.
“Un ouragan est un phénomène de grande ampleur, qui s’étend sur des centaines de kilomètres et qui est constitué de milliers d’orages“, avait-il expliqué, ajoutant qu'”aucune technologie ne peut modifier quoi que ce soit à cette échelle… La quantité de matériaux nécessaire dépasse nos capacités“.
L’AFP a vérifié plusieurs allégations trompeuses concernant l’ouragan Milton comme cette image de la Nasa qui datait de 2015 ou cette vidéo d’embouteillage en Inde et faussement présentée comme filmée en Floride.