Bien que la formation de pétrole s’opère sur des échelles de plusieurs millions d’années, des publications relayées en français et en hongrois prétendent que cette ressource “se régénère dans la terre” plus vite qu’on ne l’extrait, et que le terme “combustible fossile” a été inventé au 19e siècle pour faire croire à une pénurie des hydrocarbures et ainsi augmenter leur prix. Du pétrole se forme toujours sous la couche terrestre, mais il n’est pas considéré comme une énergie renouvelable et son exploitation pourrait devenir économiquement non-viable avant même que ses réserves actuelles ne soient épuisées, ont expliqué plusieurs experts à l’AFP. Par ailleurs, le terme “combustible fossile” a été employé dès le 18e siècle, dans les travaux de recherche d’un chimiste allemand.
Alors que la crise énergétique suscitée par le conflit russo-ukrainien préoccupent particulièrement les foyers, entreprises et gouvernements européens, poussant l’UE, en quête d’indépendance énergétique, à renforcer ses investissements dans les énergies renouvelables, des publications relayées plusieurs centaines de fois depuis le mois de juin sur les réseaux sociaux prétendent que le pétrole est une ressource, elle aussi, “renouvelable“.
“La vérité est que le pétrole est en fait le deuxième liquide le plus répandu sur terre après l’eau, et qu’il se régénère dans la terre plus vite qu’il ne peut être supprimé“, peut-on ainsi lire dans un post Facebook partagé en français (1,2) et en hongrois (3).
Le même texte circule sur Twitter (4) où il est affirmé, à tort, qu’en “1892, à la Convention de Genève, l’homme le plus intelligent de l’industrie pétrolière, J.D. Rockefeller, a payé des scientifiques pour qu’ils qualifient le pétrole de ‘combustible fossile’ afin d’induire l’idée de pénurie et de fixer un ‘prix mondial du pétrole‘”.
Des assertions similaires sur le pétrole et les combustibles fossiles sont partagées depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux dans différentes langues, notamment en espagnol (5) et en anglais (6), dont les publications ont déjà fait l’objet d’articles de vérification de l’AFP (ici et ici).
Quant au contenu des messages récemment diffusées sur Facebook et Twitter, il mêle approximations et erreurs, ont expliqué des spécialistes des énergies fossiles à l’AFP.
Le pétrole, huile minérale formée à partir d’une multitude de composés organiques au fur et à mesure de leur enfouissement dans la croûte terrestre, n’est pas considéré comme une énergie renouvelable contrairement au solaire ou à l’éolien, par exemple. Notamment parce que son processus de formation s’étale sur des millions d’années.
Par ailleurs, parce que son extraction devient plus difficile et coûteuse au fil des ans et que d’autres alternatives énergétiques sont apparues, la production de pétrole devrait commencer à décliner au cours du 21e siècle.
Le terme “combustible fossile“, lui, est utilisé depuis le 18e siècle : bien avant la tenue de la “Convention de Genève” de 1892 à laquelle les différents posts font référence.
Le pétrole n’est pas considéré comme une énergie renouvelable
Le texte relayé sur les réseaux sociaux prétend que le pétrole “se régénère dans la terre plus vite qu’il ne peut être supprimé“, supposant que l’homme pourrait l’exploiter en quantité infinie, sans se soucier du renouvellement naturel de ses réservoirs. Cette allégation est toutefois trompeuse.
Le pétrole se regénère bel est bien. Pour autant, nous ne disposons pas d’un approvisionnement régulier de “nouveau” pétrole et cette ressource n’est de ce fait pas considérée comme une énergie renouvelable, ont expliqué plusieurs experts à l’AFP.
Mathilde Adelinet, géologue et professeur associée à l’IFP School, ancienne ingénieure de recherche en géologie à l’IFPEN, a indiqué à l’AFP le 24 novembre 2022 que le pétrole ne se “regénère” pas sur de petites échelles de temps.
Le pétrole – contrairement à l’eau – ne circule pas librement sous terre, ajoute la chercheuse. Les réservoirs existants peuvent effectivement être exploités, mais ils ne se renouvellent pas rapidement, au rythme de la production et de la consommation mondiales de pétrole :
“Le pétrole peut être extrait par forage, mais il n’y a pas de régénération de cette ressource sur de petites échelles de temps, car il ne circule pas“, pointe ainsi Mathilde Adelinet, ce qui signifie qu’aucune quantité de “nouveau pétrole” ne s’écoule naturellement à la place de la quantité extraite.
La formation de pétrole est un processus qui “s’étale sur des échelles de plusieurs millions d’années“, ajoute la géologue : “D’abord, la matière organique doit mourir – généralement dans les océans – puis tomber au fond de l’océan et couler jusqu’à ce qu’elle atteigne une profondeur, une température et une pression suffisantes pour être transformée en pétrole ou en gaz.”
“70% du pétrole que nous utilisons aujourd’hui a été produit il y a 250 millions d’années. Quand on prélève une ressource de cette nature, on ne prélève pas une ressource qui va se régénérer immédiatement ; elle va se régénérer sur une échelle de temps qui n’est pas du tout celle de la production“, complète Mathilde Adelinet.
Comme le souligne cet article de l’AFP en espagnol, les sources de pétrole les plus récentes remontent elles-mêmes à plusieurs millions d’années, les plus anciennes datant de la période dévonienne qui a débuté il y a environ 410 millions d’années.
Dans la même lignée, le directeur du département d’ingénierie pétrolière de l’Université de Miskolc (Hongrie) Zoltán Turzó, a confirmé à l’AFP le 16 novembre 2022 qu’il est trompeur de supposer qu’une nouvelle quantité de pétrole remplacerait rapidement celle extraite :
“Bien que les hydrocarbures se forment encore aujourd’hui“, il faut beaucoup plus de temps pour qu’ils migrent des roches mères vers de nouveaux réservoirs “que pour extraire du pétrole dans les réserves où il s’est déjà accumulé“, indiqué l’expert à l’AFP.
“Le pétrole est une ressource non-renouvelable qui s’est formée sur des échelles de plusieurs millions d’années à travers l’histoire de la Terre“, abonde auprès de l’AFP Heiko Balzter, directeur de l’Institut pour l’avenir de l’environnement à l’Université britannique de Leicester, le 21 novembre 2022.
Le chercheur Grant Wach, rattaché au département Terre et Sciences de l’Environnement de l’Université canadienne Dalhousie, a également confirmé à l’AFP le 25 novembre 2022 que “pour résumer, il n’est pas correct de dire que le pétrole se regénère de manière continue“, pointant que le processus de formation du pétrole s’opère sur des millions d’années.
Parce que son délai de formation est très long, le pétrole ne rentre donc pas dans la catégorie des énergies renouvelables, définies par l’Organisation des Nations Unies comme des “énergies provenant de sources naturelles qui se renouvellent à un rythme supérieur à celui de leur consommation. La lumière du soleil et le vent, par exemple, constituent de telles sources qui se renouvellent constamment. Les sources d’énergie renouvelables sont abondantes et sont présentes partout autour de nous.“
De plus, il ne s’agit pas seulement de savoir s’il y a suffisamment de pétrole disponible sous terre, mais également s’il est assez facile de l’extraire pour que l’opération soit économiquement viable, a expliqué à l’AFP Arndt Peterhänsel, géologue et spécialiste du pétrole au Département des Sciences de la Terre de l’université allemande de Heidelberg, le 21 juin 2022 : “Le pétrole soulève des enjeux économiques, et de grandes quantités de cette ressource resteront dans les réservoirs souterrains, simplement parce qu’il ne sera pas rentable de les extraire.”
Un déclin de la production de pétrole attendue au 21e siècle
Les universitaires tout comme les compagnies pétrolières s’attendent à ce que la production de pétrole commence à décliner au cours du 21e siècle.
“Nous consommons du pétrole si rapidement que sa production mondiale devrait atteindre un pic au plus tôt en 2050, ou possiblement autour des années 2070-2080, en fonction de l’offre et de la demande“, détaille Heiko Baltzer.
“La production de pétrole diminuera une fois que nous aurons dépassé le ‘pic pétrolier’. Les grands groupes s’y préparent et recherchent des sources d’énergie alternatives pour remplacer le pétrole“, ajoute l’expert.
Le pic pétrolier (“peak oil“) est une théorie selon laquelle la production de pétrole conventionnel – extrait des terres émergées et des plateformes offshore travaillant à moins de 500 m de profondeur – atteindra un jour un point culminant et commencera à décliner. Mais le moment où cela se produira fait encore débat.
Il n’y a pas de consensus sur ce calendrier parmi les producteurs, mais certains géants de l’industrie pétrolière comme Shell anticipent le déclin à venir de la production de pétrole, le groupe anglo-néerlandais affirmant dès 2021 avoir atteint le pic de sa production en 2019.
Les publications relayées sur les réseaux sociaux prétendent également que le pétrole est le “deuxième liquide le plus répandu sur Terre“. Tout dépend de ce qui est considéré, ici, comme “liquide” : si l’on inclut le magma à cette définition, par exemple, celui-ci est massivement plus présent que le pétrole (l’huile) sous Terre :
“Si on va un peu plus loin en profondeur, l’élément liquide le plus répandu sous Terre en volume, c’est le magma. C’est tout ce qui est matière fondue qui provient soit du manteau terrestre, soit de la croûte qui va fondre pour des raisons géologiques diverses et variées. Cela forme un jus magmatique comme ce qui sort des volcans, et en volume, cela représente une quantité monumentale“, explique ainsi Mathilde Adelinet.
Il est vrai, cependant, qu’il existe une quantité considérable de pétrole sous la surface de la Terre. “Selon les estimations de l’USGS (U.S. Geological Survey), il resterait environ 78 milliards de tonnes de pétrole sous la croûte terrestre, formées au cours de millions d’années“, pointe Arndt Peterhänsel, notant que le pétrole est effectivement l’un des liquides les plus répandu sur Terre.
Basé sur les données de L’Agence d’information sur l’énergie et de British Petroleum, un compteur estime en temps réel les réserves mondiales de pétrole restantes en barils sur le site web de Worldometers.
“Combustible fossile” : un terme employé depuis le 18e siècle
Contrairement à ce que prétendent les posts Facebook et Twitter, le terme “combustible fossile” n’a pas été inventé à la fin du 19e siècle : on l’employait déjà un siècle plus tôt.
“Le chimiste berlinois Caspar Neumann a utilisé pour la première fois le terme ‘combustible fossile’, employé dans ses travaux de recherche sur la chimie, publiés en anglais en 1759“, a déclaré Arndt Peterhänsel à l’AFP. Le terme, “fossil fuel” en anglais, est notamment inscrit ici dans l’index du livre.
Il “a ensuite massivement été utilisé au début des années 1900“, a expliqué à l’AFP un porte-parole de l’Université du Queensland en 2020.
Les messages diffusés sur les réseaux sociaux affirment, à tort, que “l’homme le plus intelligent de l’industrie pétrolière, J.D. Rockefeller, a payé des scientifiques pour qu’ils qualifient le pétrole de ‘combustible fossile’ afin d’induire l’idée de pénurie et de fixer un ‘prix mondial du pétrole’“, incriminant John Davison Rockefeller, fondateur de la compagnie américaine Standard Oil Company, qui en a rapidement fait l’homme le plus riche du monde dominant la production de pétrole à partir de la fin du 19e siècle.
Les publications mentionnent aussi “la Convention de Genève” de 1892, probablement en référence au congrès de chimie industrielle qui a établi, dans l’entre-deux-guerres, certaines règles de nomenclature de la chimie accessibles ici. Cependant, le texte rédigé à l’issue du congrès ne mentionne à aucun moment le terme “combustible fossile“.
Retrouvez l’ensemble des articles de vérification de l’AFP consacrés aux enjeux de l’énergie, du climat et de la biodiversité ici.
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