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Manger de la viande ne dépend pas uniquement de “ce que l’on a dans le porte-monnaie”

Manger de la viande ne dépend pas uniquement de "ce que l’on a dans le porte-monnaie" - Featured image

Author(s): Romane Bonnemé

Contrairement à ce qu’a affirmé le député communiste français Fabien Roussel, la consommation de viande, en France tout comme en Belgique, n’est pas seulement déterminée par le niveau de revenu. Les classes sociales les plus précaires consomment d’ailleurs davantage de viande que les plus aisées. Les comportements alimentaires, dont la consommation de viande, sont aussi déterminés par une pluralité de facteurs qui vont au-delà du revenu, tels que le genre ou l’âge.

“Vous n’avez pas honte ?”. C’est par ces mots que la journaliste française, Sonia Mabrouk, a interpellé le 30 août dernier sur Europe 1, le député Fabien Roussel (Parti Communiste Français – PCF) à propos de sa consommation de viande, alors qu’il avait plusieurs fois fait l’éloge de la bonne viande pendant la campagne présidentielle.

Cette interview s’inscrit dans le cadre d’une vive polémique au sein de la classe politique française provoquée par la députée “Europe Ecologie Les Verts”, Sandrine Rousseau, quelques jours plus tôt à Grenoble, lorsqu’elle a déclaré qu’il “faut changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité“. Une phrase déclarée alors que l’élue participait à un débat avec Brigitte Gothière, directrice de l’association L214, à propos du bien-être animal et l’impact des excès de la consommation de viande sur le dérèglement climatique.

Et le président du PCF de réagir, au micro de Sonia Mabrouk : “on mange de la viande en fonction de ce que l’on a dans le porte-monnaie et pas dans la culotte ou dans le slip“. Fabien Roussel sous-entend ici que la consommation de viande serait proportionnelle au niveau de revenu.

Or cette allégation est fausse. “La consommation de viande est en effet plus élevée parmi les groupes sociaux qui ont des revenus plus bas” explique ainsi Nicolas Guggenbühl, professeur de nutrition à la Haute Ecole Léonard de Vinci. De manière générale, “on ne peut pas dire si vous avez tel revenu, vous allez manger telle quantité de viande“.

Et pour cause : loin d’être le seul facteur, le niveau de revenu n’influence que de manière limitée la consommation de viande des deux côtés de la frontière. Parmi les facteurs qui jouent un rôle dans les régimes carnivores français ou belges, figurent notamment le genre ou l’âge, mais pas seulement.

Les classes sociales plus basses consomment davantage de viande

Si le revenu stricto sensu n’est pas utilisé comme variable dans les études statistiques pour comprendre les comportements alimentaires des Belges, le niveau d’éducation, davantage utilisé, offre des réponses tout aussi pertinentes sur la consommation de viande selon la classe économique et sociale. En effet, comme le confirment les dernières données de la Banque Nationale de Belgique, le niveau d’éducation, et a fortiori la profession, détermine fortement le niveau de revenu.

Suivant cet indicateur, la dernière enquête de consommation alimentaire menée auprès de la population belge en 2014 (la prochaine enquête devrait être publiée fin 2023) a ainsi montré qu”il existe bien un gradient décroissant entre la consommation de viande et le niveau d’éducation. Les personnes avec le niveau d’éducation le plus faible (sans diplôme, diplôme de primaire ou de secondaire) consomment significativement plus de viande (119 g par jour) que les personnes diplômées de l’enseignement supérieur de type long (98 g par jour)“.

Concernant la viande de bœuf en particulier, “les personnes relativement peu diplômées sont plus nombreuses (4,6%) que les personnes diplômées de l’enseignement supérieur de type court (2,3%) ou long (1,0%) à consommer ce type de viande cinq fois par semaine ou plus“.

La conclusion de l’enquête de l’association de défense des animaux Gaia de 2019 est identique : le pourcentage des personnes qui s’identifient comme “mangeurs de viande” entre la classe sociale la moins favorisée d’un côté et la plus favorisée de l’autre – suivant le niveau d’éducation et la profession du chef de ménage – passe de 70% à 61% (les autres réponses étant je suis flexitarien“, “je suis pesco-végétarien“, “je suis végétarien” ou “je suis végétalien).

Avec un niveau d’éducation plus élevé, on apprend qu’il n’y a pas que la viande qui permet de faire du muscle.

Conjointement avec le revenu et le diplôme, la catégorie socioprofessionnelle a un impact direct sur la consommation de viande. Les auteurs d’une étude du Ministère français de l’Agriculture de 2013 arrivent ainsi à la conclusion que “la part de la viande de bœuf et de porc, de même que la charcuterie est plus élevée chez les moins aisés, tandis que les catégories supérieures consomment davantage d’agneau et de volaille“.

L’explication à ces différences socio-économiques vis-à-vis d’une alimentation carnée se trouve du côté du “mythe” autour de la viande, comme le souligne Nicolas Guggenbühl de la Haute Ecole Léonard de Vinci : “Préexiste encore l’idée simpliste que l’on retrouve beaucoup chez les personnes qui exercent des métiers qui sollicitent de la force physique, selon laquelle uniquement la viande permet de créer du muscle. Avec un niveau d’éducation plus élevé, on apprend qu’il n’y a pas que la viande qui permet de faire du muscle, à l’image du cheval de trait qui tire des péniches ou des wagons entiers en ne mangeant que de l’avoine. D’un point de vue scientifique, le lien entre force physique et alimentation carnée s’estompe à mesure que le niveau d’éducation s’élève“.

Une augmentation du revenu n’a qu’une influence limitée dans la consommation de viande

Une évolution du revenu a par ailleurs une influence “limitée” sur les comportements alimentaires des Belges vis-à-vis de la viande, comme le soulignent les auteurs d’une étude de 2018 de l’Université de Gembloux Agro-Bio Tech Université de Liège.

Ils ont ainsi montré que multiplier par quatre le revenu n’augmente le pourcentage de consommateurs que de 2% environ de bœuf et le porc. En revanche, pour la charcuterie, une étude française de 2013 a ainsi montré que lorsque le revenu des 20% les plus précaires augmente, la quantité demandée de ce produit est plus que proportionnelle à celle de leur budget.

En ce qui concerne la consommation de volaille, elle semble être plus directement liée au niveau de revenu, comme l’ont montré les auteurs de plusieurs études, celle de l’Université de Gembloux de 2018 et l’enquête menée par l’Observatoire de la Consommation alimentaire entre 2000 et 2008. Celles-ci montrent notamment que doubler le revenu n’augmenterait les dépenses en viande de volaille de moins de 6%.

Il n’en demeure pas moins que la viande constitue le premier poste du budget alimentaire des ménages – quasiment un quart – et ce quel que soit leur revenu.

Les ménages précaires fortement dépendants du prix de la viande

Toutefois, sachant que le pouvoir d’achat dépend aussi du niveau du revenu et du niveau des prix, les ménages les plus modestes sont plus sensibles aux prix de la viande, surtout bovine, a révélé cette étude de 2013.

Si les groupes à faibles revenus n’achètent pas moins de viande que les groupes à revenus plus élevés, ils achètent des morceaux moins chers et plus gras.

Avec l’augmentation du prix de la viande, les classes les plus précaires vont également consommer des produits carnés à plus faibles valeurs nutritives. C’est qu’ont montré les auteurs de cette étude publiée dans Nutrition Reviews en 2015 : si les groupes à faibles revenus n’achètent pas moins de viande que les groupes à revenus plus élevés, ils achètent des morceaux moins chers et plus gras“.

De manière générale en Belgique, “il a été démontré que les régimes alimentaires plus sains (c’est-à-dire plus proches des recommandations alimentaires) étaient en moyenne plus coûteux” lit-on dans une étude publiée en novembre 2021 dans le Journal de l’Académie de nutrition et de diététique.

Les comportements alimentaires genrés ne sont pas un mythe

L’hypothèse, notamment avancée par Sandrine Rousseau et réfutée par Fabien Roussel, selon laquelle la consommation de la viande varierait selon le genre, se vérifie pourtant bel et bien dans les statistiques.

Ainsi en 2019, l’enquête menée par Gaia en 2019 révèle que 72% des hommes se considèrent comme de “vrais carnivores“, contre 61% des femmes. En d’autres termes, dans ce sondage, les hommes optent davantage pour la réponse “je mange de la viande” que les femmes, qui répondent plus fréquemment “je suis flexitarienne“.

Cette perception genrée à l’égard de la viande se confirme également dans les quantités consommées : selon l’enquête de consommation alimentaire menée auprès de la population belge entre 2014 et 2015, les hommes mangeraient 44 grammes de viande de plus chaque jour par rapport aux femmes.

Parmi les types de viande davantage consommés par les hommes figure surtout la viande rouge. En France, les hommes consomment deux fois plus de viande rouge que les femmes, selon Nora Bouazzouni, l’autrice de “Steaksisme : En finir avec le mythe de la végé et du viandard”.

Pour Nicolas Berger, scientifique au département Nutrition et Santé de Sciensano, cette différence de consommation de la viande, en particulier rouge, serait liée aux définitions de la masculinité et aux rôles de genre traditionnels. Il fait référence à une étude de la revue Appetite de novembre 2021, qui indique qu'”une plus grande conformité aux rôles traditionnels des sexes permettrait de prédire une consommation plus fréquente de bœuf et de poulet et une plus faible ouverture au végétarisme chez les hommes“.

Romane Bonnemé d’après les chiffres de l’enquête Gaia, 2019

Cette différence de consommation s’explique-t-elle par des besoins naturels et nutritionnels différents entre hommes et femmes ? Il n’en est rien selon la communauté scientifique.

L’apport journalier recommandé en protéines par poids de corps est identique entre deux adultes du même sexe (0.66 grammes) selon un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, et “les quelques différences de besoin en nutrition, notamment de fer, ne justifient pas les différences observées dans la consommation de viande rouge” répond Nicolas Berger.

Les recommandations belges du Conseil Supérieur de la santé concernant la consommation de viande rouge sont d’ailleurs très claires à cet égard pour diminuer les risques de maladies cardiovasculaires par exemple : limiter sa consommation de viande rouge à un maximum de 300 grammes par semaine. Et ce quel que soit le sexe.

Le profil type du consommateur belge de viande

Au-delà du fait que les hommes mangent davantage de viande que les femmes, d’autres variables viennent préciser le profil type du consommateur belge de viande.

Ce consommateur “type” est a minima cinquantenaire comme l’a montré l’enquête de Gaia en 2019 : “les Belges de plus de 55 ans sont également plus souvent carnivores (70% carnivores versus 64% des personnes de moins de 55 ans) que ceux des classes d’âge inférieures“.

Par ailleurs, les consommateurs de viande en Belgique ont souvent des indices de masse corporelle plus élevée que la moyenne. C’est la conclusion de l’enquête de consommation de 2014 : “les personnes souffrant d’obésité consomment ainsi significativement plus de viande que les personnes avec un statut pondéral normal (+ 17 g par jour)” peut-on lire dans l’étude.

Enfin, en Belgique, les Wallons consomment davantage de viande de bœuf que les Flamands a montré l’enquête de consommation de 2014. En regardant plus en détail les résultats de l’enquête, il apparaît toutefois que “davantage de personnes résidant en Flandre (68,5%) qu’en Wallonie (62,0%) consomment de la viande de porc entre une et quatre fois par semaine“.

Une consommation multifactorielle nocive pour la planète

En résumé, Fabien Roussel a tort lorsqu’il affirme “on mange de la viande en fonction de ce que l’on a dans le porte-monnaie et pas dans la culotte ou dans le slip“. Pour preuve : les plus précaires consomment plus de viande que les plus favorisés, sachant que la qualité de la viande qu’ils mangent est inférieure à celle des autres classes sociales.

Quant au genre, c’est une variable sociologique déterminante dans la consommation de viande, comme le soutiennent plusieurs études. Par ailleurs, la liste des facteurs qui influent sur une alimentation carnée est très longue. “Les comportements alimentaires sont extrêmement complexes, ils dépendent d’une pluralité de facteurs sociaux, économiques, énergétiques, moraux, culturels ou religieux” conclut ainsi l’expert en nutrition Nicolas Guggenbühl.

Dans le contexte du dérèglement climatique actuel, les Belges seraient de plus en plus enclins à adopter un régime excluant la viande, en particulier chez les plus jeunes.

Tandis que l’impact de la viande sur le réchauffement, la déforestation et la consommation d’eau est désormais indéniable, sa production ne cesse de croître sur l’ensemble du globe, notamment dans les pays émergents.