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“Une erreur de fermer les centrales nucléaires pour se concentrer sur le charbon” : Greta Thunberg est-elle devenue pro-nucléaire ?

"Une erreur de fermer les centrales nucléaires pour se concentrer sur le charbon" : Greta Thunberg est-elle devenue pro-nucléaire ? - Featured image

Author(s): Ambroise Carton

C’est une petite phrase qui n’a pas échappé aux partisans de l’énergie nucléaire. Le 11 octobre dernier, la  journaliste allemande Sandra Maischberger – qui travaille pour la chaîne publique allemande Das Erste – publie sur les réseaux sociaux un extrait d’une interview avec Greta Thunberg. La jeune Suédoise, célèbre pour avoir lancé les grèves scolaires pour le climat en 2018, est interrogée sur l’intérêt de miser à l’avenir sur les centrales nucléaires. Quelques mots vont attirer l’attention : “Si elles fonctionnent déjà, je pense que c’est une erreur de les fermer pour se concentrer sur le charbon.” Alors, Greta Thunberg a-t-elle changé d’avis sur le nucléaire, au point d’en faire une solution pour lutter contre le réchauffement climatique ? Cette déclaration s’inscrit cependant dans un contexte plus large.

Tout commence donc le 11 octobre quand la journaliste Sandra Maischberger publie sur son compte Twitter un extrait de 30 secondes d’une interview de Greta Thunberg. Dans cet extrait d’entretien, dont l’intégralité sera diffusée le lendemain sur Das Erste, la jeune femme est confrontée à la question suivante : “Face aux enjeux climatiques, les centrales nucléaires sont-elles un meilleur choix pour le moment ?”

Réponse de la militante écologiste : “Ça dépend. Si elles fonctionnent déjà, je pense que c’est une erreur de les fermer pour se concentrer sur le charbon.”

Il faut attendre le lendemain pour trouver sur YouTube l’entretien complet. “Il y a une grande crise énergétique, tout spécialement en Allemagne, parce que nous avons été très dépendants du gaz et du pétrole russes. Et maintenant, le gouvernement a décidé de prolonger les centrales au charbon pour faire baisser le prix de l’énergie”, résume Sandra Maischberger.

“C’est inévitablement ce qui se passe quand vous êtes trop dépendants de ce genre de combustibles fossiles fournis par des régimes autoritaires. Je pense qu’il y a d’autres moyens d’aller de l’avant”, répond Greta Thunberg, qui souligne l’importance de “se concentrer sur les énergies renouvelables”.

Elle poursuit : “En investissant dans les combustibles fossiles, nous allons soit verrouiller un niveau de réchauffement auquel nos sociétés ne seront pas capables de s’adapter ou nous aurons des actifs irrécupérables dans le futur.”

“Un débat très passionné”

A 8 minutes 55, le passage sur le nucléaire commence. “Nous avons un débat en Allemagne pour savoir s’il serait mieux de prolonger les centrales nucléaires qui fonctionnent plutôt que de prolonger les centrales à charbon. Qu’est-ce que vous pensez de ça ?”, lance la journaliste.

“Personnellement, je pense que c’est une très mauvaise idée de se concentrer sur le charbon tant que [les centrales nucléaires] sont déjà en place. Mais bien sûr c’est un débat très passionné”, réagit Greta Thunberg.

Vient alors la fameuse phrase où la jeune femme affirme que ce serait “une erreur de les fermer pour se concentrer sur le charbon”.

La journaliste rebondit : “Mais après, les arrêter le plus tôt possible ou quoi ?” Greta Thunberg coupe court : “Ça dépend. Nous ne savons pas ce qui se passera après ça…”

La nouvelle d’une Greta Thunberg devenue favorable au nucléaire se répand aussitôt dans les médias et dans la sphère politique allemande, comme le note Le Monde.

L’intéressée réagit ensuite sur son compte Twitter. “Aujourd’hui, comme toujours, il est important de se méfier de ceux qui écoutent la vérité qui dérange uniquement quand elle rentre dans leur agenda. Pour résoudre cette crise, faire du ‘cherry picking’ [c’est-à-dire ne choisir que les faits qui renforcent son opinion, ndlr], sortir les choses de leur contexte et ignorer le reste ne nous conduira nulle part. Cela ne fait qu’alimenter les conflits culturels.”

Un sujet déjà abordé en mars 2019 et juillet 2022

Ce n’est pas la première fois que Greta Thunberg s’exprime sur le nucléaire. En juillet dernier, la Suédoise refusait de compter le nucléaire parmi les énergies “renouvelables”. Alors que les députés européens approuvaient le label “vert” accordé par la Commission européenne au gaz et au nucléaire, elle affirmait sur Twitter : “Le lobbying et le greenwashing ne rendront jamais [l’énergie nucléaire] ‘verte’. Nous avons désespérément besoin de vraies énergies renouvelables, pas de fausses solutions.”

Greta Thunberg avait aussi abordé la question en mars 2019 sur sa page Facebook. “Personnellement, je suis contre l’énergie nucléaire. Mais selon le GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr], elle peut être une petite partie d’une nouvelle solution d’énergie sans carbone, en particulier dans les pays et les régions qui n’ont pas la possibilité de s’approvisionner en énergie renouvelable à grande échelle. Et ce même si [l’énergie nucléaire] est extrêmement dangereuse, chère et chronophage”, avait-elle écrit à l’époque.

Le regard du GIEC sur le nucléaire

Et le GIEC justement, que dit-il de l’énergie nucléaire ? Dans une série de tweets rédigés dans la foulée de la publication du rapport du groupe d’experts en avril 2022, la climatologue Valérie Masson-Delmotte fait le résumé suivant : “Le nucléaire est une technologie mature qui peut fournir de l’électricité bas carbone à grande échelle, à condition d’améliorer la gestion de la construction de types de réacteurs pour réduire les coûts et permettre une utilisation plus large.”

Et d’ajouter ces ombres au tableau (qui figurent aussi à la page 977 du document final) : “Le nucléaire est affecté par des dépassements de coûts, des besoins initiaux d’investissements élevés, des enjeux de la gestion des déchets radioactifs, et des niveaux variables de soutien public et politique.”

Dès lors, conclut sur ce point la climatologue française, “plusieurs options existent pour le nucléaire : grands réacteurs ; allongement de la durée de vie des réacteurs existants ; petits réacteurs modulaires ; production d’hydrogène et d’eau douce bas carbone.” Cette dernière explication est détaillée à la page 977 du rapport complet du GIEC.

Signalons au passage que les membres du groupe n’ont pas pour but de dire aux responsables politiques quelles décisions prendre ni de faire de quelconques recommandations. Comme le précise une note publiée en 2021, les rapports du GIEC se veulent “pertinents politiquement, mais non prescriptifs”.