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“Les 10% des personnes les plus aisées en Belgique contribuent à 50% de l’impôt des personnes physiques” selon Georges-Louis Bouchez : c’est faux

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Author(s): Guillaume Woelfle

Dans plusieurs interviews récentes et sur les réseaux sociaux, le président du MR Georges-Louis Bouchez indique que les 10% des Belges les plus riches paient 50% de l’impôt des personnes physiques (IPP). Cet argument, utilisé par le MR dans les médias, est mobilisé pour éviter une augmentation de l’imposition des personnes les plus riches. Pourtant, si le chiffre cité par le président du MR existe bien, il se base sur les déclarations d’impôts qui peuvent être communes et donc grossies artificiellement. Selon ces mêmes chiffres corrigés en individualisant le revenu des ménages, Statbel indique les 10% des contribuables aux plus hauts revenus payaient, en 2022, 38,20% de l’IPP perçu par l’État. En revanche, Georges-Louis Bouchez a raison lorsqu’il indique que les 50% de la population qui paient le plus contribuent à 90% de l’IPP (88,5%). 

Georges-Louis Bouchez l’a dit dans le quotidien Le Soir ce samedi 4 janvier, puis répété sur Matin Première ce lundi 6 janvier : “10% des personnes les plus aisées en Belgique contribuent à 50% de l’impôt des personnes physiques. Les 50% de la population qui paient le plus contribuent à 90% de la fiscalité totale.” Cette phrase est prononcée après 7’50” dans l’interview ci-dessous.

Cet argument, la nouvelle présidente des libéraux flamands (Open Vld) Eva De Bleeker l’avait déjà avancé sur X (ex-Twitter) le 4 novembre, en réaction à un article du Tijd évoquant les difficiles négociations Arizona, et la volonté de Vooruit d’augmenter les impôts des plus riches. Le lendemain, le président du MR le répétait sur le plateau du journal télévisé de la RTBF.

Ce chiffre avancé dans Le Soir ce 4 janvier a ensuite été partagé sur les différents réseaux sociaux du président du MR.

Des chiffres de Statbel plutôt corrects

À ce stade, deux éléments doivent être précisés pour comprendre la déclaration de Georges-Louis Bouchez :

  • Les “10% les plus riches” sont ici les 10% des Belges dont les revenus imposables sont les plus élevés. Il ne s’agit donc pas des 10% des Belges qui ont les plus hauts patrimoines.
  • L’impôt des personnes physiques (IPP) est l’impôt sur les revenus. Il comprend les revenus professionnels c’est-à-dire : les salaires, les revenus d’un travail indépendant, les (pré) pensions, les allocations de chômage, de maladie et d’invalidité, mais aussi les revenus immobiliers ou les pensions alimentaires. En revanche, les revenus tirés de dividendes, de plus values sur actions ou d’intérêts ne sont généralement pas déclarés dans l’IPP puisqu’ils sont imposés via un autre système : le précompte mobilier.

Dans l’interview sur Matin Première, le président du MR précise qu’il se base sur les chiffres de Statbel des déclarations d’impôts de 2022. Statbel nous confirme qu’il s’agit bien de l’ensemble des revenus de l’IPP.

Dans ces tableaux, la population est divisée en 10 dixièmes, que l’on appelle “déciles”. Le 1er décile recouvre les 10% des gens aux plus faibles revenus. Le 10e décile est constitué des 10% des Belges qui ont les plus hauts revenus. Et ce tableau indique que le 10e décile paie 46% de l’IPP total.

Georges-Louis Bouchez a donc correctement arrondi à la hausse ce chiffre-là. Le même tableau indique que les cinq derniers déciles de la population, soit les 50% qui ont les plus hauts revenus professionnels, payent 92,6% de l’impôt total, soit davantage que les 90% avancés par Eva De Bleeker et Georges-Louis Bouchez en novembre.

Une confusion entre le nombre de déclaration d’impôts et le nombre de contribuables

Néanmoins, le tableau de Statbel n’indique pas la part d’impôts payés par chaque contribuable, mais la part d’impôts payée à travers chaque déclaration d’impôts. Or, dans le cas de déclaration commune, deux contribuables peuvent se cacher dans une seule déclaration d’impôts. De fait, Statbel indique dans ce tableau compte 6,77 millions de déclarations, alors qu’il y a davantage de contribuables en réalité.

C’est ce qu’indique et critique l’économiste Philippe Defeyt dans Le Soir et Le Vif, qui ont également vérifié cette affirmation : “le tableau de Statbel mélange trois catégories de contribuables : ceux qui vivent seuls, ceux qui vivent ensemble, mais font deux déclarations séparées, et ceux qui font une déclaration commune (personnes mariées ou en cohabitation légale).” Or, poursuit-il, “il me parait plus juste de répartir ces chiffres par contribuable, l’IPP étant un impôt finalement individuel”.

Pour donner un exemple, deux personnes qui vivraient ensemble et auraient chacun un revenu identique les classant dans le 6e ou 7e décile pourraient être classées dans le 10e décile parce qu’ils remplissent une déclaration commune. Cela a pour effet de grossir artificiellement les revenus des gens qu’on classe dans le 10e décile et donc d’augmenter la part de l’IPP qu’ils paient.

Le vrai chiffre se situe autour des 38%

À notre demande, Statbel a produit un nouveau tableau où les déciles sont constitués différemment. D’une part, on ne classe plus par déclaration d’impôts mais par habitant qui ont un revenu non nul. Désormais, 11,3 millions de Belges se trouvent dans le tableau (sont exclus ceux qui n’ont aucun revenu ou les ménages composés exclusivement de mineurs) contre 6,77 millions de déclarations précédemment.

D’autre part, Statbel ne les place pas dans chaque décile en fonction de leur revenu (autrement dit, les revenus propres de chaque contribuable), mais par “revenu équivalent”. “Le revenu équivalent est calculé en divisant le revenu total du ménage de toutes les sources par sa taille équivalente”, écrit Statbel sur son site.

Autrement dit, les revenus d’un ménage sont globalisés, puis divisés entre les membres du ménage (en attribuant un poids moindre aux enfants, par exemple). Cette méthode plus précise évite l’écueil des déclarations communes tout en conservant la caractéristique d’un ménage où l’un peut très bien vivre en gagnant mal sa vie, mais en profitant des hauts revenus de l’autre.

Selon ce nouveau tableau de Statbel :

  • 58,87 milliards d’euros ont été payés en impôts des personnes physiques pour 2022 ;
  • Le 10e décile des contribuables (les 10% les plus élevés) a payé 22,48 milliards d’euros, soit 38,2% de l’IPP total ;
  • Les cinq plus hauts déciles (les 50% les plus élevés) des contribuables ont payé 52,1 milliards d’euros, soit 88,5% de l’IPP total.

Le chiffre de Georges-Louis Bouchez indiquant que les 10% des Belges les plus riches payaient 50% de l’IPP est donc surestimé. En revanche, la moitié de la population aux plus hauts revenus paie un tout petit moins de 90% de l’IPP, en l’arrondissant.

La question de savoir si la part payée par les 10% des Belges aux plus hauts revenus (38,2%) est trop basse ou trop élevée appartient au débat politique. Par ailleurs, cette taxation n’inclut pas les cotisations sociales que payent les employés ou les indépendants puisqu’il ne s’agit pas d’impôts en tant que tel.

Qui sont les 10% des Belges les plus riches ?

L’affirmation de Georges-Louis Bouchez et d’Eva De Bleeker portait sur les 10% des Belges contribuant le plus à l’IPP, en indiquant qu’il s’agissait des Belges “les plus riches”. Cette définition peut être contestée.

D’une part, parce que dans le langage courant, un “riche”, c’est surtout celui qui possède, plutôt que celui qui travaille. La définition du Larousse définit un riche comme quelqu’un “qui a de la fortune, des biens importants”, mais pas forcément qui en gagne beaucoup.

Ainsi, une personne peut être considérée comme riche à travers un patrimoine acquis par le passé, soit par le travail, les affaires, soit par une donation ou un héritage sans forcément avoir de revenus qui la classerait dans le 10e décile des contribuables à l’IPP.

D’autre part, un contribuable Belge pourrait avoir un revenu moyen soumis à l’IPP, mais engendrer d’autres revenus issus du capital ou des biens mobiliers (dividendes, plus-values sur actions, intérêts, droits d’auteur…) qui ne sont pas soumis à l’IPP. Ces revenus sont taxés à travers le précompte mobilier. Cette taxe, comme l’indique le SPF Finances, est fixe : 30% (sans progressivité) et libératoire, ce qui implique qu’une fois le précompte mobilier payé, il ne faut plus déclarer ces revenus lors de la déclaration d’impôts des personnes physiques. Dans ce cas-ci, l’impôt payé sur ces revenus de capitaux à 30% est même plus faible que le taux d’imposition moyen à l’IPP du 10e décile (38,20%) ou même du 9e décile (30,1%).

Dans le débat sur la contribution “des épaules les plus larges” à l’effort budgétaire que la Belgique s’apprête à faire, il peut donc être important de préciser si on parle de revenus ou de patrimoine, lorsqu’on désigne “les riches”.

Rappelons que selon la Banque nationale de Belgiqueles 10% des Belges les plus riches (en termes de patrimoine) détiennent 55% du patrimoine net dans le pays. Cette proportion est en baisse ces dernières années, après avoir atteint les 58-59% entre 2011 et 2017. Cela veut dire que l’inégalité en termes de patrimoine a “légèrement diminué au cours des cinq dernières années”.

Georges-Louis Bouchez conteste la division des revenus d’un ménage

Contacté, le président du MR Georges-Louis Bouchez maintient son chiffre et conteste la division des revenus du ménage. “Je n’ai jamais dit que je comptais par personne (c’est pourtant le terme employé sur Matin Première, Ndlr) ou par contribuable, mais je me basais sur les déclarations d’impôts. Pourquoi ? Parce que cela a du sens d’évaluer les revenus des gens à l’échelle d’un ménage. Prenons un couple dont la femme gagne bien sa vie et l’homme pas vraiment. Il est évident que l’homme profitera des revenus de sa compagne. C’est pour cela que l’État organise des déclarations d’impôts communes ou des pensions alimentaires en cas de divorce, c’est parce que les revenus d’un ménage sont bien souvent partagés. Donc je maintiens que les 10% des Belges les plus riches paient bien 46% de l’IPP en Belgique.”

Néanmoins, nous avons observé que cette comptabilisation pouvait gonfler artificiellement la tranche du 10e décile en comptant ensemble deux revenus identiques qui appartiendraient, chacun pris isolément, au 6e ou 7e décile. Raison pour laquelle nous conservons le classement des déciles basés sur le revenu équivalent médian produit par Statbel.

En résumé

  • Georges-Louis Bouchez (MR) et Eva De Bleeker (Open Vld) indiquent que les 10% des Belges les plus riches paient 50% de l’IPP, et que les 50% les plus riches paient 90% de l’IPP.
  • C’est vrai si l’on divise en 10 déciles les déclarations d’impôts des Belges, qu’elles soient isolées ou communes. Le 10e décile paie 46% de l’IPP total prélevé en Belgique et les plus hauts déciles paient 92,6% de l’IPP.
  • Mais cela pose un problème de méthodologie puisqu’un ménage composé de deux personnes aux revenus identiques situés dans la moyenne supérieure peut être classé dans le 10e décile dans une déclaration commune, sans qu’ils ne gagnent plus d’argent. Cela a pour effet de gonfler les revenus du 10e décile, et donc augmenter la part de l’IPP qu’ils paient.
  • Pour éviter cet effet, Statbel propose une classification des déciles par “revenu équivalent” où les revenus d’un ménage sont globalisés, puis divisés en fonction de la taille d’un ménage. Selon cette classification, les 10% des Belges les plus riches paient 38,20% de l’IPP, et non 50%.
  • Enfin, toujours selon la classification par revenu équivalent, les 50% des Belges les plus riches paient 88,5% de l’IPP, soit proche des 90% annoncés par Georges-Louis Bouchez et Eva De Bleeker.