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Incendies à Los Angeles : non, les feux n’ont pas été provoqués volontairement pour construire une ville intelligente

Incendies à Los Angeles : non, les feux n’ont pas été provoqués volontairement pour construire une ville intelligente - Featured image

Author(s): Johanna Bouquet et Marine Lambrecht avec Grégoire Ryckmans

Plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux affirment que les incendies en Californie auraient été provoqués volontairement pour raser la ville de Los Angeles et y installer une “smart city” ou “ville intelligente”. C’est le cas notamment d’une vidéo virale dans laquelle un internaute avance plusieurs arguments pour étayer cette thèse. Nous les avons vérifiés. Si certains événements pointés du doigt sont bien véridiques, d’autres sont faux. Et, in fine, non, les incendies n’ont pas été provoqués volontairement dans le but de construire une “ville intelligente” d’ici 2028.

Les incendies dans la région de Los Angeles, qui ont fait au moins 25 morts, ont réduit en cendres une superficie quasi-équivalente à tout Bruxelles, en une semaine. Les habitants qui ont perdu un proche ou leur maison se demandent ce qui a provoqué les feux, de connaître leur origine. À ce jour, l’enquête est toujours en cours et “toutes les pistes sont sur la table”, selon les enquêteurs.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs utilisateurs avancent une série d’éléments indiquant que ces incendies auraient été créés et alimentés volontairement pour détruire des parties de la ville dans le but de faire de Los Angeles une ville intelligente à l’horizon 2028. Pile au moment où la cité des Anges accueillera les Jeux olympiques.

Certaines de ces publications (12) sont largement relayées par des comptes aux États-Unis, mais elles trouvent aussi écho dans la sphère francophone. Ainsi, une vidéo publiée le 11 janvier par un compte francophone comptabilise près de 560.000 vues.

Il y explique que plusieurs éléments sont perturbants au regard des images des incendies. Il dit : “Les maisons sont détruites mais les arbres restent debout […] avec encore des objets bleus miraculeusement épargnés. […] Parce qu’ils utilisent des systèmes précis. C’est une destruction ciblée, méthodique qui utilise des armes à énergie dirigée. […] Les assurances ont été annulées avant les incendies, le budget des pompiers a été réduit de 17 millions de dollars aussi un mois avant. Et comme à Maui, l’eau a été coupée. Vous voyez le plan ? C’est stratégique et suit l’agenda du développement durable. Voilà pourquoi il y a des projets en cours comme Maui Smart et SmartLA2028. Parce que pour ces projets, il faut d’abord détruire pour reconstruire”.

La théorie centrale présentée dans la vidéo c’est l’idée que les incendies ont été provoqués pour mettre en place la ville intelligente. Mais ce n’est pas fondé. Pour convaincre sa communauté de cette théorie trompeuse, l’instagrameur liste plusieurs événements liés à l’apparition de ces feux, qui constitueraient, selon lui, une forme de preuve que les incendies ont été provoqués intentionnellement. Nous les avons vérifiés.

Vers une ville intelligente ?

L’auteur de la vidéo virale affirme que ces incendies ne sont pas des feux de forêt mais des “feux intelligents”.
“C’est une destruction ciblée, méthodique”, dit-il. Il liste plusieurs événements entourant l’apparition des feux. Il affirme par exemple que “les assurances ont été annulées avant les incendies” et que “le budget des pompiers a été réduit de 17 millions de dollars”, ou encore que “l’eau a été coupée”. Nous développons ces différents points par après. Selon l’auteur, tous ces éléments indiqueraient que les incendies feraient partie d’un “plan” pour détruire la ville de Los Angeles et en faire une “smart city”, une ville intelligente.

Tout d’abord, il est vrai de dire que, depuis 2020, la ville de Los Angeles travaille sur le développement d’une “smart city”. D’ailleurs, c’est une stratégie publique, appelée SmartLA 2028. Un comité a été créé en 2019 pour intégrer 24 départements de la ville dans une sorte de hub afin de travailler sur la ville de demain. L’idée pour les autorités est donc d’intégrer les outils technologiques au service du développement urbanistique.

Mais qu’est-ce qu’une smart city ou “ville intelligente” et pourquoi cela n’a rien à voir avec les incendies ?

Nathalie Crutzen est professeure de gestion à HEC Liège et elle a cofondé le Smart City Institute, un observatoire universitaire dont l’objectif est d’établir comment on gère une smart city. Elle définit une ville intelligente :
“C’est un écosystème, donc un ensemble d’acteurs, sur un territoire donné qui a pour objectif la durabilité de ce territoire sur un plan social, environnemental et économique et qui utilise de manière optimale les technologies digitales pour cette transformation.”

Nathalie Crutzen explique par exemple qu’à l’inverse, dans une smart city, on pourrait trouver des petits capteurs qui analyseraient les sols et seraient capables de donner des indications pour anticiper les feux.

Et d’ajouter : “Pour mettre en place une smart city, ça n’a aucun sens de tout raser. L’idée est de partir de l’existant pour le transformer et l’améliorer. Lancer un incendie, c’est l’inverse d’une smart city.”

“Les maisons sont détruites mais les arbres restent debout”

“Les maisons sont détruites mais les arbres restent debout”. C’est une des théories qui circulent le plus sur les réseaux sociaux. Elle circulait déjà en août 2023, lors des feux de forêt qui ont ravagé l’île de Maui, dans l’État d’Hawaï. Cette théorie d’une destruction ciblée a été vérifiée par Politifact et est jugée sans fondement.

Cependant, comment des arbres peuvent-ils rester intacts après des incendies d’une telle ampleur ?

Premier élément, il est faux de dire que les arbres n’ont pas brûlé après le passage des flammes. Sur les images de Copernicus, de l’agence spatiale européenne, dont les plus récentes ont été enregistrées le 12 janvier dernier, on observe que la végétation n’a pas du tout été épargnée par les incendies. Lorsqu’on compare ces images satellites à celles datant d’avant les incendies, au 2 janvier, par exemple, on constate effectivement qu’une large partie de la végétation est partie en fumée.

Et d’ailleurs cela s’explique par l’état de sécheresse dans lequel se trouvait cette végétation. Comme l’explique Marc-André Parisien, chercheur auprès du service canadien des forêts cité par Radio Canada, la végétation était particulièrement sèche, la rendant hautement inflammable. Le chercheur explique également que la végétation environnante avait pu largement se développer en raison des pluies importantes en 2022 et 2023. C’est donc une végétation luxuriante mais asséchée, devenue “une biomasse idéale pour alimenter les feux” qui s’est retrouvée face aux incendies.

Pourquoi certains arbres restent debout ?

Cependant, certaines photos, comme celle ci-dessous, prise par un photographe de l’AFP, montrent bien que des arbres sont restés intacts alors qu’ils sont entourés de maisons ou de voitures calcinées. Comment l’expliquer ?

Des propriétés en bord de mer brûlées par l’incendie de Palisades sont visibles à l’est de Malibu, en Californie, le 14 janvier 2025.
Des propriétés en bord de mer brûlées par l’incendie de Palisades sont visibles à l’est de Malibu, en Californie, le 14 janvier 2025. © AFP – ETIENNE LAURENT

 

“Le feu n’est pas spécialement linéaire. À un moment donné, le feu va avancer et puis il y aura des zones qui vont être brûlées et d’autres pas, c’est la nature”, explique Olivier Giust, capitaine pompier et conseiller technique en feux de forêt de la province de Liège, contacté par la RTBF.

“C’est le principe du feu, il ne ravage pas 100% des zones sur lesquelles il va passer. C’est pour ça que l’on parle de la surface brûlée et de la surface parcourue. […] Imaginons que le feu parcourt un terrain de football. Le feu aura peut-être brûlé tout le terrain de football, à l’exception du rond central. Dans ce cas, la surface parcourue c’est tout le terrain de football. La surface brûlée c’est la superficie moins le rond central.”

Selon le capitaine, “plusieurs raisons peuvent expliquer le fait que ce rond n’ait pas brûlé”. “L’humidité du sol, le fait qu’il ait été protégé ou autre… C’est juste l’évolution naturelle du feu”, détaille Olivier Giust.

“Des objets bleus miraculeusement épargnés”

Qu’en est-il de certains “objets bleus” restés intacts après le passage des flammes ? Un des clichés les plus utilisés montre un paysage de désolation où il ne reste rien sauf une barrière et une poubelle bleue.

Le journal Le Parisien a interrogé Eric Brocardi, le porte-parole français de la fédération nationale des sapeurs-pompiers : “Aucune étude ne prouve qu’une couleur a, plus qu’une autre, le moindre effet face à un incendie. La réalité est beaucoup plus simple. Certains objets ou bâtiments peuvent être épargnés par le feu car celui-ci, sous l’effet des bourrasques comme celles très fortes qui soufflent et ont soufflé sur Los Angeles, saute d’un endroit à l’autre. C’est une des raisons pour laquelle les professionnels de la lutte contre les feux font la différence entre espace brûlé et espace parcouru par un incendie”, a-t-il expliqué à nos confrères.

“Ils utilisent des systèmes précis […] qui utilisent des armes à énergie dirigée”

Si les arbres et les objets bleus ont été épargnés, ce serait, selon le créateur de contenus, parce qu’ils n’auraient pas été visés ou qu’ils auraient pu résister à l’utilisation “d’armes à énergie dirigée”, une sorte de rayon laser.

Par qui cette arme serait utilisée ? La vidéo ici ne le dit pas. Elle fait référence à un “ils” non identifié. Cette théorie des “armes à énergie dirigée” n’est pas nouvelle. On la retrouve déjà lors d’incendies précédents comme pour les incendies d’Hawaï en août 2023, et déjà à cette époque cette théorie avait été vérifiée et invalidée par France Info.

En utilisant un outil de reconnaissance d’image on se rend compte que l’image ci-dessous, présentant une sorte de rayon laser qui semble percuter une mini-colline, est utilisée depuis de très nombreuses années. L’occurrence de cette image la plus ancienne retrouvée date d’il y a six ans dans un post sur le réseau social Reddit. Cette image a été utilisée pour illustrer tantôt des “armes à énergie dirigée” dans le cadre de différents incendies, tantôt pour illustrer le lancement d’une fusée de Space X. Nous avons remonté l’origine de cette image. Il s’agit de la base américaine de Vandenberg en Californie. Une base qui a servi de lancement pour le Space X Falcon 9 le 22 mai 2018. Donc bien il y a six ans.

Capture d’écran
Capture d’écran © D.R.

 

Au-delà de l’utilisation détournée de certaines images, se pose alors la question de savoir si les “armes à énergie dirigée” peuvent être responsables de feux en cours en Californie ?

Pour plusieurs raisons, la réponse est non, selon Alain de Neve, chercheur à l’Institut royal de défense.

Il définit les armes à énergie dirigée comme ayant la particularité “d’utiliser un faisceau d’énergie très concentré et dont l’objectif est de neutraliser ou de détruire une cible qui dispose de composants électroniques”. Elles peuvent, par exemple, “endommager les processeurs internes des missiles ou des drones contre lesquels elles sont dirigées”. Ces armes à énergie dirigée ne visent donc pas des bâtiments ou d’autres objets non-électroniques.

De plus, l’emploi de ces armes nécessiterait énormément de ressources en énergie et de ressources humaines. “Pourquoi mobiliser une arme à énergie dirigée alors que quelques hommes et un briquet suffisent ?”, s’interroge le chercheur. Et d’ajouter, “pour parvenir à produire une énergie très concentrée à travers un faisceau lui-même très concentré, cela demande une base d’énergie assez considérable”.

Enfin, sur la vidéo, l’un des arguments utilisés est de dire que si les maisons sont détruites et que le buisson à côté est épargné, c’est parce que “des systèmes précis” sont utilisés. “C’est une destruction ciblée et méthodique qui utilise des armes à énergie dirigée”, dit l’auteur de la vidéo.

Or, il s’agit d’armes bien trop précises, d’une précision plus fine que celle supposée par les propos dans cette vidéo. “Cette précision rend donc leur utilisation très limitée”, indique le chercheur. “Si ces armes étaient utilisées contre des bâtiments, elles ne produiraient aucun effet de destruction explosive. Par contre, elles mettraient complètement hors d’usage les circuits électriques des maisons ou des bâtiments publics”. En d’autres termes et pour exemple, si une arme à énergie dirigée avait été utilisée sur une maison elle n’aurait pas détruit la maison mais son système d’alarme.

“Les assurances ont été annulées avant les incendies”

L’information selon laquelle une partie des assurances couvrant les incendies ont été annulées avant les feux est plutôt vraie.

En mars 2024, le principal assureur de Californie, State Farm, a décidé de ne pas renouveler 72.000 contrats à partir du mois de juillet, comme le confirme cette lettre envoyée par la présidente de State Farm et adressée au régulateur. À l’échelle de l’État, cela représente 3% des contrats, selon l’assureur. Mais dans le quartier cossu de Pacific Palisades, à présent ravagé par les flammes, près de 70% des contrats n’ont pas été renouvelés par State Farm. Un des principaux assureurs a donc bien arrêté de couvrir une grande partie des habitations dans l’un des quartiers les plus touchés par les incendies.

State Farm n’est pas le seul assureur qui arrête de couvrir certains quartiers très exposés au risque d’incendie. Selon le Washington Post, au cours des deux dernières années, sept des douze principaux assureurs de Californie ont réduit leur couverture en n’émettant plus de nouveaux contrats ou en ne renouvelant pas les contrats existants dans certaines zones. Pour expliquer ce choix, les entreprises ont notamment cité l’inflation élevée, l’exposition aux catastrophes, mais aussi les coûts élevés liés à la réassurance.

Et les incendies actuels risquent d’accentuer cette tendance, laissant de nombreuses familles américaines dans l’incapacité d’assurer leur habitation.

“Le budget des pompiers a été réduit de 17 millions de dollars”

La maire démocrate de Los Angeles, Karen Bass, est sous le feu des critiques pour sa gestion des incendies. Il lui est notamment reproché d’avoir approuvé une coupe de 17 millions de dollars dans le budget des pompiers. En consultant le budget de la ville, approuvé en juin, on constate en effet que le montant alloué au département des incendies est passé de 837,19 millions de dollars en 2024 à 819,64 millions de dollars en 2025. Cela représente bien une diminution de 17,55 millions de dollars.

Dans un rapport publié en décembre, la cheffe des pompiers de Los Angeles, Kristin Crowley, a vivement critiqué cette coupe budgétaire, affirmant qu’elle risquait d’affecter la “capacité du département à maintenir ses opérations de base”, y compris la formation et la réponse aux urgences à grande échelle.

Karen Bass a répondu aux critiques lors d’une conférence de presse : “Aucune réduction n’a été effectuée qui aurait pu avoir un impact sur la situation à laquelle nous étions confrontés ces derniers jours”, a-t-elle affirmé.

Par ailleurs, selon le Los Angeles Times, le conseil municipal a approuvé, après l’adoption du budget 2025, une augmentation de salaire pour les pompiers et un budget supplémentaire pour des nouveaux équipements, le tout estimé à 111 millions de dollars. Si on prend en compte cette augmentation, les moyens alloués au budget des pompiers ont donc été augmentés pour 2025, toujours selon le quotidien californien.

“L’eau a été coupée”

Dans la vidéo virale analysée, l’internaute affirme que “l’eau a été coupée” à Los Angeles. Dans d’autres vidéos et publications, des utilisateurs accusent le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, d’avoir coupé volontairement l’approvisionnement en eau de Los Angeles.

Cette accusation renvoie à une publication du président élu Donald Trump sur Truth Social, dans lequel il accuse le gouverneur démocrate d’avoir refusé de signer “la déclaration de restauration de l’eau”, qui aurait permis, selon Donald Trump, “à des millions de litres d’eau […] de s’écouler quotidiennement dans de nombreuses régions de Californie, y compris les zones qui brûlent actuellement […]”. Les propos ont depuis été vérifiés par plusieurs médias, notamment de CNN et de la BBC. Ces articles de vérification ont démontré que cette affirmation était fausse.

Même si le sud de la Californie connaît une longue période de sécheresse, aucun de ses réservoirs n’est à un niveau significativement bas, comme le montrent les données officielles. Pour la plupart, ils sont même remplis à des niveaux historiquement hauts. Précisons toutefois que le réservoir de Santa Ynez, situé à Pacific Palisades mais non répertorié sur la carte, était fermé pour cause de travaux de maintenance. Il était vide quand le feu s’est déclaré dans le quartier.

Des responsables du Département de l’eau et de l’électricité de Los Angeles (DWP) ont déclaré à la BBC que si le réservoir de Santa Ynez avait été opérationnel, il aurait pu augmenter l’approvisionnement en eau, mais on ne sait pas quel aurait pu être son réel impact.

Par contre, il est vrai que dans certains quartiers, les pompiers ont été confrontés à des pénuries d’eau. L’information a été confirmée par le gouverneur de Californie, qui a appelé à une enquête indépendante sur la perte de pression d’eau de certaines bouches d’incendie et sur “l’indisponibilité signalée de l’approvisionnement en eau du réservoir de Santa Ynez”.

Cependant, il est donc faux de dire que l’eau a été, totalement ou en partie, volontairement coupée dans l’ensemble de Los Angeles.

Une smart city prévue à Los Angeles mais aucun lien avec les incendies

Si certains événements pointés du doigt sont bien véridiques, d’autres sont erronés et d’autres sont utilisés de façon fallacieuse. Dans tous les cas, ils ne permettent pas d’établir une corrélation entre l’apparition de ces feux et la création d’une ville intelligente. Il n’existe aucune preuve que ces feux aient été créés intentionnellement pour faire de Los Angeles une “smart city”. D’autant plus que la création d’une ville intelligente ne nécessite pas de détruire des bâtiments existants pour être mise en place.

De nombreuses fausses informations ont circulé autour des feux meurtriers qui ont eu lieu en Californie mais qui n’ont rien à avoir avec l’idée d’une ville intelligente. C’est le cas, par exemple, de la théorie selon laquelle des militaires ukrainiens possédaient plusieurs manoirs partis en fumée dans les incendies. Depuis le début des incendies, plusieurs de ces fausses informations ont pu être vérifiées et invalidées, notamment par NewsGuard.