Suite à la publication d’un article scientifique mettant en évidence la présence d’ARN messager des vaccins contre le Covid-19 dans certains échantillons de lait maternel, de nombreux messages d’alerte de personnalités ouvertement anti-vaccins se multiplient sur les réseaux sociaux. L’éventuel “danger” sur la santé du nourrisson qu’ils dénoncent est pourtant écarté tant par les auteurs de ce même article que par la communauté scientifique.
Face à la nouvelle vague de Covid-19 prévue par certains experts pour mi-octobre en Belgique, la vaccination reste selon eux, l’arme la plus efficace pour limiter son ampleur, à ce stade. Pourtant, les réfractaires aux vaccins restent mobilisés, notamment sur les réseaux sociaux, pointant du doigt les dérives que ces injections pourraient engendrer sur la santé humaine, et en particulier celle des nouveau-nés.
A ce titre, plusieurs personnalités covido-spectiques ont massivement relayé sur internet (ici, ici, là ou là) les résultats d’une étude scientifique publiée le 26 septembre dernier dans la revue américaine Jama Pediatrics qui révèle pour la première fois la présence de trace d’ARN messager (ARNm) dans le lait maternel de femmes récemment vaccinées.
Parmi eux, Alexandra Henrion-Caude, ancienne généticienne à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (France), désormais figure de proue du mouvement antivaccin, partage cette étude sur son compte Twitter, suivi par plus de 107.000 abonnés, avec ce message : “Je continuerai à ALERTER les femmes enceintes & celles qui allaitent !“.
Qu’en est-il dans les faits : cette étude met-elle vraiment en garde les mères d’allaiter leurs nouveau-nés ? Ce ne sont pas les conclusions tirées par les auteurs de cette même étude, comme celles du reste de la communauté scientifique.
Que dit cette étude ?
L’étude de Jama Pediatrics porte sur onze jeunes mères allaitantes qui ont reçu soit le vaccin Moderna soit celui de Pfizer, et avaient pour consigne de prélever leur lait un jour avant puis durant les cinq jours post-vaccination. Sur les 131 échantillons de lait maternel recueillis, sept d’entre eux ont révélé la présence de l’ARNm, appartenant à cinq des participantes.
Pour rappel, l’ARNm est “l’information génétique qui permet à la personne vaccinée de produire la protéine Spike du vaccin. Cette protéine est la cible du vaccin et va activer la production d’anticorps (anti-Spike) une fois arrivée dans les ganglions grâce aux cellules du système immunitaire“, explique l’immunologue à l’Université libre de Bruxelles (ULB), Muriel Moser.
Par ailleurs, cette étude montre que les détections de l’ARNm sont circonscrites dans le temps : “aucun ARNm du vaccin n’a été détecté dans les échantillons [prélevés] prévaccination ou post-vaccination au-delà de 48 heures de collecte“.
Les auteurs de cette étude font ainsi preuve de prudence en insistant sur ce délai de deux jours post-vaccination : “il convient d’être prudent quant à l’allaitement d’enfants de moins de 6 mois dans les 48 heures suivant la vaccination maternelle, jusqu’à ce que d’autres études de sécurité soient menées“.
Il n’en fallait pas moins pour que certains internautes anti-vaccins fassent de cette phrase la conclusion générale de l’étude.
Allaitement post-vaccination “sans danger” selon cette étude
Doit-on s’inquiéter de la présence de l’ARNm dans le lait maternel pour la santé du nourrisson allaité, comme le prétendent ces internautes covido-spectiques ? “Pas du tout, répond Muriel Mosel, et ce pour deux raisons“.
D’abord, les quantités d’ARNm retrouvées dans le lait maternel sont trop infimes pour que celui-ci puisse produire une quelconque protéine “Spike” chez le nouveau-né allaité et ainsi entraîner une réponse immunitaire. En effet, la quantité moyenne d’ARNm retrouvé dans le lait est de l’ordre de 9.1 picogrammes par millilitres comme l’indique l’étude. “Cela fait 9 nanogrammes par litre de lait par jour, soit entre 3000 et 10.000 fois moins que la quantité injectée pour la vaccination avec Pfizer ou Moderna” a calculé Muriel Moser. Elle ajoute qu'”avec cette échelle de grandeur, on ne voit pas très très bien comment il pourrait y avoir une protéine exprimée“.
Une immunologue de l’Imperial College de Londres indique par ailleurs que ces microtraces d’ARNm dans le lait maternel équivalent à “une seule larme dans une piscine olympique“.
Outre les quantités infimes d’ARNm retrouvées dans le lait maternel, la seconde raison de ne pas s’inquiéter tient à l’acidité du système digestif du nourrisson. En effet, une fois ingérée le lait traverse le tube digestif du nouveau-né dont le pH (“Potentiel hydrogène”) est très acide, “de l’ordre de 1,5 à 2” d’après Muriel Moser. “En arrivant dans l’estomac du nourrisson, l’ARNm sera donc complètement dégradé” ajoute l’immunologue de l’ULB.
Au vu de ces résultats, les auteurs de l’étude de Jama Pediatrics estiment que, contrairement à l’interprétation faite par ces internautes antivaccins, la présence potentielle d’ARNm dans le lait maternel n’est pas considérée comme inquiétante pour la santé de l’enfant allaité.
Les auteurs écrivent clairement dans la conclusion de leur étude : “La présence sporadique et les quantités infimes d’ARNm du vaccin Covid-19 détectées dans les [échantillons] suggèrent que l’allaitement après une vaccination à l’ARNm du Covid-19 est sans danger, en particulier au-delà de 48 heures après la vaccination“.
Un consensus scientifique en faveur de l’allaitement post-vaccination
Bien avant la publication de cet article, l’hypothèse d’une présence de l’ARN messager dans le lait maternel n’était pourtant pas exclue, sans pour autant inquiéter les experts. En effet, comme on peut le lire dans l’avis 9622 du SPF Santé publique de décembre 2020 : “si l’ARNm ou [les] protéines Spike vaccinaux devaient passer dans le lait maternel, [ils] seraient vraisemblablement détruits dans le tube digestif du nouveau-né (ARNm) et/ou n’y auraient aucun effet délétère (protéine Spike)“.
En France également, la Haute Autorité de Santé (HAS) stipulait avant la parution de cette étude que “la vaccination par un vaccin à ARNm est envisageable chez une femme qui allaite“. La HAS se basait notamment sur les résultats d’une étude singapourienne publiée en janvier 2022 qui révèle qu'”aucun des enfants [allaités par les 35 femmes participantes] ne présentait d’ARNm dans le sang, probablement grâce à une dégradation dans le système digestif“.
Quid des autres vaccins ? La conclusion est la même pour les vaccins dits à adénovirus, tels que le Vaxzeria (ex-AstraZeneca). “L’adénovirus recombinant serait aussi dégradé dans le système digestif” indique ainsi Muriel Moser.
L’immunité au SARS-COV 2 via le lait maternel
Au vu des quantités infimes d’ARNm détectées dans le lait et de sa dégradation dans le système digestif du nourrisson, un effet biologique du vaccin sur le nourrisson est donc extrêmement improbable. En revanche, allaiter son enfant en période de pandémie est non seulement sans-danger, mais hautement recommandé par les experts scientifiques.
Ce sont les conclusions de plusieurs études dont une norvégienne parue en juin 2022 réalisée durant la prédominance des variants Delta puis Omicron, chez plus de 21.000 enfants durant les quatre premiers mois de leur vie. Elle révèle ainsi “un taux de contamination par le coronavirus inférieur chez les nouveau-nés de mère vaccinée par vaccin à ARNm“.
Selon la HAS en France, le résultat de cette étude norvégienne “est important puisqu’il suggère un effet protecteur passif du nouveau-né par la vaccination maternelle, alors que ces enfants présentent des infections plus sévères que les enfants plus âgés et qu’il n’existe pas encore de vaccin pour les moins de 5 ans“.
Une autre étude parue en juillet 2022 dans la revue Jama Internal Medicines, confirme ces données en précisant que le nombre et la gravité des infections au coronavirus sont moindres (moins de recours aux soins intensifs) chez les nouveau-nés de mères vaccinées avec deux doses.
Selon Muriel Moser, la protection via le lait maternel s’explique effectivement par le fait qu'”une mère immunisée grâce à la vaccination ou à une infection au SARS-COV 2 transmet cette immunité à son enfant via ses anticorps à travers le placenta, le sang du cordon, puis dans le lait“.
Par ailleurs, à ce jour, aucune transmission du virus de la Covid-19 par le lait maternel ou l’allaitement n’a été observée, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, qui recommande de continuer à allaiter son enfant même en cas de contraction de la maladie par la mère.
Le double avantage de la vaccination des femmes enceintes et allaitantes
Contrairement à ce que certains internautes affirment, l’étude de Jama Pediatrics ne met pas en garde les femmes récemment vaccinées d’allaiter leur enfant. Au contraire, le lait maternel peut contenir des anticorps utiles pour immuniser le nourrisson face au virus du SARS-COV 2. L’ARNm présent dans certains échantillons de lait n’est, quant à lui, pas alarmant tant par sa quantité infime, que sa destruction par les sucs gastriques acides du nourrisson.
La vaccination contre le Covid-19 présente donc un double avantage, pour l’enfant et pour la femme enceinte et allaitante. Comme l’indique également la plateforme jemevaccine.be, les vaccins permettent de protéger les femmes à près de 90% contre une forme sévère de la maladie, évitant ainsi des accouchements prématurés.