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Attention à ces faux documents qui justifieraient l’acquisition de yachts par le président ukrainien

Attention à ces faux documents qui justifieraient l'acquisition de yachts par le président ukrainien - Featured image

Author(s): Hailey JO / Claire-Line NASS / AFP Corée du Sud

Alors que la guerre en Ukraine s’apprête à entrer dans sa troisième année, poussant plusieurs pays à continuer de verser d’importantes aides militaires à l’Ukraine, des images de documents présentés comme des actes de vente de deux yachts luxueux ont largement été partagés sur les réseaux sociaux. Elles sont associées à des légendes prétendant que les bateaux auraient été acquis par le président ukrainien Volodymyr Zelensky via un montage financier, et avec l’argent des aides occidentales. C’est trompeur : l’association citée dans les prétendus documents de vente a indiqué que ces derniers ont été falsifiés, indiquant que c’est son ancien logo, aujourd’hui plus utilisé, qui y est apposé. Et les courtiers en charge de la gestion des deux yachts ont confirmé à l’AFP que ces derniers étaient toujours en vente en janvier 2024.

Depuis l’invasion militaire russe en Ukraine en février 2022, une vague de désinformation pro-Kremlin visant notamment à discréditer le président ukrainien Volodymyr Zelensky a envahi les réseaux sociaux.

Depuis fin novembre 2023, des publications partagées dans plusieurs langues dont l’anglais, le français ou le coréen, ont diffusé des documents prétendant que le président ukrainien aurait fait l’acquisition, en pleine guerre entre son pays et la Russie, de deux luxueux yachts.

Cette rumeur a d’abord pris de l’ampleur auprès d’une audience anglophone en étant partagée sur le site “DC Weekly“, un média créé par un ancien militaire américain résident aujourd’hui en Russie et qui a déjà diffusé des allégations trompeuses sur la guerre en Ukraine, selon des spécialistes de la désinformation interrogés par la BBC (lien archivé ici), ainsi que sur la page Facebook de “Redacted“, une émission en ligne aux Etats-Unis.

Les publications mettent en avant des photos desdits yachts, ainsi que des documents qui prouveraient l’acquisition de l’un d’entre eux, appelé “My Legacy“, le “25 octobre 2023” par un proche de Zelensky, “Serhiv Shefir“, pour “49.750.000, 00 dollars“.

Les légendes des publications totalisant plusieurs milliers de partages et des dizaines de milliers de vues en français sur X, Facebook et Telegram ont ajouté qu’un autre yacht, “le ‘Lucky Me’” aurait quant à lui été acheté par “les frères Boris et Sergey Shefir, proches de Zelensky“, pour le compte de ce dernier.

Au total, ces deux achats auraient coûté “75 millions de dollars“, certaines publications prétendant que cet argent aurait été prélevé par le président ukrainien aux aides données par des pays occidentaux à l’Ukraine dans le cadre de la guerre qui l’oppose à la Russie depuis l’invasion militaire de cette dernière, en février 2022.

Capture d’écran d’une publication Facebook, prise le 22/01/2024

Cependant, le bureau du président ukrainien a réfuté auprès de la BBC en décembre 2023 (lien archivé ici) les assertions concernant l’achat de ces yachts, affirmant que Volodymyr Zelensky et les membres de sa famille “n’ont pas et n’ont jamais eu de yachts“.

Depuis, plusieurs vidéos présentant ces allégations, dont celle de “Redacted“, semblent avoir été retirées des réseaux sociaux, mais ont refait surface sur d’autres plateformes, comme BitChute et TikTok.

Des documents falsifiés

Les prétendus documents qui attesteraient de l’achat du “My Legacy” mentionnent à plusieurs reprises la “Mediterranean Yacht Brokers Association“, instance qui aurait “approuvé” la transaction. Un logo avec le nom de cette organisation figure en tête des pages.

On retrouve le nom de cette association, basée en France, dans une annonce (archivée ici) parue le 29 novembre 2008 dans le Journal officiel des associations et fondations d’entreprise (JOAFE), qui recense des informations officielles liées aux associations françaises.

Cette annonce indique néanmoins que l’association avait alors été rebaptisée “MYBA The Worldwide Yachting Association“, et ne porte donc plus aujourd’hui le nom qui est indiqué sur les documents diffusés sur les réseaux sociaux.

L’AFP a par ailleurs constaté, en consultant des archives de pages du site de l’association, que le logo figurant sur les prétendus documents de la vente du yacht ne semble pas avoir été utilisé par la MYBA depuis 2014.

Désormais, lorsque l’on se rend sur son site, le graphisme du logo semble totalement différent (lien archivé ici).

Comparaison d’une capture d’écran des faux documents (à gauche) et du logo actuel de l’association (à droite)

Les documents contenus dans les publications sur les réseaux sociaux “ont manifestement été altérés“, a déploré Jane Adlington-Brumer, secrétaire générale de MYBA, à l’AFP le 15 janvier, ajoutant que le “logo actuel de notre association date de 2021“, celui présenté dans les documents n’étant aujourd’hui plus utilisé.

L’AFP a néanmoins pu remarquer que les documents fabriqués ressemblent à un ancien modèle-type de contrat d’achat qui figurait sur le site web de la MYBA. Mais Jane Adlington-Brumer a assuré que ce modèle n’était, en janvier 2024, “plus approuvé par MYBA“.

Des yachts toujours à vendre en janvier 2024

Les courtiers en yachts de luxe en charge des deux bateaux mentionnés dans les publications ont déclaré à l’AFP que “My Legacy” et “Lucky Me” n’avaient pas été vendus en janvier 2024, contrairement à ce qu’affirment les messages sur les réseaux sociaux.

Le yacht ‘My Legacy’ est toujours en vente et Burgess est la seule agence en charge de sa gestion. Le yacht n’a pas été vendu“, a déclaré Nicci Perides, porte-parole de Burgess, le 8 janvier, à l’AFP.

Les messages sur l’achat du deuxième yacht par le président ukrainiens sont “totalement trompeurs et faux“, a également indiqué un représentant de BehneMar, la société qui a mis en vente le yacht “Lucky Me“, a déclaré à l’AFP le 10 janvier.

Le yacht n’a pas été vendu et est toujours en vente via BehneMar, qui est la seule agence en charge de sa gestion“, a-t-il déclaré.

Les deux bateaux “My Legacy” et “Lucky Me” sont en effet toujours cités comme étant “à vendre” sur les sites respectifs de Burgess et BehneMar au 22 janvier 2024 (liens archivés ici et ici).

Volodymyr Zelensky mis en cause dans les Pandora Papers

Les allégations trompeuses visant à présenter le président ukrainien ou d’autres personnalités politiques ukrainiennes comme des personnes corrompues, utilisant l’argent envoyé par des pays occidentaux dans le cadre de la guerre avec la Russie, sont récurrentes depuis le début de cette dernière.

L’AFP en avait déjà vérifié plusieurs, comme ici au sujet de détournement présumé de l’aide américaine par le président ukrainien,  à propos d’une luxueuse villa du sud de la France prétendument achetée par le ministre de la Défense en 2023, ou encore  à propos de l’achat prétendu de l’ancienne villa de Joseph Goebbels par le président ukrainien.

Volodymyr Zelensky, qui a fondé son image sur la lutte contre la corruption, avait par ailleurs été mis en cause dans les révélations des Pandora Papers, vaste enquête (lien archivé ici) du Consortium international des journalistes d’investigation publiée en 2021, et qui s’appuyait sur 11,9 millions de documents provenant de 14 sociétés de services financiers.

Graphique comparant l’affaire des Pandora Papers aux fuites de documents précédentes, en terme de taille des données, types et nombres de documents – AFP

L’enquête l’accusait alors d’avoir mis en place à partir de 2012 un réseau d’entreprises offshore, qui aurait notamment servi à acheter trois propriétés cossues à Londres. Selon cette enquête, juste avant son élection à la présidence ukrainienne en 2019, Volodymyr Zelensky avait cédé ses parts dans l’une de ces sociétés offshore, Maltex Multicapital, à son associé de l’époque, Serguï Chefir, devenu ensuite son premier conseiller.

L’administration présidentielle ukrainienne avait argué à l’époque que Volodymyr Zelensky et ses associés tentaient de se “protéger” contre les “actions agressives” du régime de l’ex-président pro-russe Viktor Ianoukovitch.

Un bureau national anti-corruption 

Jointe par l’AFP le 10 janvier 2023, Maria Popova, professeure de science politique à l’Université McGill de Montréal et spécialiste des questions de corruption, avait indiqué que “beaucoup d’informations sont connues” sur le patrimoine des personnalités politiques ukrainiennes et que “le niveau de transparence à ce sujet est équivalent à celui en vigueur dans les pays occidentaux“.

Depuis 2014, le Bureau national anti-corruption (NABU) d’Ukraine enquête sur la corruption dans le domaine public et peut saisir la justice. Rien que ces derniers jours, un député (lien archivé ici) du parti de Zelensky et un juge (lien archivé ici) ont été épinglés par le NABU pour des irrégularités dans leur déclaration de revenus de 2021, et ils feront l’objet d’une procédure judiciaire“, avait ajouté l’experte.

L’Ukraine, dont l’effort de guerre dépend en majeure partie du soutien occidental, a été secouée en janvier 2023 (lien archivé ici) par un important scandale de corruption présumée concernant des approvisionnements de l’armée. Plusieurs responsables politiques ont été limogés.

Selon Oleksandre Novikov (lien archivé ici), chef de l’Agence nationale de prévention de la corruption ukrainienne (Nazk) interrogé par l’AFP en 2023, les pertes financières de l’Ukraine liées à la corruption étaient estimées à environ sept milliards d’euros par an en 2020.

La plupart de ces pertes étaient liées au secteurs du fisc et des douanes. Depuis, aucun changement considérable n’a eu lieu“, regrettait le responsable.

En revanche, il avait affirmé que son agence n'[avait] trouvé aucune violation majeure dans l’utilisation de l’aide occidentale” jusqu’alors. Si des infractions concernant l’assistance humanitaire avaient été découvertes, elles n’étaient pas “importantes ou systémiques“, assurait Oleksandre Novikov.

Il avait aussi pressé le gouvernement de réinstaurer la publication en ligne des déclarations de revenus des responsables étatiques et l’utilisation du système des enchères électroniques pour les achats non-militaires de l’armée, suspendues pour la durée de la guerre.

Ces instruments doivent être restaurés, et seulement après nos partenaires seront sûrs que leur aide est utilisée correctement“, avait estimé Oleksandre Novikov.

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