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Autant de malades de longue durée en Belgique qu’en Allemagne ? C’est faux, même si la Belgique est le plus mauvais élève européen

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Author(s): Guillaume Woelfle

Le gouvernement De Wever a conclu dans son accord de gouvernement puis dans son accord de Pâques un plan (« terug naar werk », « retour au travail ») pour réduire le nombre de malades de longue durée dans notre pays. On comptait fin 2023, environ 527.000 personnes écartées du travail depuis plus d’un an selon l’INAMI. D’après le gouvernement, la réduction de ce nombre passera par la responsabilisation des entreprises, des médecins et des travailleurs. Car selon lui, la Belgique compte proportionnellement beaucoup plus de malades de longue durée que les pays voisins, ce qui témoigne d’abus dans notre pays.

À plusieurs reprises ces derniers mois, plusieurs membres du gouvernement ou députés de la majorité ont ainsi indiqué qu’il y avait « autant de malades de longue durée en Belgique qu’en Allemagne », alors que l’Allemagne est sept fois plus peuplée que la Belgique (un peu plus de 83 millions d’habitants en Allemagne, un peu moins de 12 millions d’habitants en Belgique).

Ainsi, en décembre dernier, le chef de groupe de la N-VA à la Chambre, Axel Ronse, a déclaré au Parlement : « En Belgique, il y a autant de malades de longue durée qu’en Allemagne. » Une déclaration reprise dans un tweet de la N-VA vu près de 150.000 fois.

Plus récemment, dans l’émission QR du 2 avril sur la Une (RTBF), la ministre des Classes moyennes, des indépendants et des PME, veut rassurer sur la solidarité de l’État envers les personnes malades, mais en ajoutant aussi (après 51 minutes) : « 526.000 malades de longue durée, je me pose une question : on a plus de malades de longue durée qu’en Allemagne, alors que l’Allemagne compte 8 fois plus d’habitants (7 fois plus d’habitants, NDLR). » Cette déclaration a aussi été relayée dans un article publié sur le site du MR mis en ligne le 3 avril 2025.

Enfin, ce samedi 3 mai, c’est le ministre fédéral de l’Emploi, David Clarinval (MR) qui a utilisé cette comparaison avec les chiffres allemands dans une interview accordée à la Libre : « On a aussi le dossier ‘terug naar werk’, qui vise à faciliter le retour au travail : il y a 520.000 malades de longue durée en Belgique. C’est autant qu’en Allemagne… sauf que la population allemande est huit fois supérieure ! ».

En Belgique : 526.000 malades absents du travail… et un peu plus

En termes de chiffres de malades de longue durée, il n’existe pas de format de statistiques communes à tous les pays d’Europe permettant de comparer les pays entre eux, comme c’est le cas pour le chômage par exemple. Chaque pays compte donc différemment ses malades de longue durée, ce qui rend les comparaisons très difficiles.

En Belgique, le nombre de malades de longue durée ne fait pas débat et est facilement identifiable. L’INAMI, l’institut national d’assurance maladie invalidité en décomptait 526.507 au 31 décembre 2023. Ce chiffre est en fait composé de deux sources différentes :

  • [493.681 salariés et chômeurs](https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/stat_si2023_1_invalidite.pdf).
  • [32.826 indépendants](https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/stat_si2023_1_invalidite_independant.pdf).

Ce total de 526.507 au 31 décembre 2023 sont des données encore provisoires indique l’Inami, mais il représente déjà une augmentation de 17,5% par rapport à 2019 (447.867 personnes) et même de 89%, soit quasiment un doublement du nombre de personnes en incapacité de plus d’un an par rapport à 2010.

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Ce chiffre de l’Inami ne compte que des personnes écartées du travail depuis au moins un an. Celles qui sont donc malades moins d’un an au 31 décembre 2023 ne sont donc pas comptabilisées.

Les fonctionnaires exclus du décompte en raison de leur statut particulier

Ce chiffre de l’Inami ne tient pas compte du nombre de fonctionnaires absents du travail pour cause de maladie pour deux raisons.

D’une part, les décomptes sont propres à chaque niveau de pouvoir ou chaque administration. À titre d’exemple, en 2023, nous comptions 7589 malades de plus de 30 jours (mais pas forcément de plus d’un an) parmi les fonctionnaires fédéraux, selon une étude de Medex, le service public fédéral de l’expertise médicale.

Par ailleurs, le régime particulier des fonctionnaires leur donne droit à un nombre de congés de maladie (21 jours) par an qui s’accumulent chaque année s’ils ne sont pas épuisés. Lorsqu’ils sont épuisés, en raison d’une maladie longue, ils sont alors « mis en disponibilités », ce qui se rapproche le plus de la situation de malades de longue durée d’application dans le système privé. Selon François Perl, expert en santé publique et sécurité sociale chez Solidaris et proche du Parti socialiste, il faut compter environ 60.000 fonctionnaires « mis en disponibilité » dans notre pays.

Et en Allemagne ? Plusieurs sources contradictoires

Nous avons contacté les porte-paroles de la N-VA, de la ministre Simonet (MR) et du ministre Clarinval (MR) pour connaître la source utilisée pour établir que l’Allemagne a le même nombre de malades de longue durée que la Belgique, soit environ 527.000. Ceux-ci nous ont transmis plusieurs sources et chiffres différents.

  • **Le pourcentage de personnes absentes du travail pour cause de maladie ou de handicap selon Eurostat**
  • **Le nombre de bénéficiaires de pensions d’invalidité selon Eurostat**
  • 522.000 personnes en invalidité permanente et définitive selon De Statis

Le pourcentage de personnes absentes du travail pour cause de maladie ou de handicap selon Eurostat

La N-VA nous indique se baser sur un rapport du Conseil supérieur de l’emploi de 2024 qui, selon le parti nationaliste flamand, indique que « 7,2% des Belges âgés de 20 à 64 ans sont malades de longue durée ou en incapacité, contre 4% en Allemagne (4,3%, NDLR). »

Le chiffre cité par la N-VA fait référence au premier graphique du rapport. Il ne concerne pas que les malades de longue durée, mais le pourcentage de personnes de 20 à 64 ans qui, selon la définition d’Eurostat « ne veulent pas travailler, ne sont pas à la recherche d’un emploi ou ne sont pas disponibles pour travailler parce qu’elles sont atteintes d’une maladie ou d’un handicap », sur base de l’enquête annuelle sur les forces de travail d’Eurostat. Cette méthode de récolte de données est un sondage et non un décompte précis réalisé par chaque pays.

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Cette source ne permet pourtant pas d’arriver à la conclusion de la N-VA. D’une part, parce que ce chiffre ne concerne pas que les malades de longue durée (au moins 1 an), mais tous les malades. D’autre part, l’application de ces pourcentages à la population de 20 à 64 ans des deux pays ne permet pas de trouver une équivalence entre Belgique et Allemagne en chiffres absolus.

  • En Belgique, on compte 6,81 millions de personnes de 20 à 64 ans, au 1er janvier 2024 selon [Stabel](https://statbel.fgov.be/fr/themes/population/structure-de-la-population). Si le taux de malades est de 7,2%, cela représente 490.000 personnes absentes du travail pour cause de maladie. Un chiffre proche de celui de l’Inami (526.000 personnes).
  • En Allemagne, on compte 49,16 millions de personnes de 20 à 64, au 31 décembre 2024 selon [DeStatis](https://www-genesis.destatis.de/datenbank/online/statistic/12411/table/12411-0005) (l’équivalent allemand de Statbel). Si le taux de malades est de 4,3%, cela représente 2,11 millions de personnes.

Cette source, au-delà du fait qu’elle ne concerne pas que les malades de longue durée, montrerait quatre fois plus de malades en Allemagne qu’en Belgique.

Le nombre de bénéficiaires de pensions d’invalidité selon Eurostat

Le porte-parole de la N-VA indique qu’Eurostat rassemble d’autres données permettant de retrouver le chiffre allemand, mais aucun tableau d’Eurostat consacré aux personnes absentes du travail pour cause de maladie (ici, ici, ici ou ici) ne donne de taux similaires entre Belgique et Allemagne ou de chiffres absolus qui corroborent le chiffre de 526.000 malades de longue durée en Allemagne.

Un tableau d’Eurostat indique 942.000 bénéficiaires de pensions d’invalidité en Belgique en 2022, contre 2,17 millions d’Allemands. D’après ces chiffres, l’Allemagne aurait encore le double de bénéficiaires de pensions d’invalidité par rapport à la Belgique. Selon François Perl de Solidaris, ces chiffres comptent les malades de longue durée, mais aussi ceux de courte durée.

522.000 personnes en invalidité permanente et définitive selon De Statis

Du côté de la ministre Simonet (MR), la porte-parole nous indique que la source du nombre de malades de longue durée en Allemagne est un communiqué de presse de mars dernier de De Statis, le « Statbel allemand ».

Ce communiqué de presse indique : « Environ 522.000 personnes, soit 41,4%, des bénéficiaires des prestations de sécurité sociale de base étaient âgées de 18 ans ou moins de l’âge de la retraite. Ils ont reçu la prestation en raison d’une incapacité totale et permanente de travail. Cela signifie qu’en raison d’une maladie ou d’un handicap, ils n’ont pas pu travailler trois heures par jour dans les conditions habituelles du marché du travail général pendant une période de temps imprévisible », selon la traduction réalisée par l’outil en ligne « Deepl ».

Ce chiffre de 522.000 est donc similaire au chiffre belge de 526.000 personnes cité par l’Inami en Belgique, et serait alors à l’origine de l’équivalence entre le nombre de malades de longue durée des deux côtés de la frontière.

Cependant, selon l’Association nationale des caisses d’assurance maladie allemande nommée GKV-spitzenverband que nous avons contactée, ce chiffre ne correspond pas à notre recherche. Il ne reprend que les personnes qui bénéficient de l’allocation de sécurité sociale de base (« Grundsicherung im Alter und bei Erwerbsminderung ») qui n’est accordée qu’en cas d’invalidité définitive et permanente. Autrement dit, un travailleur en maladie qui pourrait un jour revenir au travail ne figure pas dans ce décompte, alors que c’est le cas pour un malade de longue durée en Belgique.

Pour pouvoir avoir un chiffre qui se rapproche davantage de celui de l’Inami belge, le service communication du GKV-spitzenverband nous renvoie aux statistiques mensuelles et annuelles du Ministère fédéral allemand de la Santé qui affichent les « membres en incapacité de travail, ayant droit à des indemnités de maladie » (« Arbeitsunfähige, krankengeldberechtigte Mitglieder »). Ces chiffres varient énormément d’un mois par rapport à l’autre ce qui indique qu’il ne s’agit pas uniquement de malades de longue durée, mais de tous les malades enregistrés le 1er jour de chaque mois (ou la moyenne sur un an).

En moyenne, on dénombre en 2023 et 2024 environ 2 millions d’Allemands en incapacité de travail, ayant droit à des indemnités de maladie. Ce chiffre est à la fois proche de celui d’Eurostat (2,17 millions), dont on sait qu’il comptabilise les malades quelle que soit leur durée d’incapacité, mais aussi du pourcentage de 4,3% de 20-64 ans qui sont inactifs en raison d’une maladie ou d’un handicap (2,11 millions).

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Pour le MR et la N-VA, l’absence de chiffre ne réduit pas l’ampleur du problème belge

Ni le porte-parole de la N-VA, ni ceux des ministres MR ne contestent l’absence de chiffres permettant de comparer le nombre de malades de longue durée en Belgique et en Allemagne. Pour la N-VA, cela n’enlève rien au fait que « depuis 2010, la Belgique obtient des résultats inférieurs à la moyenne européenne et l’écart se creuse ».

Le porte-parole du ministre de l’Emploi David Clarinval insiste la Belgique garde un nombre de malades plus élevé que l’Allemagne, en fonction de son nombre de travailleurs. Et ajoute : « Le ministre Clarinval entendait souligner sur base des chiffres de l’OCDE qu’entre 2007 et 2018, la Belgique a connu une hausse de 5,96% vers 9,18% tandis que l’Allemagne a connu une hausse de 4,44 vers 4,77% », justifie son porte-parole. Il s’agit de chiffres de l’OCDE de 2020 sur la part de personnes qui perçoivent une indemnité d’invalidité, et qui se trouvent également dans le rapport du Conseil Supérieur de l’Emploi mentionné ci-dessus. Ces chiffres montrent « hausse de 3,22% chez nous contre 0,33% chez eux. On a donc, sur une décennie, une hausse 10 fois plus importante au regard de l’Allemagne », ajoute le porte-parole.

En conclusion : un chiffre allemand plus bas en proportion que la Belgique mais deux à quatre fois plus élevé en absolu

Il n’existe pas de source permettant de comparer clairement le nombre de malades de longue durée (de plus d’un an) entre la Belgique et l’Allemagne. Le chiffre de 527.000 en Belgique est correct, mais nous n’avons trouvé aucune statistique allemande qui ne compte que cette catégorie de malades.

Le chiffre de 522.000 Allemands en incapacité de travail cité, et proche des 526.000 malades de longue durée recensés par l’Inami en Belgique, ne compte que les personnes définitivement en invalidité de travail, ce que ne fait pas l’Inami.

En revanche trois sources différentes décomptent un nombre de malades, en général, en Allemagne autour des deux millions de personnes, contre 500.000 à 900.000 en Belgique.

  • L’enquête sur les forces de travail d’Eurostat relayée dans un rapport du Conseil supérieur de l’emploi établit que 4,3% des 20-64 ans Allemands sont inactifs en raison d’une maladie ou d’un handicap, soit 2,11 millions de personnes. En comparaison, le pourcentage belge de 7,2% donne 490.000 Belges inactifs pour cause de maladie. Ce chiffre, obtenu par sondage, est sous-estimé par rapport aux 526.000 personnes malades de longue durée comptabilisées par l’Inami.
  • Le nombre d’Allemands en incapacité de travail et ayant droit à des indemnités de maladie, quelle que soit la durée d’invalidité, est d’environ 2 millions, selon les statistiques du ministère allemand de la Santé.
  • Un autre décompte réalisé par Eurostat indique 942.000 bénéficiaires de pensions d’invalidité quelle soit la durée de l’incapacité en Belgique en 2022, contre 2,17 millions d’Allemands.

Il n’existe donc aucune preuve que la Belgique et l’Allemagne ont le même nombre de malades de longue durée. Ces chiffres, les seuls disponibles, indiquent un nombre de malades, en général, deux à quatre fois plus élevé en Allemagne qu’en Belgique, en chiffres absolus.

Selon le Conseil Supérieur de l’Emploi, la Belgique est le pays qui possède le plus haut taux d’incapacité de travail en termes relatifs : 7,2% de la population de 20 à 64 ans est inactive pour cause de maladie ou de handicap contre 4,3% en Allemagne.