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Canicule : les cartes météo sont-elles manipulées ?

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Author(s): Romane Bonnemé

Tandis qu’une vague de chaleur sévit actuellement en Europe, de nombreuses publications d’internautes sceptiques sur la conception des cartes météo réapparaissent et se multiplient sur les réseaux sociaux. Selon eux, ces cartes seraient “manipulées” pour “coller la peur au ventre” ou “faire encore plus anxiogène” au sujet du réchauffement climatique. Si cette prétendue opacité sur le choix des couleurs de ces cartes est infondée, la hausse des températures en Europe et dans le reste du monde est, quant à elle, bien réelle.

Les cartes météo exagèrent-elles le changement climatique ? Cet argument, largement partagé sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années par un ensemble d’internautes qui doutent de la neutralité de ces représentations graphiques diffusées à la télévision, refait surface alors que l’Europe connaît une forte canicule.

Selon eux, la palette des couleurs serait plus “alarmiste” aujourd’hui qu’il y a quelques années. En cause ? Les coloris rouges utilisés pour signifier une température élevée identique seraient ainsi plus écarlates qu’auparavant.

Cela ne date pas d’hier. En 2019 déjà, deux cartes de l’Allemagne – l’une en 2009 et l’autre en 2019 – avaient fortement circulé et fait l’objet d’une vérification de la part de l’Agence France Presse (AFP).

La vague actuelle de chaleur en Europe, et notamment en France et en Belgique, est l’occasion pour ces internautes de ressortir ces archives et l’argumentaire climatosceptique sous-jacent (ici ou ).

A titre d’exemple, le 16 juillet dernier, une publication postée sur Facebook ou sur Twitter compare deux cartes météo de la France, l’une datée du 13 juillet 2002 (avec notamment une température de 45 °C à Avignon et 41 °C à Marseille), la seconde du 15 juillet 2022 montrant des températures de 35 °C pour ces deux mêmes villes. En légende, on peut ainsi lire cette phrase : “ce qui aujourd’hui est une catastrophe climatique était en 2002 une belle journée d’été“.

Sauf que la première carte ne date pas du 13 juillet 2002. Si la source de cette capture d’écran est absente, le graphisme de la carte correspond à celui de la chaîne TF1, non pas pour la date du 13 juillet 2002 mais du 28 juin 2019, une journée historiquement chaude en France selon les Vérificateurs de Fake Investigation :

  • Le 13 juillet 2002,les températures étaient effectivement bien différentes : 28,3 °C relevés à Marseille dans l’après-midi par exemple.
  • Le 28 juin 2019, en revanche, est effectivement notable en ce que “pour la première fois depuis que les alertes existent”, indique alors Jean-Pierre Pernaud dans son Journal sur TF1, “le niveau 4 de l’alerte canicule est déclenché pour quatre départements français, le Gard, le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône et l’Hérault“.

Comparaison n’est pas raison

Par ailleurs, comparer deux cartes – a fortiori lorsqu’elles sont détournées – est une démarche fallacieuse.

En reprenant l’exemple allemand ci-dessus, il est ainsi possible de noter que la première carte est celle de la masse d’air tandis que la seconde exprime les nuances de température pour prévoir le type de temps. Nese fondant pas sur les mêmes bases de données, ces deux cartes sont donc, à l’évidence, incomparables.

Outre le fait qu’elles diffèrent sur le fond, la forme des cartes météo varie aussi fortement d’une chaîne de télévision à une autre. Nicolas-Xavier Ladouce, responsable de la thématique Services aux publics au sein de la RTBF, explique ainsi que “les médias ou organismes de météorologie sont libres du choix des couleurs dans leurs cartes, suivant une certaine logiqueComparer des cartes de deux fournisseurs différents c’est comme comparer des pommes avec des poires : ils n’ont pas fait le même choix“, ajoute-t-il.

La colorimétrie des cartes météo de la RTBF

Mais comment sont conçues les cartes météo, notamment à la RTBF ? Au sein de la RTBF, les couleurs des cartes météo – aussi appelée colorimétrie – sont choisies à partir d’une échelle dont le centre correspond à la température moyenne de la saison. Plus on s’écarte de ce centre, c’est-à-dire plus la température est extrêmement chaude, plus la couleur tendra vers le rouge et plus elle est extrêmement froide, plus la couleur tendra vers le bleu. Cette échelle varie naturellement en fonction des saisons : les moyennes, et donc les gradients, évoluant tout au long de l’année”, explique Nicolas-Xavier Ladouce, en charge du service météo à la RTBF.

Ces valeurs moyennes, que l’on appelle aussi normales, portent sur une période de 30 ans. Elles sont actualisées tous les dix ans. Par saison, Nicolas-Xavier Ladouce entend une mise à jour mensuelle de l’échelle des couleurs des cartes météo de la RTBF. Il ajoute : “dans dix ans, les 40 °C seront ainsi moins rouges qu’aujourd’hui car la moyenne aura augmenté“.

Différentes cartes météo de la RTBF et leurs colorimétries variant selon les saisons.
Différentes cartes météo de la RTBF et leurs colorimétries variant selon les saisons. RTBF
Une hausse de 1.5 °C en 30 ans en Belgique

Bien que les internautes cités plus haut considèrent que les cartes météo surestiment les températures, il n’en demeure pas moins que celles-ci sont bel et bien à la hausse. Et ce, sur l’ensemble du globe et surtout en Europe contrairement à ce qu’affirment certains d’entre eux.

La communauté scientifique est unanime : depuis 1750, la température terrestre s’est élevée d’1,1°C. Selon les experts du Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC), le “Vieux Continent” devrait être particulièrement impacté par cette augmentation.

Lors de la présentation de leur dernier rapport en août dernier, le sous-secrétaire général des Nations Unies pour l’action climatique, Selwin Hart indiquait que “le changement climatique est désormais une urgence mondiale de type “code rouge”, et ce rapport historique expose les effets dévastateurs qui frappent déjà l’Europe et qui devraient s’aggraver“.

Dans ce contexte, la Belgique est loin d’être en reste. En 30 ans, “le pays a connu une hausse de ses températures moyennes de 1.5 °C” indique Pascal Mormal, météorologue à l’Institut Royal Météorologique (IRM). Créé en 1833, l’IRM a enregistré les données climatiques de ces 150 dernières années à Uccle. Depuis lors, la température moyenne annuelle à Uccle a varié de 7 °C (1879) à 12,2 °C (2020).

Températures moyennes annuelles à Bruxelles – Uccle (1961-2021)
Températures moyennes annuelles à Bruxelles – Uccle (1961-2021) IRM
La multiplication des vagues de chaleur

Autre fait significatif du changement climatique en Belgique : la multiplication des vagues de chaleur. “Jusque dans les années 1980, il y avait environ une vague de chaleur tous les quatre ans. Depuis 1982, nous avons eu vingt vagues de chaleur. Aujourd’hui, il y a une vague de chaleur deux années sur trois. Et cela va encore s’amplifier ces prochaines années” souligne Pascal Mormal.

Ce dernier définit une vague de chaleur comme tout épisode météorologique cumulant au minimum cinq jours consécutifs à plus de 25 °C et au minimum trois jours à plus de 30 °C.

Conséquence directe de ces vagues inédites de canicule : l’explosion des records de chaleur.

Le record absolu de température à ce jour est de 39.7 °C relevé le 25 juillet 2019 (ndlr : il a été dépassé ce 19 juillet). Il a pulvérisé le précédent record qui datait de juin 1947 et qui était de 36.8 °C. Désormais, nous relevons de plus en des températures proches ou supérieures à 40 °C, ce qui paraissait être un seuil encore infranchissable il y a dix, quinze ans” avance Pascal Mormal.

Pour le météorologue, comme pour le reste de la communauté scientifique, ces records ne peuvent toutefois pas être compris de manière isolée. A ce titre, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) préconise de bien distinguer climat et météo.

Plusieurs de ses chercheurs expliquent ainsi qu’une hausse de cinq degrés dans une journée “n’a rien de grave“. En revanche, “une hausse de cinq degrés de la variation de la température moyenne terrestre correspond au réchauffement qui a fait sortir l’Europe de la dernière ère glaciaire il y a 20.000 ans“.

Ce n’est donc pas la valeur des températures en tant que telle qui est “inquiétante” mais leur évolution, et leur multiplication, selon le météorologue à l’IRM. “Il y a un vrai point de bascule à la fin des années 1980 début des années 1990 : nous sommes vraiment rentrés dans une période presque continue de réchauffement des températures de manière durable“.

Face à cette hausse des températures qui ne cesse de croître, les experts du GIEC aussi tirent la sonnette d’alarme : dans leur dernier rapport, ils indiquent qu’à ce rythme, les températures globales pourraient très probablement dépasser le seuil de 1,5 °C de réchauffement depuis l’ère préindustrielle entre 2021 et 2040.

Les premiers effets de ces épisodes de canicules, et notamment celui de juillet 2022, se font particulièrement ressentir sur le territoire européen. C’est l’une des conclusions du dernier rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne publié ce 13 juillet : “une partie inquiétante du territoire est actuellement exposée à des niveaux de sécheresse d’avertissement (46% de l’UE) et d’alerte (11% de l’UE), associés à un déficit d’humidité du sol associé au stress végétal” peut-on notamment lire.

Des cartes qui évoluent avec la montée des températures

La vague de chaleur actuelle que connaît l’Europe, et la Belgique, illustre ainsi les phénomènes climatiques exceptionnels actuels et futurs. Outre le fait que les épisodes de canicule soient plus fréquents, ce sont les températures moyennes qui grimpent en flèche depuis plusieurs décennies.

Tout comme le climat, les cartes météorologiques évoluent. En aucun cas, et selon les mots de Nicolas-Xavier Ladouce, elles ne jouent la carte du sensationnalisme“.

A 17 heures ce 19 juillet 2022, l’IRM relevait 37.9 °C à Uccle.