Il est scientifiquement établi que le climat se réchauffe depuis la période préindustrielle en raison des émissions de gaz à effet de serre causées par les activités humaines. Ces dernières années, des records de chaleur sont ainsi régulièrement battus. Pourtant, des internautes s’appuyant sur des épisodes de froid en France ou aux Etats-Unis en janvier 2025 mettent en doute la réalité du réchauffement climatique. Leur raisonnement est trompeur, comme l’ont expliqué des climatologues à l’AFP. Avec le réchauffement, les records et épisodes de froid ne sont pas impossibles, mais ils sont de moins en moins fréquents. A l’inverse, les records et vagues de chaleur se sont multipliés ces dernières années, en France notamment, d’après les données de Météo-France.
Les scientifiques s’accordent à dire que le climat se réchauffe depuis la période industrielle du fait des émissions de gaz à effet de serre causées par les activités humaines, comme détaillé dans le sixième (et plus récent) rapport du Giec, considéré comme référence mondiale en matières de connaissances sur le climat (lien archivé ici).
Avec ce réchauffement, des records de chaleur sont régulièrement battus. Début janvier, plusieurs organismes analysant des données sur la température moyenne du globe, dont Copernicus et l’Organisation météorologique mondiale (OMM), ont indiqué que 2024 avait été l’année la plus chaude jamais enregistrée et la première avec une hausse de la température moyenne du globe de plus d’1,5°C au-dessus de la période préindustrielle (liens archivés ici et ici).
Pourtant, des internautes ont brandi des annonces de “records de froid” locaux ou “vagues de froid” à venir pour affirmer ou sous-entendre que, puisque ces derniers ont toujours lieu en 2025, le réchauffement climatique n’existerait pas.
“Il y a la réalité et puis il y a la propagande médiatique. Reste à savoir maintenant ce qui s’imposera dans le cerveau des pigeons de 2025 ! Est-ce qu’ils vont accepter la réalité de la vague de froid qui persiste en France depuis plusieurs semaines ? Sans oublier qu’elle s’impose également en Europe mais aussi aux USA avec des records historiques“, assure notamment le premier paragraphe d’une entrée sur le blog “Le Libre Penseur“, déjà épinglé par l’AFP pour avoir diffusé des allégations trompeuses ici, ici ou là.
Ce message emploie une capture d’écran d’un article publié par TF1 le 13 janvier, indiquant que plusieurs départements français ont été “placés en ‘vigilance grand froid’” et reprise sur Facebook (lien archivé ici).
Sur le réseau social, d’autres publications comme celle-ci mentionnent aussi des mesures récentes d’une “température totalement sibérienne de -33,9°C mesurée dans le Jura” début janvier, en déduisant que “le réchauffement climatique est une invention“.
D’autres publications sur X ont aussi mis en avant une vague de froid à venir aux Etats-Unis, sous-entendant qu’elle remettrait en cause le réchauffement climatique ou son origine humaine.
Ces raisonnements sont néanmoins trompeurs : les records et vagues de froid ponctuels liés à des conditions météorologiques spécifiques ne sont pas incompatibles avec le réchauffement climatique mesuré depuis l’époque préindustrielle, ont rappelé plusieurs spécialistes de l’étude du climat à l’AFP. Les données montrent en outre que les records de chaleur enregistrés ces dernières années sont bien plus nombreux que les records de froid.
Ces contestations du réchauffement climatique basées sur la présence de neige, de pluie ou encore d’inondations sont récurrentes et ont déjà été vérifiées par l’AFP ces dernières années.
Des vagues de froid et records de froid de moins en moins nombreux
Pour comprendre comment sont établis les records de froid, Christine Berne, climatologue à Météo-France interrogée le 15 janvier par l’AFP, rappelle que l’établissement public surveille un réseau composé “d’environ 200 stations de mesures dont les données sont considérées comme fiables depuis 1951“.
Si des stations plus récentes sont installées, il est logiquement plus facile d’y mesurer des “records” récents, souligne-t-elle, puisque le nombre de mesures avec lesquelles les données pourront être comparées sera plus limité : “lorsque l’on donne un record de froid ou de chaud, il est toujours bon d’indiquer depuis quand on effectue la mesure à cet endroit-là“.
Tous les records mis en avant par Météo-France sont ainsi des maximums ou minimums par rapport à 1951.
Or, la climatologue explique que si des records de froid ont été mesurés ces dernières années, ils sont de moins en moins nombreux par rapport aux records de chaleur : “précisément, depuis 1951 jusqu’à 2024, sur notre réseau de stations météo qu’on considère pérennes depuis 1951, on a eu au total 1.625 records de froid. Et pendant la même période, on a eu 1.831 records de chaud. Mais, attention, ce qui est important c’est que depuis 1980, on n’en a compté que 755 froids, alors qu’il y en a eu 1.610 chauds“.
“Et si on regarde depuis l’an 2000, en incluant l’année 2000, il n’y a eu que 209 records froids, contre 1.301 records chauds – sur les 25 dernières années donc. C’est vraiment très net“, précise-t-elle encore.
Concernant les vagues de froid, en France, elles sont définies “à partir d’un indicateur thermique : en quelque sorte, une température moyenne du pays, qui est calculée de la même façon depuis de longues années. Et une vague de froid est considérée si cet indicateur-là reste en dessous d’une certaine valeur pendant au moins trois jours et qu’il ne remonte pas au-dessus d’un certain seuil“, explicite la climatologue.
Et la tendance est la même pour les “vagues” que pour les “records” : “si on prend les mesures à partir des années 2000, on a beaucoup plus de vagues de chaud que de vagues de froid“.
Les mesures pour ces dernières sont considérées comme fiables depuis 1947 par Météo-France. Depuis cette année, “on a décompté 49 vagues de chaleur. Parmi elles, on a 32 vagues de chaleur depuis 2000, en comptant l’année 2000. Et en ce qui concerne les vagues de froid : sur 46, on a seulement 10 épisodes depuis 2000. Et la dernière en France, c’était un petit pic de trois jours en 2018“, explique la spécialiste.
Cette tendance avait été décrite dans un article publié début décembre sur le site de Météo-France (lien archivé ici). Ce dernier indiquait aussi que “des vagues de froid sont encore possibles, alors même que le climat global se réchauffe. En revanche, elles sont devenues plus rares, moins longues et moins intenses au cours des 35 dernières années que sur la période précédente. Ainsi, les quatre vagues de froid les plus longues et les plus sévères (février 1956, janvier 1963, janvier 1985 et janvier 1987) ont été observées il y a plus de 35 ans“.
“Les vagues de froid sont plus rares et durent moins longtemps, c’est ce qu’on observe, avec les données satellites dont nous disposons, c’est assez facile à voir“, résume aussi Cathy Clerbaux, directrice de recherche au Laboratoire atmosphères et observations spatiales (Latmos), le 15 janvier à l’AFP (lien archivé ici).
Et cela n’est pas spécifique à la France : “les rapports sur l’état du climat mondial de l’OMM montrent clairement que le nombre de records de chaleur a augmenté, tout comme l’intensité et la fréquence des vagues de chaleur. Ces données se retrouvent aussi dans les rapports nationaux. En revanche, le nombre de records de froid a diminué“, résume Omar Baddour, chef du service de suivi du climat à l’OMM, auprès de l’AFP, le 16 janvier (lien archivé ici).
Dans le résumé à l’intention des décideurs de son dernier rapport, le Giec indique lui aussi qu’il est “quasi-certain que les extrêmes chauds (y compris les vagues de chaleur) sont devenus plus fréquents et plus intenses dans la plupart des terres émergées depuis les années 1950, tandis que les extrêmes froids (y compris les vagues de froid) sont devenus moins fréquents et moins sévères, le changement climatique d’origine humaine étant, avec un degré de confiance élevé, le principal facteur de ces changements” (lien archivé ici).
“Le changement climatique d’origine humaine affecte déjà de nombreux extrêmes météorologiques et climatiques dans toutes les régions du monde. Les preuves des changements observés dans les extrêmes tels que les vagues de chaleur, les précipitations extrêmes, les sécheresses et les cyclones tropicaux, et notamment de leur attribution à l’influence humaine, se sont accumulées“, y est-il aussi développé.
Des conditions spécifiques
Le froid mesuré ces derniers jours peut être lié à des conditions atmosphériques en France, et n’a rien de particulièrement surprenant cette année, selon Christine Berne : “l’hiver, le froid est en général lié à une présence d’un anticyclone assez puissant, assez renforcé, qui se maintient sur le pays. On a de l’air qui vient des régions de l’est de l’Europe, ça nous rafraîchit un peu“.
C’est aussi pourquoi des températures plus basses que la “normale” ont aussi pu être mises en avant ces derniers jours dans plusieurs régions françaises. Là encore, il est important de comprendre à quoi fait référence cette “normale“, note la climatologue : “pour tous les points de mesure, on fait une moyenne sur 30 ans, c’est une convention mondiale“.
Les températures sont ensuite comparées à cette moyenne, mais cette dernière “évolue“, rappelle Christine Berne : “on avait longtemps ce qu’on appelait la normale 1961-1990“. Mais depuis mi-2022, “on suit les évolutions par rapport à la normale 1991-2020“, précise la spécialiste (lien archivé ici).
Or, entre ces deux valeurs “il y a plus d’un degré d’écart“, ce qui montre aussi que les températures moyennes se sont réchauffées en France.
“C’est vrai qu’il reste toujours des températures plus froides que la normale. Mais les épisodes de froid ou les vagues de froid qu’on peut connaître ces dernières années ou qu’on connaîtra peut-être l’année prochaine ou cet hiver, seront moins intenses, ne pourront pas être aussi intenses et aussi froids. Parce que globalement, la température a monté“, résume la spécialiste.
En outre, si certaines régions du monde font face à des températures sous la moyenne en ce début janvier, c’est l’inverse dans d’autres, relève auprès de l’AFP le 16 janvier Howard Diamond, responsable du programme des sciences du climat au Laboratoire des ressources atmosphériques de la NOAA, l’agence américaine en charge de l’étude du climat (lien archivé ici).
Il s’appuie notamment sur des données de la NOAA mesurant des écarts par rapport aux températures moyennes entre le 1er le 14 janvier 2025 (carte ci-dessous, en bleu, les températures plus basses que la moyenne 1991-2020 et en rouge, les températures plus hautes).
“Il est assez clair qu’environ deux tiers des Etats-Unis sont en dessous de la normale en termes de températures (-4ºC à -5ºC), mais si vous regardez la Sibérie russe, vous verrez des températures atteignant de +10ºC à +12ºC au-dessus de la moyenne à long terme (dans ce cas de 1991 à 2020). Donc, bien que les températures aux Etats-Unis cette semaine-là puissent sembler contradictoires avec le réchauffement global pour certains, elles ne sont qu’une partie de la variabilité météorologique“, analyse le spécialiste.
Un raisonnement trompeur récurrent
Les publications examinées par l’AFP dans cet article s’appuient sur un raisonnement trompeur récurrent, qui mélange ce que sont la météo et le climat. Comme détaillé dans cette fiche réalisée par l’AFP, il convient en effet de distinguer phénomènes de court terme, qui relèvent de la météo, et de plus long terme, provoqués par l’évolution du climat.
“Il ne faut pas confondre les fluctuations météorologiques (semaines – mois) et la tendance de fond (années – dizaines d’années)“, détaille Cathy Clerbaux.
“La météo, c’est le fait d’observer, de prévoir le temps qu’il fait au jour le jour et de le caractériser : par exemple, pendant 4 jours, il a fait des températures sur la France qui sont plutôt fraîches pour un mois de janvier. Ensuite, caractériser les évolutions du climat, cela sous-entend qu’on regarde des données sur une période plus longue, et sur un espace plus large. On ne fait pas de déductions sur le changement climatique à un endroit donné : ça n’aurait pas trop de sens parce que le climat, c’est quelque chose qui évolue sur l’ensemble de la planète. Mélanger les deux, ce n’est pas de la science“, développe Christine Berne.
C’est pourquoi “la présence de froid à un endroit ne remet pas en cause la tendance globale au réchauffement qui se poursuit“, confirme Howard Diamond.
Par exemple, “un changement de température de 6-8º Celsius d’un jour à l’autre peut ne pas changer énormément de choses lorsque l’on parle de météo. Mais huit degrés représentent une énorme différence dramatique lorsqu’on parle de climat” illustre l’expert, ajoutant : “lorsque la température moyenne de la Terre était de 6-8°C plus froide qu’aujourd’hui, des nappes de glace épaisses d’un mile [environ 1,6 km, NDLR] étaient présentes“, développe-t-il.
En outre, “l’existence de vagues de froid en France, aux Etats-Unis, ou ailleurs dans le monde d’ailleurs, ne nie pas la réalité du réchauffement climatique. Le pourcentage de la surface du globe occupé par les Etats-Unis se situe juste en dessous de 2%, et pour la France, c’est en dessous de 0,5%. Or, l’un des points clés concernant le réchauffement climatique est qu’il est global : le climat mondial est influencé par de nombreux paramètres provenant de l’ensemble de la planète, et ce que nous constatons est qu’à long terme, la tendance montre un réchauffement, et ce malgré la présence occasionnelle et locale de froid“, ajoute le spécialiste.
“Le fait qu’il fasse froid à un endroit précis ne remet pas en question le changement climatique. Un coup d’œil à une carte des températures mondiales montre que certaines parties du globe – y compris de larges parties de l’Arctique et de l’Antarctique sont plus chaudes que la moyenne. Les perturbations atmosphériques locales peuvent entraîner des conditions de froid inhabituel avec de la neige. Il faut examiner ces conditions à l’échelle mondiale et sur le long terme pour comprendre le changement climatique“, rappelle aussi Omar Baddour, chef du service de suivi du climat à l’OMM, auprès de l’AFP, le 16 janvier.
Il renvoie notamment vers une carte interactive disponible sur le site de l’OMM qui permet d’observer les écarts par rapport à la moyenne des prévisions de températures dans le monde entier en temps réel (lien archivé ici).
Sur cette dernière, les écarts positifs (avec des températures plus chaudes que la moyenne) figurent en rouge et les écarts négatifs sont représentés en bleu. On peut ainsi déjà observer que si des prévisions d’écarts négatifs sont en effet visibles sur l’Amérique du Nord et sur une petite partie de l’Europe dont le nord de la France autour du 20 janvier, les prévisions passent à des écarts positifs la semaine suivante.
Et comme l’ont montré les données récoltées par les scientifiques, “2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée et a temporairement atteint 1,5°C au-dessus de l’ère préindustrielle pour la première fois. Les dix dernières années ont été les dix années les plus chaudes jamais enregistrées“, rappelle aussi Omar Baddour.
Cela n’est pas incompatible avec le fait qu'”au cours de ces années individuelles, il y a eu des périodes de froid dans certains pays. Mais cela n’a pas affecté la tendance à long terme qui est clairement une augmentation des températures due à des niveaux records de gaz à effet de serre“, abonde le spécialiste.
Aux Etats-Unis par exemple, rappelle Howard Diamond, “cette année, il y a eu aussi des épisodes de froid, mais les températures plus chaudes l’emportent en moyenne à cause de l’augmentation des émissions de CO2, et la science a bien documenté cela“.
“On ne comprend pas encore tout dans ce qui conduit aux variations de températures (…) Mais par contre les données ne mentent pas et il n’y a aucun doute que la température augmente si on regarde sur le temps long“, résume ainsi Cathy Clerbaux (lien archivé ici).