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« Deux heures de route » pour trouver un hôpital la nuit ? Le PS extrapole erronément un plan qui n’existe pas encore

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Author(s): Par @guillaume-woelfle-30 et @noe-trifiro-537

À la Chambre, puis sur les réseaux sociaux et dans des interviews matinales en radio, le Parti Socialiste a dénoncé la fermeture de 29 hôpitaux la nuit en Wallonie à Bruxelles, en indiquant qu’il s’agissait d’une volonté du nouveau gouvernement De Wever, et de son ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit). Le bourgmestre de Charleroi, Thomas Dermine a par exemple indiqué sur Matin Première (RTBF) qu’il faudrait parfois faire « deux heures de route » pour trouver un hôpital la nuit. Ces communications du Parti Socialiste se basent sur un article de la presse flamande qui dévoile comment les hôpitaux flamands réfléchissent eux-mêmes à rationaliser leur offre. Ceux-ci se fondent sur une volonté bien réelle du ministre de la Santé de rationnaliser les coûts hospitaliers, et d’une piste lancée au sein des hôpitaux de transformer certaines structures en hôpitaux de jour. Mais aucun plan ne fixe de nombre ni de localisation. Pire: même dans les pistes évoquées sur des fin de services de nuit, il est précisé que la proximité doit rester un indicateur déterminant. Le PS se justifie en déclarant qu’il agit en tant que lanceur d’alerte, pour éviter qu’un tel plan aboutisse.

Dans une publication Facebook diffusée ce samedi 15 février, le Parti Socialiste a voulu dénoncer ce qu’il considère comme un plan du gouvernement De Wever avec le titre : « Des hôpitaux menacés ». En détail, le PS alerte sur un « risque de fermeture des services d’urgence et des hospitalisations de nuit ». Dans les images de la publication, le parti cite ensuite une série de 23 hôpitaux wallons et 6 hôpitaux bruxellois qui seraient visés par ces fermetures.

Ce mardi 18 février à midi, ce message Facebook avait déjà cumulé plus d’un millier de partages et près de 300 réactions. Un bon nombre d’entre elles critiquent le PS et l’accusent de désinformation.

Ce texte partagé sur Facebook renvoie vers le site du Parti Socialiste sur lequel l’internaute est invité à signer une pétition. Le PS y indique : « ce qui va changer avec la réforme du gouvernement Arizona (MR/N-VA/Les Engagés) ». Il affirme que « les Francophones sont les plus touchés, avec 1 hôpital sur 2 concerné en Wallonie et 1 sur 3 à Bruxelles, contre seulement 20% en Flandre. Si vous habitez à Dinant, Lobbes, Waremme ou Ath, vous devrez peut-être faire des kilomètres en pleine nuit pour recevoir des soins d’urgence. »

 

Sur Matin Première, le bourgmestre de Charleroi, Thomas Dermine (PS), a répété ces messages, en assurant par exemple, « qu’on (le gouvernement De Wever, NDLR) va fermer des hôpitaux qui ont des services de nuit. Cela représente 22 hôpitaux en Wallonie et à Bruxelles. » Le bourgmestre de Charleroi poursuit : « Quand vous habitez une zone rurale en Wallonie vous n’aurez plus de service de nuit. Quand vous devrez accoucher la nuit ou que vous aurez fait un accident, vous devrez faire parfois deux heures de route. »

Ce discours a été répété par l’ex-ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS) sur LN24 indiquant que les chiffres de 28 fermetures d’hôpitaux « ne viennent pas de nulle part : il y a eu une présentation du cabinet Vandenbroucke au conseil fédéral des établissements hospitaliers le 24 janvier 2025. Ces informations sortent de là \[…\] Ce n’est pas une fake news, mais j’espère quelque part que ça en sera une. En tout cas, nous voulons être des lanceurs d’alerte. »

« Fake News », « désinformation » « rumeurs »… des affirmations contestées à différents niveaux

Après ces premières sorties, le PS a été largement critiqué et accusé de « fake news ». C’est notamment le cas de l’ex-président des Engagés et vice-Premier ministre Maxime Prévot, sur sa page Facebook. Il dénonce « la désinformation et la panique de s’émouvoir de quelque chose qui n’est nullement décidé dans l’accord de gouvernement ». Un message reproduit par la page Facebook de son parti.

Le terme « fake news » est lâché par l’Unessa, la fédération de l’accueil, de l’accompagnement de l’aide et des soins aux personnes qui,  dans un communiqué publié ce lundi, « entend couper les ailes à ce canard. C’est au pire, une fake news, au mieux une mécompréhension totale du travail en cours. »

Enfin, certains hôpitaux ont également dû démentir ce qu’ils appellent des rumeurs. Le Centre hospitalier Epicura regroupant trois hôpitaux et trois polycliniques dans le Hainaut a dû publier un message sur Facebook pour « rassurer nos patients et nos collègues : ces fermetures ne sont pas à l’ordre du jour et ne figurent pas dans l’accord du gouvernement Arizona. »

De nombreux autres hôpitaux ont dû publier ce lundi des messages similaires :  le groupe Helora (Mons et Warquignies)le CHwapi (Tournai), la Clinique Notre-Dame de Grâce (Gosselies) ou le CHU Dinant / Auvelais chez nos confrères de SudInfoLe même quotidien qui cite le directeur général du groupe Vivalia (Luxembourg), Pascal Mertens : « C’est du grand n’importe quoi ».

Le PS persiste et signe

Ce lundi soir, le Parti Socialiste a publié une vidéo « reel » sur Facebook pour justifier d’où il tirait cette information.

Cette vidéo montre la séance plénière de la Chambre du 5 février dernier, lorsque le gouvernement De Wever est venu présenter son accord de gouvernement. On y voit Pierre-Yves Dermagne, chef de groupe PS à la Chambre citer un article de presse du Standaard du même jour : « Près d’un hôpital sur cinq fermera dorénavant la nuit. C’est pas moi qui le dis, c’est un article du Standaard », affirme-t-il.

La vidéo montre ensuite directement le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke dire : « Oui, des corrections, des rationalisations sont absolument nécessaires. (Le montage indique une coupe, NDLR) À l’avenir, nous aurons besoin de moins de nuitées, on le voit déjà aujourd’hui. On peut à un certain moment se demander que faire de tous ces hôpitaux où on organise ces nuitées. Pouvons-nous les organiser de façon plus rationnelle ? Et la réponse est oui. Car certains hôpitaux vont devenir trop petits. »

Que dit l’article du Standaard ?

L’article du Standaard dont parle, à la tribune de la Chambre, Pierre-Yves Dermagne est en fait la une du journal du mercredi 5 février : « Un plan sur la table pour fermer un hôpital sur cinq la nuit ».

Sous le titre, l’illustration de l’article présente une carte de la Belgique qui pointe, en rouge, les hôpitaux qui n’ont pas 250 lits « aigus » (de courts séjours) et qui seraient donc concernés par la fermeture. La carte montre en vert les hôpitaux qui dépassent ce critère de 250 lits et qui ne seraient donc pas concernés par ces fermetures.

La légende de la carte précise encore que « des exceptions sont possibles en raison de la répartition géographique et des délais d’intervention des services d’urgence. » Et de fait, si tous les hôpitaux en rouge étaient effectivement fermés, il n’y en aurait aucun qui resterait en province du Luxembourg.

Dans cet article, De Standaard indique que sous l’impulsion du ministre Frank Vandenbroucke, la plus grande organisation faîtière des soins de santé en Flandre Zorgnet-Icuro faisait pression pour que les petits hôpitaux soient transformés en hôpitaux de jour. « Si nous ne faisons rien, le secteur va s’effondrer », commente Margot Cloet, directrice générale de Zorgnet-Icuro.

Le journal De Standaard affirme encore que « dans le plus grand silence, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke avait déjà discuté d’un certain nombre de réformes profondes avec le secteur des soins de santé à la fin de la période de coalition précédente. Ces projets n’ont pas tous été spécifiés dans l’accord de coalition, mais ils sont sur la table. Zorgnet-Icuro, l’organisation faîtière des hôpitaux généraux flamands, entre autres, les soutient désormais de tout son poids », assurent les journalistes.

« Le projet le plus ambitieux est la transformation des campus hospitaliers de moins de 250 lits « aigus » (pour des séjours de courte durée) en hôpitaux de jour, poursuit le quotidien flamand. Ce faisant, le gouvernement prévoirait des exceptions afin de maintenir une répartition géographique suffisante et de ne pas compromettre les délais d’intervention des services d’urgence. \[…\] Le plan prévoit qu’à l’avenir, les nuitées ne seront plus possibles dans 10 à 12 des 52 hôpitaux généraux de Flandre. »

« Aujourd’hui, tous les hôpitaux n’ont pas besoin d’être ouverts 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 », justifie Margot Cloet, directrice générale de Zorgnet-Icuron.

La carte retirée, le Standaard publie un message de prudence

Dans la version en ligne de cet article, la carte des hôpitaux menacés a finalement été supprimée et la rédaction du Standaard a dû écrire un message afin de répondre aux nombreuses réactions suscitées par la publication de cette carte :

« Zorgnet-Icuro, l’organisation faîtière des hôpitaux généraux flamands, entre autres, a fait part mardi au Standaard du projet ambitieux de transformer les campus hospitaliers de moins de 250 lits « aigus » en hôpitaux de jour. Afin de donner aux lecteurs un aperçu de ce que cela pourrait signifier à l’avenir, le journal a dressé une carte des hôpitaux susceptibles d’être dans le collimateur. Cette carte a été établie sur la base de la liste officielle et de la définition des lits de soins aigus selon le gouvernement fédéral. Le journal souligne également que le gouvernement prévoira des exceptions afin de maintenir une répartition géographique suffisante, par exemple pour ne pas compromettre les heures de pointe des services d’urgence.

Cette déclaration a suscité de vives réactions mercredi matin au sein de certains conseils d’administration d’hôpitaux qui voyaient déjà leurs établissements colorés en rouge. Ils avaient déjà été informés de manière informelle, par l’intermédiaire de la faîtière des soins de santé, que les lits aigus seraient calculés d’une manière différente, qui pourrait prendre en compte les lits gériatriques aigus de l’hôpital. Dans ce cas, certains hôpitaux pourraient ne pas avoir à fermer la nuit. Il est vrai que ce calcul n’a pas encore été finalisé et qu’il suscite encore beaucoup de nervosité dans le secteur. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre le graphique hors ligne pour le moment. »

Un plan qui n’émane pas du cabinet Vandenbroucke

Ce plan auquel ont fait référence De Standaard et Pierre-Yves Dermagne ne provient pas du cabinet du ministre Frank Vandenbroucke. Le ministre de la Santé l’a directement signifié à la Chambre lorsque Pierre-Yves Dermagne montrait la carte aux députés : « Ce que vous montrez là, Monsieur Dermagne, n’est pas du tout un plan, mais le résultat d’exercices au sein de l’organisation faîtière flamande des hôpitaux Zorgnet-Icuro. Cela ne vient pas de moi, mais des hôpitaux eux-mêmes, qui réfléchissent à leur avenir et veulent un avenir solide. »

À la rédaction de Faky, le cabinet du ministre Vandenbroucke précise que « les détails qui semblent circuler sur un nombre d’hôpitaux menacés par ‘des fermetures’ (et même les noms de ces hôpitaux !) n’ont pas lieu d’être. L’accord du gouvernement envisage une réforme du paysage hospitalier, avec les objectifs cités, mais nous n’avons même pas le début d’un plan sur la mise en œuvre de ce passage de l’accord de gouvernement. Dans le cadre de la CIM Santé publique, un comité d’experts doit d’abord fournir un avis aux entités fédérées et au gouvernement fédéral sur l’avenir du paysage hospitalier. Dans cette discussion, l’importance du principe de proximité sera évidemment maintenue. Aucune décision n’a été prise à ce sujet à ce jour, car le comité d’experts doit encore être créé dans le cadre de la CIM Santé Publique et se réunir. »

Une volonté réelle chez Frank Vandenbroucke de réduire les hospitalisations de nuit

Bien que l’ambition de fermer certains hôpitaux la nuit ne figure pas explicitement l’accord de gouvernement, le gouvernement souhaite poursuivre ce qu’il appelle « la réforme globale du paysage hospitalier ». Le gouvernement indique qu' »un nombre de lits d’hôpitaux aigus (prévus pour une courte durée de traitement, NDLR) seront transformés en lits pour les patients nécessitant des soins de longue durée. » Le gouvernement compte renforcer en parallèle l’hospitalisation de jour et l’hospitalisation à domicile.

Cet objectif du gouvernement Arizona et de son ministre Vandenbroucke, existait déjà sous le précédent gouvernement (Vivaldi), dans lequel le PS siégeait et dans lequel Frank Vandenbroucke était déjà ministre de la Santé.

Par ailleurs, toujours dans l’accord de gouvernement Arizona, il est indiqué que « les réseaux hospitaliers locorégionaux visent à encourager une plus grande coopération, à répartir les activités de manière plus efficace, à coordonner les soins et à maximiser la valeur pour la société et les patients. En termes de financement et de qualité des soins, il est inefficace de maintenir des activités hospitalières identiques sur des sites distants de quelques kilomètres seulement. »

Cette réforme du paysage hospitalier, avait été initiée sous Maggie De Block dans le gouvernement de Charles Michel (2014-2018) et avait été encouragée par le ministre Vandenbroucke pendant la Vivaldi.

Une réorganisation qui doit réduire la pénurie de soignants

À la Chambre, le ministre de la Santé a été plus explicite sur le sujet en répondant à Pierre-Yves Dermagne.

« Il faut être honnête, à terme, nous aurons besoin de moins de nuitées – nous le voyons déjà – parce que de plus en plus d’interventions pourront se faire en hospitalisation de jour. C’est une bonne chose pour les patients et une très bonne chose pour le personnel soignant, car la vérité est que nous sommes engagés dans une course entre les besoins croissants d’une société vieillissante et la capacité de les satisfaire. »

« Le goulot d’étranglement n’est pas seulement l’argent, mais les personnes, les infirmières, les soignants, les médecins, le personnel de recherche. \[…\] Un hôpital a besoin de surveillance et de permanence la nuit, ce qui nécessite la présence de toutes sortes de personnel, car l’hôpital doit rester ouvert la nuit. Si nous pouvons amorcer un mouvement vers plus d’hospitalisations de jour et moins de séjours de nuit, ce sera bon pour les patients et pour le personnel de santé, qui pourra également être mieux utilisé. »

Selon le ministre de la Santé, la réduction du nombre d’hôpitaux ouverts la nuit doit donc permettre de réduire le besoin en personnel soignant, et donc de réduire de la pénurie. Cela pourrait aussi permettre des économies budgétaires. Mais pour y arriver, il faut réfléchir à réorganiser l’offre de soin de chaque hôpital poursuite Frank Vandenbroucke.

« S’il y a de moins en moins de séjours de nuit, il y a un moment où il faut se demander ce qu’il faut faire de tous les hôpitaux dans lesquels des séjours de nuit sont organisés. Peut-on les organiser de manière plus rationnelle ? La réponse est oui, car certains deviendront trop petits pour être bons. L’idée d’une meilleure organisation des hôpitaux, combinée à une plus grande concentration et à une diminution des nuitées grâce à l’augmentation des hospitalisations de jour par la reconversion de sites en hospitalisation de jour, est principalement motivée par les intérêts du personnel soignant. »

Garder un service d’urgence à 20 minutes

Si la volonté du ministre Vandenbroucke et de l’Arizona est bien de réduire l’hospitalisation de nuit, le comité d’experts chargé de conseiller le gouvernement n’a pas encore été formé, nous indiquait le cabinet du ministre. Ce comité devra déterminer une liste de critères qui permettront de décider quels services ou sites devront être fusionnés ou fermés la nuit, par exemple.

Le plan réalisé Zorgnet-Icuro est donc un exercice réalisé sur le principe que le critère est le nombre de lits aigus disponibles (250 lits). Le Standaard précisait que si certains hôpitaux devaient être fermés la nuit, le « gouvernement prévoirait des exceptions afin de maintenir une répartition géographique suffisante et de ne pas compromettre les délais d’intervention des services d’urgence. »

D’après le journal Le Soir, les discussions autour de ces critères devraient aboutir en juillet, mais le quotidien assure qu’il est déjà acquis que « quel que soit l’endroit où il habite, un citoyen belge doit pouvoir trouver des urgences à 20 minutes de trajet motorisé. »

Le Parti Socialiste rejette l’accusation de « fake news » et se présente en lanceur d’alerte

La communication à l’affirmative du PS dans ses publications Facebook ou dans sa pétition en ligne est donc fortement prématurée et, à ce stade, incertaine. Le gouvernement De Wever ne s’apprête pas à « supprimer les services d’urgence et les hospitalisations de nuit dans 29 hôpitaux, dont 23 en Wallonie et 6 à Bruxelles ».

Les publications en ligne du Parti Socialiste concernant la fermeture des hôpitaux, ainsi que l’affirmation de Thomas Dermine dans Matin Première indiquant que « quand vous devrez accoucher la nuit ou que vous aurez fait un accident, vous devrez faire parfois deux heures de route », ne correspondent pas avec le projet tel que décrit par le gouvernement, ni aux balises de limite d’accès à un service d’urgence énoncés par Zorgnet-Icuro dans le Standaard ou par Le Soir. Contacté, Thomas Dermine n’a pas souhaité commenter sa déclaration.

Interrogé par le média Le Spécialiste  sur les accusations de « fake news », Pierre-Yves Dermagne a confirmé sa lecture de l’accord de gouvernement et des tableaux budgétaires qui l’accompagnent. « Nous n’avons rien inventé et, quand j’en ai parlé devant le ministre à la Chambre, il ne m’a pas contredit. Les données sont claires : plusieurs hôpitaux risquent de fermer ou sont menacés, notamment des maternités et des services d’urgence. Certains deviendront de simples hôpitaux de jour. » Comme exprimé par Ludivine Dedonder sur LN24 ce mardi matin, les mandataires PS disent désormais agir en tant que « lanceurs d’alerte » pour faire en sorte que la fermeture la nuit d’hôpitaux ne se réalise pas.