
Dans le cadre de la Journée internationale du fact-checking, nous avons appelé nos utilisateurs à nous envoyer les sujets qu’ils souhaitaient voir vérifier par la rédaction de RTL Fact-check.
Parmi les nombreuses demandes reçues, nous avons décidé d’essayer d’enquêter sur les sujets liés au Grand-Duché. Une première question portait sur la langue luxembourgeoise au Parlement européen. Est-ce que ça coûte vraiment 40 millions d’euros par an pour faire traduire le luxembourgeois?
« Selon les propos du Premier ministre publiés sur RTL, l’introduction de la langue luxembourgeoise au Parlement européen coûterait 40 millions d’euros par an. Cette affirmation est-elle simplement une bêtise et une excuse paresseuse et lâche pour céder à la Communauté ou comment une telle absurdité est-elle possible? Chaque État membre de l’UE devrait alors payer ces 40 millions par an, ce qui est absolument inimaginable pour certains pays. Cela constituerait en fait une grave discrimination et une honte pour notre pays […] «
Une intervention de Fernand Kartheiser lance la discussion
Une intervention du député européen ADR Fernand Kartheiser au Parlement européen le 21 octobre a provoqué de nombreuses discussions autour du statut de la langue luxembourgeoise. Alors que le lendemain, un autre eurodéputé luxembourgeois réagissait en qualifiant cette intervention de « numéro de cirque », le discours de l’eurodéputé ADR était aussi le sujet de l’émission « Background am Gespréich » entre quatre des députés luxembourgeois au Parlement européen.
Tilly Metz: la traduction de notre langue nationale coûterait 40 millions d’euros par an
Lors de cette émission, Tilly Metz (déi Gréng) a affirmé que la traduction d’une langue à ce niveau peut coûter plus de 40 millions d’euros par an.
An der Emissioun Background am Gespréich vum 26. Oktober huet d’Tilly Metz hir Ausso nach eng Kéier widderholl.
Le bureau de l’eurodéputée verte a fourni des précisions sur cette déclaration. L’exemple choisi est celui du gaélique irlandais, qui est une langue des traités de l’UE depuis 2007, mais qui a pleinement acquis le statut de langue officielle de l’Union européenne en 2022 en étant utilisée comme langue de travail à Bruxelles et Strasbourg (ici). L’introduction de la langue irlandaise comme langue officielle de l’UE coûte plus de 40 millions d’euros par an. Ce chiffre concret a été annoncé en décembre 2023. La présidence espagnole de l’UE avait posé la question à l’époque. Le coût pour chaque nouvelle langue, « pleinement intégrée au système« , a été estimé à 44 millions d’euros par an (ici).
Commissaire à la langue luxembourgeoise: les coûts sont répartis entre tous les États membres
Le Commissaire à la langue luxembourgeoise Pierre Reding confirme ce montant en se référant à l’article de « The Diplomat » d’octobre 2024 (ici). Il en ressort que les traductions du catalan, du basque et du galicien pourraient coûter au total environ 132 millions d’euros par an aux contribuables européens. La plateforme fait référence aux chiffres communiqués par le secrétariat général de la Commission européenne. Si on ramène cela à une langue, on en arrive à nouveau à 44 millions d’euros par langue.
Pierre Reding précise encore que ces coûts ne doivent pas être supportés uniquement par le Luxembourg, mais qu’ils sont répartis entre tous les Etats membres. En d’autres termes, lorsqu’une nouvelle langue est introduite comme langue officielle de l’UE, le Luxembourg paie également à chaque fois une partie des coûts. Si l’on considère l’irlandais, introduit récemment, on n’en reste pas aux 44 millions d’euros par an. L’ambassade d’Irlande au Luxembourg a en effet confirmé que des frais supplémentaires sont facturés à la République d’Irlande. Car la formation des traducteurs et interprètes coûte à elle seule environ 1,6 million par an. Mais l’Irlande supporte seule ces coûts, selon Pierre Reding.
Quels frais sont engagés?
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Pour chaque langue officielle de l’UE, il y a différentes conditions à remplir, respectivement différentes tâches à satisfaire. Ainsi, des traducteurs et des interprètes doivent être embauchés pour les institutions européennes. Cela comprend également la formation et la certification du personnel qualifié.
En outre, tous les textes juridiques existants devraient être traduits en luxembourgeois, ainsi que toutes les réunions, tous les débats et documents écrits. Toutes les lois nationales, les documents officiels et la terminologie technique devraient être traduits en luxembourgeois afin de se conformer aux normes de l’UE.
Mais les institutions devraient également être élargies pour répondre à la standardisation de la terminologie et à l’adaptation juridique d’une langue.
Cela montre que l’introduction d’une langue comme langue officielle de l’UE nécessite une main d’œuvre importante. Rien que pour la Cour de Justice de l’Union européenne au Kirchberg, 20 personnes sont nécessaires pour traduire l’irlandais, et les collaborateurs à Bruxelles et à Strasbourg ne sont pas inclus dans ce chiffre.
40 millions d’euros: Luc Frieden n’a pas cité ce chiffre
Le ministère d’Etat indique que le Premier ministre n’a pas cité le chiffre de 40 millions. Ceci est confirmé par une réponse à une question parlementaire du Premier ministre en collaboration avec les ministres des Affaires étrangères et de la Culture. La question avait été posée par le député ADR Fred Keup.
Dans la réponse, il est indiqué que « Le gouvernement ne dispose d’aucune information concernant les déclarations de l’honorable députée européenne Tilly Metz sur les coûts qu’entraînerait une reconnaissance du luxembourgeois comme langue de l’UE« . Dans la réponse publiée fin 2024, c’est le budget 2025 qui est considéré. 80.000 euros y sont prévus pour la traduction des traités officiels de l’Union européenne. Le Commissaire à la langue luxembourgeoise confirme aussi ce montant. Selon Pierre Reding, le coût s’est avéré inférieur à 54.000 euros, car lors des traductions, de nombreux passages de texte revenaient sans cesse et n’avaient donc pas besoin d’être traduits à nouveau.
Les trois ministres compétents précisent toutefois qu’il faut aussi « prendre en compte les aspects plus pratiques, comme la charge administrative que cela implique de part et d’autre et le manque d’interprètes parlant luxembourgeois« .
Fernand Kartheiser n’a pas demandé que le luxembourgeois devienne une langue officielle de l’UE
Den Europadeputéierte wollt jo eng Ried op Lëtzebuergesch halen.
Interrogé, Fernand Kartheiser précise qu’il n’a jamais demandé à Strasbourg que le luxembourgeois devienne une langue officielle de l’UE avec toutes les traductions et tous les acquis. « Je ne considère pas cela comme réaliste ni nécessaire actuellement. J’ai demandé que le luxembourgeois soit valorisé afin que l’on puisse également prononcer ses discours en luxembourgeois lors de la séance plénière du Parlement européen« , a indiqué l’eurodéputé ADR à RTL. Il a en outre suggéré une solution pragmatique qui ne coûterait « presque rien« . « Les interprètes recevraient un texte à l’avance pour que la traduction soit possible. Dans le cas de questions intermédiaires ou de demandes de renseignements, on pourrait utiliser l’une des langues officielles« . Pour Fernand Kartheiser, il s’agit ici de la visibilité de la langue luxembourgeoise et, puisqu’il ne demande pas le statut de langue officielle, pour lui, « l’argument du coût » ne s’applique pas.
Concernant les coûts, Fernand Kartheiser indique qu’à sa connaissance, « les traductions dans les langues de l’UE sont financées sur le budget général de l’UE« , ce qui signifie que le Luxembourg apporte sa contribution pour chaque langue, à l’exception « de sa propre langue nationale« .
Le luxembourgeois doit-il devenir une langue officielle de l’UE?
La langue nationale du Grand-Duché est ancrée dans la Constitution. La question se pose dès lors de savoir s’il y a désormais une obligation que le luxembourgeois devienne une langue de l’UE. Le Commissaire à la langue luxembourgeoise, Pierre Reding, n’a pas pu donner de réponse directe à cette question, mais il a renvoyé vers un conseil de gouvernement qui traitera de cette question en avril 2025. Lors de cette réunion des ministres luxembourgeois, divers sujets liés à la langue seront à l’ordre du jour, notamment comment l’IA peut aider à la traduction ou si le luxembourgeois doit devenir « simplement » une langue des traités de l’UE et pas une langue officielle de l’UE.
Conclusion: l’affirmation ne vient pas du Premier ministre, mais la traduction pourrait coûter plus de 40 millions d’euros par an
Au contraire de ce qui figurait dans la question envoyée à RTL, cette affirmation n’émane pas de Luc Frieden et on ne trouve aucun article sur RTL dans lequel le Premier ministre cite concrètement ce chiffre. Le montant de « plus de 40 millions d’euros » vient de la députée européenne verte Tilly Metz.
À titre d’explication, son bureau indique que ce chiffre est basé sur le montant qu’a coûté en 2022 l’introduction du gaélique irlandais comme langue officielle de l’UE. C’est également la langue la plus récente à avoir reçu le statut de langue officielle de l’UE. Le chiffre de 44 millions d’euros par an figurait dans la réponse à une demande officielle de la présidence espagnole et est confirmé par un décompte du Secrétariat général de la Commission européenne. Reconnue comme langue officielle de l’UE, mais pas comme langue de traités, ce qui représente également une reconnaissance officielle.
Ces chiffres ne permettent pas de savoir si les langues qui ont le statut de langue officielle de l’UE depuis plus longtemps, coûtent le même montant.
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