Deux après après le début de la pandémie, l’effet du vaccin sur la diminution de la surmortalité au Covid-19 est indéniable, contrairement à ce qu’affirment certains internautes. En effet, l’évolution de l’espérance de vie ne s’analyse pas seulement à travers le prisme de la couverture vaccinale mais aussi des situations sanitaires, sociales, économiques et politiques de chaque pays.
Le 16 novembre 2019, le premier cas de Covid-19 était recensé en Chine. Trois ans plus tard, le virus aurait entraîné près de 7 millions de décès à travers le monde.
Pourtant, sur les réseaux sociaux, certains internautes remettent en cause l’existence de ce “virus tueur”, jetant plutôt la responsabilité de la hausse de la mortalité en 2020 sur “l’inefficacité vaccinale” en dénonçant “que ces vaccins anti-Covid se situent à des années-lumière d’un rapport bénéfice sur risque favorable”. Ce sont notamment les avis du Youtubeur Pierre Chaillot de la chaîne “Décoder l’éco” dans sa dernière vidéo antivaccin déjà visionnée plus de 15.000 fois et de certains Twittos qui ont relayé (ici ou là) un article de l’association AIMSIB, une association partenaire du documentaire “Effets secondaires : la face cachée des vaccins”.
Les vaccins n’auraient-ils donc démontré aucun effet sur le nombre de morts à cause du Covid-19, comme l’affirment ces internautes ? C’est faux. Il existe bel et bien une relation indubitable entre les taux de vaccination et la baisse de la mortalité due au Covid-19.
Pour autant, les vaccins anti Covid-19 ne peuvent être considérés comme le seul facteur qui entre en jeu dans l’évolution de l’espérance de vie. Les causes des décès varient d’une personne à l’autre et d’un pays à l’autre selon les conditions sanitaires, sociales, économiques, démographiques ou politiques. L’analyse de l’espérance de vie d’une population est à la fois complexe et multifactorielle : état des lieux depuis deux ans.
L’année 2020 marquée par la surmortalité liée au Covid-19
Comment savoir si les décès constatés depuis le début de la pandémie sont dus au Covid-19 ? “Dans tous les pays à haut revenu, il y a une obligation de déclaration au moment du décès qui comprend des informations comme le sexe et l’âge qui sont nécessaires pour calculer l’espérance de vie et également la cause principale de décès et les causes associées, dont celles pour Covid-19” répond Magali Barbieri, chercheuse associée Université de Californie et directrice de recherche à l’Institut National d’Études Démographiques (INED, France).
Avec l’apparition de la pandémie de coronavirus, les conditions de mortalité prises en compte dans la table de mortalité par âge pour déterminer l’espérance de vie ont donc changé. Selon l’institut belge de la statistique Statbel, “une table de mortalité calcule comment une génération s’éteindrait si, tout au long de sa vie, elle était exposée aux mêmes conditions de mortalité par âge que durant l’année de référence”.
Dans ce contexte, en prenant l’exemple de la Belgique, l’année 2020 a été marquée par un nombre de décès supérieur à la moyenne des décès journaliers entre 2009 et 2018, en raison de la surmortalité liée au Covid-19, et avant même que le vaccin ne soit déployé dans le pays, selon Statbel et l’institut belge de santé publique Sciensano.
L’important taux de mortalité du SRAS-COV 2 s’explique notamment par sa grande propagation ainsi que son caractère parfois asymptomatique qui peut entraîner des contaminations multiples et particulièrement graves chez les personnes âgées ou celles présentant certaines comorbidités.
Quand la mortalité augmente dans une population, l’espérance de vie diminue
Avec la forte augmentation des décès en 2020 à cause de la pandémie de Covid-19, l’espérance de vie en Belgique tout comme dans l’ensemble des pays occidentaux a fortement chuté par rapport à 2019.
Aucun pays de l’Union Européenne (UE) n’échappe à ce phénomène, comme l’indiquent les données d’Eurostat présentées dans les deux cartes de 2019 et 2020 ci-dessous (la barre noire verticale peut être déplacée afin de pouvoir comparer les deux années).
L’année 2021 et l’impact positif du vaccin sur la baisse de la surmortalité liée au Covid-19
Avec l’arrivée des vaccins anti Covid-19 et le début de leur déploiement en 2021, la baisse de l’espérance de vie s’est fortement ralentie dans certains pays occidentaux.
“Nous avons clairement observé une relation statistique entre les taux de vaccination, la mortalité liée au Covid-19 et la baisse de l’espérance de vie. Ce lien est très fort entre la vaccination et la baisse de la mortalité mais aussi entre la vaccination et le risque d’être hospitalisé, notamment en unité de soins intensifs”, souligne Magali Barbieri de l’INED.
Ainsi en Belgique, selon Sciensano, “parmi la population de 18 ans et plus, le risque de décéder des suites du Covid-19 à l’hôpital était 7,8 fois moins élevé chez les patients entièrement immunisés que chez les personnes non vaccinées. Parmi les groupes d’âge plus élevés, le risque de décéder du Covid-19 était 7,3 et 12,2 fois plus faible chez les personnes entièrement immunisées que chez les personnes non vaccinées âgées de 85 ans et plus et de 65 à 84 ans, respectivement”.
A l’échelle globale, l’impact du vaccin sur les taux de mortalité est aussi considérable. C’est ce qu’ont conclu les auteurs d’une étude de la revue The Lancet, publiée le 23 juin 2022 : ils estiment qu’en 2021, la vaccination aurait permis d’éviter 20 millions de décès dans le monde.
Pour arriver à ce chiffre, ils ont comparé les situations épidémiologiques de 185 pays avec trois scenarii : 1) Aucun vaccin n’est administré ; 2) Les vaccins ne réduisent pas la transmission du SRAS-CoV-2 ; 3) Les vaccins ont l’efficacité escomptée.
“Ces résultats révèlent l’impact mondial remarquable que la vaccination a eu sur la pandémie de Covid-19” souligne notamment l’un de ces auteurs, Oliver J Watson.
La disparité de l’efficacité vaccinale entre les pays à hauts, moyens et bas revenus
Toujours selon Oliver J Watson, coauteur de l’étude de The Lancet, “le nombre estimé de décès évités grâce à l’administration du vaccin était nettement plus élevé dans les pays à revenu élevé et dans les pays à revenu moyen supérieur, en partie en raison d’un meilleur accès aux vaccins à ARNm plus efficaces”. Les vaccins à dits à ARN messager (ARNm) sont les vaccins des laboratoires Pfizer et Moderna, largement déployés dans les pays occidentaux.
Selon une étude de la revue Nature, quatre pays d’Europe occidentale sortent du lot. Il s’agit de la Belgique, la France, la Suisse et la Suède qui ont entièrement rétabli l’espérance de vie de leur population au niveaux d’avant la pandémie.
Ainsi, en Belgique, pays qui a affiché la reprise la plus impressionnante de tous les pays de cette étude, les personnes de 60 ans et plus avaient vu leur d’espérance de vie baisser d’environ un an en 2020, pour finalement augmenter d’environ 10 mois en 2021, revenant presque au niveau de 2019, peut-on lire dans cet article de l’hebdomadaire américain le Time du 17 octobre 2022.
Comment expliquer ces fortes remontées de l’espérance de vie dans ces pays, principalement d’Europe de l’Ouest ? Pour Magali Barbieri de l’INED, “cela est effectivement très lié à la vaccination mais aussi aux conditions de santé générale et d’accès aux traitements dans ces pays”.
L’impact de la vaccination sur la surmortalité liée au Covid-19 s’est aussi observé dans les pays à plus bas revenus. Selon l’étude de The Lancet, près 7,5 millions de décès sur les 20 millions évités dans le monde, l’ont été évités dans les pays couverts par l’initiative Covid-19 pour l’accès aux vaccins (COVAX). “Cette initiative d’accès équitable a été mise en place parce qu’il est apparu très tôt que l’équité en matière de vaccins au niveau mondial serait le seul moyen de sortir de la pandémie” note son coauteur, Oliver J Watson.
La moindre remontée de l’espérance de vie post-vaccination en Europe de l’Est
Malgré une forte couverture vaccinale, certains pays n’ont ainsi pas connu les mêmes remontées de leur espérance de vie en 2021 que celles de la Belgique, la France, la Suisse ou la Suède.
C’est notamment le cas des pays de l’Est et du centre de l’Europe.
Selon l’étude de Nature, les cas de la Slovaquie, la Croatie et la Hongrie sont particulièrement éclairants à cet égard. L’espérance de vie chez les plus de 60 ans a “étonnamment” chuté compte tenu de leur taux de vaccination. L’un des auteurs de cette étude, Jonas Schöley, explique cette perte en s’intéressant à “la priorité donnée à la vaccination de certains groupes d’âge ou au type de vaccins utilisés” tout en notant que “les inégalités d’accès aux systèmes de soins de santé dans certains pays d’Europe de l’Est ne sont aggravés avec la pandémie”.
Pour autant, la corrélation entre les taux de couverture vaccinale et d’évolution de l’espérance de vie reste toujours un facteur explicatif incontestable notamment en ce qui concerne la Bulgarie. Le pays qui a perdu 3,5 ans de son espérance de vie sur deux ans, n’a effectivement enregistré que 40% de vaccination chez les plus de 60 ans et 20% chez les moins de 60 ans.
Les Etats-Unis : la surmortalité des plus jeunes
De l’autre côté de l’Atlantique, tandis que l’espérance de vie chez les plus de 80 ans est quasiment revenue à son niveau prépandémie, ce n’est pas le cas en ce qui concerne les moins de 60 ans. C’est également l’une des conclusions de l’étude de Nature.
Comment expliquer cette situation ? Selon l’un des auteurs de cette étude, Jonas Schöley, il faut comparer les principales causes de décès avant et après la pandémie. “Tandis que les décès causés par les maladies cardiovasculaires et les cancers ont diminué sur la période, ceux causés par les surdoses d’opioïdes chez les populations plus jeunes se sont accentués. Ces décès par overdoses sont donc venus s’ajouter aux décès pour Covid-19, participant ainsi la chute de l’espérance de vie des Américains, et surtout des hommes jeunes”.
Un article du British Medical Journal publié en juin 2021 met notamment l’accent sur “la prévalence plus élevée de conditions comorbides dans de nombreux groupes raciaux ou marginalisés – populations noires, hispaniques, asiatiques et indigènes – en conséquence de l’inégal accès aux déterminants sociaux de la santé (par exemple, l’éducation, le revenu et la justice) aux Etats-Unis”.
Dernier élément qui viendrait expliquer la mortalité plus forte chez les Américains par rapport à celle des populations d’autres pays occidentaux est la réticence à se faire vacciner pour raison idéologique. Magali Barbieri de l’INED observe ainsi “un lien assez fort entre le positionnement politique et l’attitude par rapport à la vaccination et aux gestes barrières”, plus marqué que dans les autres pays dits “développés”. “Les groupes de personnes non-vaccinées sont beaucoup plus homogènes aux Etats-Unis qu’en France ou en Belgique par exemple, accroissant ainsi la probabilité qu’elles se contaminent entre elles” ajoute la chercheuse, qui précise que le vaccin réduit la transmission du virus. Le virus circule en effet moins intensément dans les groupes de personnes vaccinées.
L’échec du système COVAX ?
Contrairement à ce qu’affirment certains internautes sceptiques sur l’efficacité des vaccins anti Covid-19, ceux-ci ont eu un impact significatif sur la diminution de la mortalité due au Covid-19 dans de nombreux pays. Et dans les pays au sein desquels la mortalité a moins, ou pas, baissé, d’autres facteurs extérieurs doivent être pris en compte.
Toutefois, cet impact des vaccins sur la mortalité due au Covid-19 aurait pu être bien plus important, notamment dans les pays à faible revenu. C’est ce qu’a montré l’équipe de l’épidémiologiste Sam Moore de l’université de Warwick à Coventry (Royaume-Uni) dans un article publié dans la revue Nature Medicines le 27 octobre dernier. Selon elle, une couverture vaccinale plus équitable entre les pays à haut et bas revenu aurait permis d’éviter 1,3 million de décès dans le monde.
Ces résultats concordent avec ceux de l’étude de juin dernier de The Lancet citée plus haut. Elle avait révélé qu’environ 45% des décès dus au Covid-19 dans les pays à faible revenu auraient pu être évités si ces pays avaient atteint une couverture vaccinale de 20% d’ici à la fin de 2021. Un objectif pourtant fixé par la campagne mondiale de partage des vaccins COVAX.