Ces derniers jours, de nombreux médias belges et français ont mis en garde contre la “dangerosité” du “Labello Challenge” ou “Jeu du Labello” qui circule sur TikTok. Le nouveau défi consiste à mettre du baume sur sa bouche ou à en couper un bout dès que l’on a un coup de blues. Une fois le tube terminé, le jeune “doit mettre fin à ses jours”.
Or, le défi a un effet très limité : la plupart des vidéos à ce sujet sont essentiellement des messages de prévention. Ensuite, aucun cas de suicide en lien avec cette tendance n’a été rapporté en Belgique. Enfin, à l’image de précédents “challenges” qui avaient circulé sur le réseau social chinois, certains médias ont participé à l’amplification du phénomène.
Plusieurs parents ont exprimé leur inquiétude sur les réseaux sociaux et dans les médias concernant un nouveau défi qui circule sur TikTok, intitulé “Le Labello Challenge”.
C’est le cas d’Anthony, interrogé par RTL : “Ils sont des centaines, ils font ça dans leur chambre, à l’abri du regard de leurs parents.”
Sur Facebook, le compte “Je suis une Maman”, un groupe de partage de conseils destinés aux mères et qui rassemble plus de 500.000 membres, a également publié un message de prévention : “Attention je tiens à avertir tous les parents d’une nouvelle “tendance” sur les réseaux sociaux, un jeu idiot et dangereux !”.
Enfin, sur TikTok, plusieurs dizaines de vidéos, dont celle-ci qui figure dans le “top” des contenus les plus regardés, circulent et mettent en scène des parents inquiétés par le phénomène.
La plupart des vidéos apparaissant sur TikTok en lien avec le “Labello Challenge” sont des contenus davantage axés sur la prévention ou mettent en scène des jeunes qui ont tourné le défi en dérision. “Faut pas faire ça“, “Je ne vais rien faire” ou “Restez tranquille, j’ai juste les lèvres très gercées” ont totalisé plusieurs centaines de vues.
La grande majorité des commentaires en dessous des vidéos dénoncent d’ailleurs le phénomène. “Le Labello Challenge était là depuis longtemps, il a juste pris de la visibilité“, affirme un utilisateur de la plateforme. “Je n’en ai jamais entendu parler”, indique un autre. “Il n’y a que des vidéos de prévention, il n’y a pas de vidéo (de personnes qui font vraiment le challenge, ndlr)”, constate un troisième TikTokeur.
© Capture d’écran TikTok.
En effet, rares sont les contenus où des jeunes se filment et affirment qu’ils “relèvent le défi” en appliquant du baume sur leurs lèvres.
Pour trouver des résultats plus pertinents, il faut entrer le terme anglais pour désigner du baume à lèvres : “Chapstick”.
Ainsi, cette vidéo a été aimée près de sept mille fois et commentée par plus de mille utilisateurs. “C’est tout ce qui reste” est le message qui surplombe une image montrant un “Labello” presque terminé.
Par ailleurs, très peu d’information concernant l’auteur et l’origine de la publication sont disponibles. De plus, rien n’indique que le jeune a réellement l’intention de commettre un suicide.
La vulnérabilité des jeunes en hausse
“Suite à la médiatisation de ce challenge, une communication a été faite au sein de notre service mais aucune alerte n’a été rapportée pour le moment“, explique Deborah Deseck, chargée de communication du Centre de prévention suicide en Belgique.
Selon elle, le phénomène ne doit pas pour autant être minimisé : “Les jeunes sont de plus en plus vulnérables et ce genre de challenges, qui revient de manière cyclique, est une preuve qu’ils cherchent à se tester et se mettre au défi, y compris à mettre leur vie en danger.”
Depuis 2020, le Centre de prévention suicide accueille un nouveau public sur ses lignes d’écoute, celui des jeunes : “Cela s’explique, entre autres, par leur isolation durant la période de confinement, où ils étaient coupés de leur environnement social.”
Deborah Deseck insiste sur l’importance du dialogue avec les jeunes et de la manière dont le défi est médiatisé : “Il faut parler de manière juste et proportionnée, en rappelant qu’un suivi existe via notre ligne d’écoute : 0800 32 123.”
L’importance de la prévention
La position du Centre de prévention suicide rejoint celle du psychopédagogue Bruno Humbeeck : “Il y a deux manières de traiter l’information : soit les médias n’en parlent pas mais prennent le risque de ne pas relayer un enjeu important, soit ils en parlent en insistant sur le ‘démontage des mécanismes’.”
Bruno Humbeeck décrit ces mécanismes comme une sorte de scénario dans lequel le jeune s’enferme et qu’il doit suivre à tout prix : “Par ce genre de défi, l’adolescent met en jeu son identité. S’il sort du scénario, c’est comme s’il perdait la face devant ses camarades.” Le psychologue poursuit : “Le jeune ne peut sortir de ce scénario que si une personne extérieure ne l’y autorise, comme un adulte par exemple, par le biais de la prévention.”
Le psychopédagogue souligne ainsi l’importance du rôle des parents : “Il est important que les adultes s’intéressent à ce que leurs ados font sur leur smartphone et qu’ils puissent se montrer disponibles sans être envahissant. Pour autant, il ne faut pas diaboliser les réseaux sociaux et leur interdire l’usage de tels outils.”
In fine, Bruno Humbeeck estime que le rôle des médias est de sensibiliser le jeune public aux dérives possibles de TikTok en déconstruisant les mécanismes de tels défis : “Pour le moment, on a créé un phénomène d’attention mais pas encore un phénomène de prévention“.
Les nouvelles règles du “jeu du Labello”
Face au risque que représente ce challenge, dans l’espace des commentaires, une phrase est épinglée presque systématiquement par des utilisateurs : “Nouvelles règles du jeu du Labello : mets-toi du Labello chaque fois que tu te sens heureuse. Quand tu as fini ton tube, sois fière de toi.”
D’autres encore ont décidé de transformer le concept et incitent les utilisateurs “à faire un vœu” une fois que le tube de Labello est épuisé.
Dans un autre registre, cette vidéo TikTok propose de réinventer le challenge : “Mets-toi du Labello jusqu’à ce qu’il soit vide, une fois qu’il est vide, avoue tes sentiments à ton crush (la personne pour laquelle tu éprouves des sentiments, ndlr).”
Enfin, d’autres utilisateurs proposent simplement d’acheter un nouveau baume à lèvres.
A l’origine, le “Labello Kiss Challenge”
Le Labello Challenge n’est pas un phénomène récent. Au départ, le défi consistait à faire deviner à un ami le goût du baume à lèvres par l’échange d’un baiser sur la bouche. On l’appelle le “Labello Kiss Challenge”.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, le #LabelloKissChallenge a une viralité beaucoup plus grande (avec 36,7 millions de vues) que le #LabelloChallenge (10 millions de vues). De plus, la majorité des contenus publiés sont des vidéos de prévention.
D’autres challenges “dangereux” médiatisés par le passé
En 2019, le “Momo Challenge” avait fait l’objet d’une attention médiatique particulière en raison de sa dangerosité.
Momo est une créature qui s’inspire d’une sculpture réalisée par Miori Hayashi, un artiste japonais. Le jeu consiste à entrer un “numéro maudit Whatsapp” afin de parler avec une créature “hideuse” et “anxiogène” qui incite à l’automutilation ou au suicide.
Cet article de la RTBF publié en mars 2019 indique que la police n’avait, à l’époque, recensé aucune victime liée à ce challenge en Belgique.
A l’étranger, le quotidien britannique The Guardian avait dénoncé la surmédiatisation du phénomène : “L’importante médiatisation de l’histoire a créé une panique qui peut toucher les plus vulnérables“.
Plus tôt, en 2016, le “Blue Whale Challenge” (en français : le défi de la baleine bleue) était soupçonné d’être à l’origine de plusieurs accidents et suicides, notamment chez les adolescents. Enrôlé par un “tuteur”, le joueur devait réaliser un défi chaque jour pendant 50 jours, le dernier défi étant le suicide.
La police et les médias, dont la RTBF, s’étaient emparés de l’information en prônant la prévention. Un article de Libération rapportait à l’époque qu’aucune victime n’était à déplorer en France. Le quotidien français décryptait alors comment ce jeu originaire de Russie avait pris de l’ampleur en raison de l’emballement médiatique.
Les médias participent à la viralité du phénomène
Journaliste à la VRT et pour Knack, Rien Emmery, spécialiste des questions relatives à la désinformation, fait un parallèle entre le Labello challenge et les Momo et Blue Whale Challenges : “Habituellement, ces ‘jeux dangereux’ ne deviennent vraiment viraux que lorsque les médias en parlent. Le ton des reportages des médias est donc important. En outre, une trop grande attention portée à ces allégations peut détourner l’attention de phénomènes qui ont effectivement un impact sur la vie en ligne des jeunes – allant de la pornographie de vengeance (ou Porn Revenge) à la cyberintimidation.”
Pour autant, il estime qu’il ne s’agit pas de désinformation : “L’inquiétude, elle-même, est réelle. Bien entendu, il est important que les médias, dans la mesure du possible, apaisent ces inquiétudes. Internet n’est pas toujours un endroit sûr pour les enfants, mais il y a une différence entre les dangers réels et la ‘panique morale’ face à certains phénomènes viraux.”
Une couverture médiatique disproportionnée
A l’image des Momo Challenge et Blue Whale Challenge, le “Jeu du Labello”, ce phénomène marginal dont l’existence d’aucune victime n’a pu être rapportée, a fait l’objet d’une attention médiatique parfois disproportionnée.
Enfin, les spécialistes interrogés à ce sujet estiment qu’il ne faut pas, pour autant, minimiser l’impact de ce défi sur les jeunes. Ils insistent sur l’importance de la prévention et du dialogue.
Toute personne ayant des idées suicidaires peut contacter la ligne d’écoute du Centre de Prévention du Suicide au 0800 32 123 (elle est anonyme, gratuite et disponible 24 heures/24) ou se rendre sur le site preventionsuicide.be.