Deux cartes avec des températures similaires mises côte à côte, l’une verte qui serait datée de 1986 et l’autre orange, datée de 2022 dévoileraient “l’arnaque du réchauffement climatique” mise en scène par les chaînes météo, assurent des publications virales sur les réseaux sociaux ces derniers jours. Cette comparaison est trompeuse et infondée : ces cartes proviennent de deux médias suédois différents, qui utilisent des codes de couleurs distincts pour leurs bulletins météos, et datent respectivement de juillet 2016 et août 2021. Le réchauffement climatique et son origine humaine sont par ailleurs aujourd’hui établis par un consensus scientifique, et l’été 2021 a été le plus chaud de l’histoire de l’Europe, selon le service européen sur le changement climatique Copernicus.
“En 1986, cela s’appelait un été normal. Aujourd’hui, ils colorent la carte en rouge et appellent ça une chaleur extrême“, assure un tweetpartagé plus de 4.000 fois et aimé à plus de 11.000 reprises depuis le 26 mai, relayant deux cartes présentant la météo en Suède.
La première, entièrement verte, montre des températures dépassant pour la plupart 22 degrés, et est datée, selon le post, de “1986“. La deuxième, orange, présente des températures relativement similaires, autour des 20 degrés, et il y est inscrit “2022“.
Le même visuel a été repris sur Twitter, Facebook, ou encore VKontakte, par de nombreux internautes dénonçant “l’arnaque du réchauffement climatique“. Ces allégations nous ont aussi été transmises sur WhatsApp pour vérification.
Pourtant, ces comparaisons sont trompeuses, pour plusieurs raisons. D’une part, les années mises en avant sur les cartes ne correspondent pas : la première a été publiée fin juillet 2016 et la deuxième début août 2021. D’autre part, les deux cartes proviennent de médias suédois différents, qui utilisent des codes couleurs distincts pour leurs bulletins météorologiques.
Une première carte publiée en juillet 2016
En effectuant une recherche d’image inversée sur Google (dont le principe est détaillé dans cette vidéo) avec la première des deux cartes, on peut assez rapidement retrouver son origine. Elle provient d’un bulletin météorologique diffusé sur le site de la chaîne de télévision suédoise SVT(pour “Sveriges Television“), qui présente la même carte verte, dans une version de l’image plus large et d’une meilleure qualité.
Les deux cartes correspondent en tous points : les températures affichées sont identiques, tout comme les illustrations des nuages ou la lettre “H” qui apparaît au milieu de la carte.
Cependant, la carte présente sur le site de la SVT ne date pas de 1986 comme le prétendent les publications sur les réseaux sociaux, puisque l’article dont elle fait partie détaille les prévisions météo pour le jeudi 21 juillet 2016.
En jetant un œil aux prévisions météo de la chaîne pour le 1er juin 2022, on peut par ailleurs s’apercevoir que les cartes reprennent des teintes vertes, et non orange comme la deuxième carte partagée sur les réseaux sociaux. Il en va de même pour les archives consultables en ligne des bulletins météo du site, disponibles pour certains jours de 2021 et 2022 jusqu’au mois de mai.
Les cartes météo de la SVT reprennent par ailleurs toutes des visuels montrant des soleils et des nuages, ce qui n’est pas le cas de la carte orangée de la publication sur les réseaux sociaux.
La deuxième carte date d’août 2021
En réalité, cette deuxième carte n’a pas été produite par le même média. Une recherche d’image inversée sur le moteur de recherche russe Yandex permet de retrouver la trace de cette image sur Twitter dès août 2021. Un internaute la partageait, avec un cadre plus large, mais déjà associée à la carte verte de la SVT.
Plusieurs indices présents sur l’image au cadre plus large (comme le logo en haut à droite qui montre un “4“, le commentaire mentionnant “Fredag” – vendredi en suédois- et la présence d’une présentatrice à gauche qui montre la carte) permettent de retrouver la piste de la vidéo dont elle est extraite.
Une recherche avec le “4” du logo renvoie ainsi vers le sitede la chaîne de télévision suédoise “TV4“, et permet d’identifier la femme comme étant Madeleine Westin, l’une des présentatrices météo de la chaîne.
En consultant les archives des bulletins météorologiques diffusés par TV4, on peut ainsi retrouver la carte orange dans une vidéodu 13 août 2021, dans laquelle apparait Madeleine Westin. Les températures et autres indices visuels permettent de confirmer qu’il s’agit de la carte partagée dans les publications sur les réseaux sociaux.
Ces teintes orangées n’ont par ailleurs rien d’exceptionnel sur la chaîne TV4 : on peut les retrouver dans d’autres bulletins météoprécédents.
2021, l’été le plus chaud de l’histoire de l’Europe
Fin avril, le service européen sur le changement climatique Copernicus (C3S) notait dans son rapport annuelque l’été 2021 a été le plus chaud de l’histoire de l’Europe, 1°C au dessus de la moyenne des 30 dernières années.
Cet été particulièrement chaud a été notamment marqué par des canicules de plusieurs semaines et particulièrement intenses, le mercure montant jusqu’à 48,8°C en Sicile, nouveau record européen (qui doit encore être officiellement homologué) ou 47°C en Espagne, nouveau record national.
Cette chaleur a été accompagnée d’une sécheresse persistante notamment en Méditerranée, créant des conditions propices aux incendies, en particulier en Italie, en Grèce et en Turquie.
Une surface totale de 800.000 hectares était ainsi partie en fumée en juillet et en août, faisant de cette saison des incendies l’une des plus intenses en Europe depuis 30 ans.
“2021 a été une année d’extrêmes, avec notamment l’été le plus chaud en Europe, des canicules en Méditerranée, des inondations et un manque de vent, montrant que comprendre la météo et les extrêmes climatiques est de plus en plus important pour les secteurs clés de la société“, avait commenté Carlo Buontempo, le directeur de Copernicus, comme le relatait l’AFP.
Depuis l’ère pré-industrielle, la planète a gagné entre 1,1 et 1,2°C, et l’Europe se réchauffe plus vite avec une hausse moyenne de la température de 2°C, notait encore Copernicus.
Un consensus sur le réchauffement climatique
Des allégations visant à minimiser la présence du réchauffement climatique ou la responsabilité de l’activité humaine dans le dérèglement du climat circulent régulièrement sur les réseaux sociaux, et l’AFP y a déjà consacré plusieurs articles en français et en anglais.
Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ou IPCC en anglais), créé en 1988, rend compte tous les 5 à 8 ans de l’état des connaissances sur le changement climatique. Il publie à intervalles réguliers des rapports d’évaluation, en plusieurs parties.
Le GIEC est considéré par la communauté scientifique internationale comme une source fiable et reconnue sur le réchauffement climatique.
Le 4 avril 2022, le GIEC a publié le troisième volet de son sixième rapport d’évaluation (2021-2022), alertant sur l’urgence de la prise de plusieurs mesures.
Les experts y proposent plusieurs transformations structurelles pour éviter un réchauffement de 3,2% d’ici 2100, qui pourrait rendre une partie du monde “invivable“. Sont notamment suggérés un passage aux mobilités douces et aux véhicules électriques, le télétravail, l’isolation des bâtiments, un moindre recours à l’avion… L’objectif étant de baisser drastiquement les émissions de gaz à effet de serre émis par les activités humaines, responsables de l’augmentation de la température.
Dans le premier volet de ce sixième rapport d’évaluation, publié le 9 août 2021, le GIEC écrivait qu’il est”incontestable que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, les océans et les terres“. Comme l’avaient détaillé plusieurs chercheurs à l’AFP en avril, les observations scientifiques permettent en effet d’établir que le changement climatique est principalement dû à des émissions humaines de CO2.
En 2019, des allégations similaires au sujet de cartes météo qui auraient été retouchées pour “créer un stress écolo” avaient circulé sur les réseaux sociaux et fait l’objet d’un article de vérification de l’AFP.