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Non, le parc nucléaire français ne pas tourne “à fond” comme l’affirme Zakia Khattabi

Non, le parc nucléaire français ne pas tourne "à fond" comme l’affirme Zakia Khattabi - Featured image

Author(s): Romane Bonnemé

Contrairement à ce qu’a affirmé Zakia Khattabi (Ecolo) sur LN24 ce mardi 13 septembre 2022, le parc nucléaire français ne “tourne pas à fond. Près de la moitié des réacteurs sont actuellement à l’arrêt à cause de problèmes de maintenance et de corrosion, auxquels s’ajoutent les répercussions de la crise sanitaire et, dans une moindre mesure, de mauvaises conditions météorologiques.

Ce 13 septembre, la ministre du Climat, de l’Environnement, du Développement durable et du Green Deal était au micro de LN24 pour présenter la position du gouvernement fédéral à la crise énergétique. En faisant référence au cas de la France, Zakia Khattabi rappelle ainsi sa réticence au développement de l’énergie nucléaire en Belgique, notamment dans le contexte de la flambée des prix de l’énergie à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Selon elle, “dire que la réponse à la crise énergétique actuelle est le nucléaire est une erreur. On le voit en France aujourd’hui, tous les parcs nucléaires tournent à fond et on est en plein dans la crise“.

Or contrairement à ce qu’affirme la ministre, le parc nucléaire français est loin d’être à sa puissance maximale. “Une partie du parc est à l’arrêt“, glissait d’ailleurs Martin Buxant, l’intervieweur de la Matinale de LN24, quelques secondes plus tôt. Plus précisément, près de la moitié des réacteurs nucléaires français sont actuellement hors service.

Au 12 septembre 2022, 28 réacteurs étaient arrêtés sur 56, selon les données du gestionnaire français du Réseau de Transport d’Electricité (RTE).

Cette situation est “inédite depuis les premiers réacteurs construits dans les années 60” selon Martin Denoun, spécialiste du parc nucléaire français et doctorant au sein du groupe de sociologie pragmatique et réflexive, École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Et pour cause : le producteur d’électricité français EDF projette une production nucléaire comprise entre 280 à 300 térawatts/heure (TWh) pour l’année 2022, contre environ 380 TWh entre 2016 et 2019, soit une baisse de près de 25% par rapport à des années récentes.

Martin Denoun rappelle que cette production avoisinait les 450 TWh au milieu des années 2000.

La corrosion sous contrainte : principal facteur de la faible disponibilité du nucléaire français

Comment expliquer cette diminution de la production nucléaire en France en 2022 ?

RTE distingue trois principales raisons dans son dernier rapport publié le 14 septembre et intitulé Perspectives pour le système électrique pour l’automne et l’hiver 2022-2023.

La première explication est relative au fait que “le parc nucléaire fait actuellement l’objet de travaux de grande ampleur dans le cadre du ‘grand carénage’“. Il s’agit des travaux de maintenance opérés tous les dix ans de certains réacteurs, appelés aussi visites décennales, mais aussi de “changement de composants dans le cadre du retour d’expérience post-Fukushima“, peut-on lire dans le rapport de RTE.

Pour les réacteurs les plus âgés, ces quatrièmes visites décennales sont plus longues qu’auparavant, “désormais les travaux durent plus de six mois“, précise Martin Denoun.

A cette première explication s’ajoute l’impact de la crise sanitaire sur le calendrier de ces travaux de maintenance. Celui-ci a été “durablement perturbé, en particulier lors du premier confinement [conduisant] à des adaptations de plannings et au report de certains travaux” toujours selon RTE.

La corrosion sous contrainte constitue aujourd’hui le principal facteur explicatif de la faible disponibilité du nucléaire.

Rapport RTE, 14 septembre 2022

Enfin et surtout, la troisième explication à la baisse de la production électrique nucléaire est largement liée à la détection d’anomalies de corrosion sous contrainte (CSC) sur “les réacteurs les plus puissants du parc français, ceux qui ont été adaptés ou ‘francisés’ par EDF pour accroître leur rendement“, explique ainsi Martin Denoun.

Comme l’écrivent les auteurs du rapport de RTE, ces anomalies ont entraîné “la mise à l’arrêt préventive de plusieurs réacteurs (notamment des quatre réacteurs du palier N4 à Civaux et Chooz, les plus récents du parc), la définition d’un programme de contrôle sur l’ensemble des réacteurs du parc, et des travaux de réparation sur les réacteurs. La corrosion sous contrainte constitue aujourd’hui le principal facteur explicatif de la faible disponibilité du nucléaire“.

De façon plus marginale, les conditions météorologiques ont également contribué à limiter la production d’électricité via le nucléaire en France. La sécheresse ou les vagues de chaleur de l’été 2022 ont ainsi provoqué un déficit de près de 2 GigaWatt (GW), selon les chiffres de RTE.

In fine, contrairement à ce qu’affirme la ministre Zakia Khattabi, la France est bien en déficit de production nucléaire. En juillet et août 2022, Thomas Veyrenc, directeur exécutif de RTE en charge de la stratégie, de la prospective et de l’évaluation, indique lors de la présentation du rapport à la presse, qu’il a manqué entre 15 et 20 GW de disponibilité nucléaire par rapport aux sorties d’été de la décennie 2010-2019.

Disponibilité du parc nucléaire constatée en 2022 et comparaison avec l’historique RTE

Quid du pari du nucléaire en France ?

Contacté par Faky, le porte-parole de la ministre reconnaît une affirmation “imprudente” de la part de madame Khattabi, indiquant que ses propos ne reflétaient pas le fond de sa pensée. Selon Adrien Volant, la ministre voulait plutôt insister sur les sources de production d’électricité en France, à l’avantage du nucléaire.

En reformulant les propos de la ministre, Adrien Volant rectifie son affirmation en proposant une autre réponse : “Même si le nucléaire ne tourne pas à gogo en France, c’est une société qui a misé sur le tout nucléaire, et qui finalement n’a pas échappé à la crise“.

La France a-t-elle misé sur le tout nucléaire comme le sous-entendait la ministre ? Bien que le nucléaire ne représente pas 100% du mix électrique français, celui-ci en constitue effectivement une large part.

En effet, selon le bilan électrique 2020 de RTE, le nucléaire représentait 67.1% de la production d’électricité produite en 2020 tandis que 13% proviennent de l’hydraulique, 7,9% de l’éolien, 7,5% des énergies fossiles, 2,5% du solaire et 1,9% des bioénergies (voir le graphique ci-dessous issu des données de la plateforme d’Open Data Réseaux Énergies).

Un hiver plus rude en France ?

Avec un mix électrique fortement nucléarisé, la France sera-t-elle davantage impactée par la crise cet hiver ?

Le déficit de production nucléaire français s’inscrit dans un “contexte dégradé” où la crise du gaz, conséquence de l’invasion russe en Ukraine, et l’amoindrissement de la production hydraulique à cause de la sécheresse longue et intense de l’été 2022 viennent tendre l’approvisionnement et gonfler les prix de l’électricité.

Même si selon RTE, “s’agissant du nucléaire l’incertitude s’est réduite ces derniers mois dans un sens favorable car le problème de corrosion est circonscrit à certains types de réacteurs“, une autre incertitude demeure : le rythme effectif de remise en service des réacteurs.

Dans ce flou, le gestionnaire du Transport de l’Electricité a développé trois scenarii :

  1. “intermédiaire” dans lequel les échanges intra-européens restent stables ;
  2. “haut” en cas de remontée rapide de la disponibilité du nucléaire ;
  3. “dégradé” en cas d’une pénurie de gaz en Europe.

Ces trois cas de figure prennent aussi en compte plusieurs types de conditions météorologiques pour les prochains mois : plus l’hiver sera froid, plus les risques de déséquilibre du système électrique grandiront.

Y aurait-il des coupures d’électricité en France ? Interrogé par L’Obs ce 14 septembre, Xavier Piechaczyk, président du Réseau de Transport d’Electricité (RTE) apporte une réponse nuancée : “Nous savons que nous pouvons manquer ponctuellement d’électricité cet hiver. Mais ce que nous montrons dans le rapport que nous publions aujourd’hui, c’est que si nous sommes raisonnables et solidaires, alors nous passerons les pics de consommation. Si les entreprises, les collectivités publiques et les ménages français se mobilisent pour réduire la demande d’électricité lors des moments les plus critiques – notamment le soir, aux alentours de 19 heures –, alors il sera possible de passer l’hiver sans la moindre coupure.

La France, n’est plus le premier exportateur d’électricité d’Europe

A cause de ces problèmes structurels, la France n’est plus exportatrice nette d’électricité. Tandis qu’en 2020, elle avait un solde positif de 43,2 Térawatt/heure, elle est désormais déficitaire. Ce sont les conclusions d’un rapport de l’analyste de données énergétiques EnAppSys du 10 août 2022 qui indique que “les problèmes structurels de son parc nucléaire ont obligé [la France] à se procurer des quantités importantes d’électricité auprès d’autres pays au cours du premier semestre 2022. Les exportations de la France ont donc diminué de moitié par rapport au semestre précédent“.

En se fournissant sur le marché européen, la France contribue ainsi à la montée du de l’électricité dépendant de celui du gaz. En effet, ce prix est fixé à partir du coût de production marginal du dernier MWh injecté sur le réseau : “Lorsque la demande est forte, les centrales thermiques sont mises à contribution, et le coût de l’électricité est alors indexé sur le cours du gaz (ou du charbon)“, lit-on dans cet article du Monde.

Contrairement à la France, la Belgique est une exportatrice nette d’électricité. Elle a principalement exporté son électricité vers la France (813,9 GWh en juin 2022) indique le SPF Economie, et ce, en raison de “la disponibilité exceptionnellement faible des centrales nucléaires [françaises]“.

A dix jours de l’arrêt programmé du réacteur de Doel 3, la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden, a demandé à l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN) ce 14 septembre d’examiner si le démantèlement du réacteur pouvait être reporté de manière sûre. “En ces temps incertains, nous devons être attentifs à notre approvisionnement énergétique“, a-t-elle justifié sur Twitter.