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Non, l’OTAN n’a pas modifié sa “clause de défense collective” le 15 février

Non, l'OTAN n'a pas modifié sa "clause de défense collective" le 15 février - Featured image

Author(s): Juliette MANSOUR / AFP France

Alors que les membres de l’OTAN se sont réunis le 15 février 2023 à Bruxelles, des publications partagées sur les réseaux sociaux affirment que l’Alliance a, à cette occasion, discrètement modifié l’article 5 de son traité fondateur, qui garantit une riposte collective en cas d’attaque armée contre l’un de ses membre, pour faciliter une “entrée en guerre”.  Mais l’OTAN n’a pas modifié cet article, a expliqué l’Alliance. Et si tel avait été le cas, le changement aurait dû être inscrit dans le texte, qui aurait lui-même alors dû être à nouveau ratifié par les 30 membres, un processus qui serait difficilement passé inaperçu. En outre, cet article 5 stipule uniquement que les Etats sont tenus de riposter en cas d’attaque armée contre un ou plusieurs pays membres. Mais la nature et l’ampleur de la riposte sont du ressort de chaque Etat : elle n’est pas automatiquement militaire et peut par exemple consister en des sanctions économiques. Enfin, soulignent les experts, la décision “d’entrer en guerre” se prend à l’échelle nationale, chaque pays restant souverain en la matière. 

Alors que les membres de l’OTAN se sont réunis le 15 février 2023 à Bruxelles pour discuter de la possibilité d’accélérer leurs livraisons d’armements à l’Ukraine, des publications ont émergé sur les réseaux sociaux assurant que l’Alliance aurait également adopté, dans la plus grande discrétion, une politique de défense beaucoup plus agressive.

Une provocation, selon ces internautes, susceptible de causer une escalade dans le cadre de l’invasion russe en Ukraine.

Capture d’écran prise le 21/02/2023 sur le site Voltainrenet – AFP
Capture d’écran prise le 21/02/2023 sur le site Voltainrenet – AFP

“Les ministres de la Défense de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord se sont réunis à Bruxelles pour signer une Convention modificative des statuts de l’Alliance. Désormais l’OTAN pourra entrer en guerre hors article 5, c’est-à-dire sans qu’un de ses membres soit attaqué, et non plus à l’unanimité, mais à la majorité”, assurent des articles de blog du site Voltairenet ou Réseau international publiés le 15 février et repris sur Twitter.

“Tremblement de terre géopolitique”, commente un internaute sous l’article de blog, tandis qu’un autre conclut qu’il n’existe désormais “plus aucune raison pour la Russie d’hésiter à attaquer un pays comme la Pologne”.

Depuis la signature du Traité de l’Atlantique Nord par douze membres fondateurs en 1949, l’OTAN a beaucoup grandi. Cette organisation, née au début de la Guerre froide pour placer l’Europe sous le parapluie nucléaire des Américains face à l’Union soviétique, compte désormais 30 membres.

Carte des pays membres de l’Otan et des prétendants à l’intégration – AFP

Depuis plusieurs années, Vladimir Poutine dénonce inlassablement cet élargissement de l’Alliance comme une “trahison”. Les Occidentaux auraient, selon lui, rompu une promesse de ne pas étendre à l’Est, actée au moment de la réunification de l’Allemagne, peu après la chute du mur de Berlin.

Lire aussi : L'OTAN a-t-elle rompu un accord passé à la fin de la Guerre froide prévoyant qu'elle n'étendrait pas ses frontières à l'Est ?

Assurant se sentir “menacée” par une potentielle adhésion de son voisin à l’organisation politico-militaire, le Kremlin justifie ainsi en partie l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022 et promeut les discours présentant l’OTAN comme une menace pour la Russie.

La politique de défense mutuelle de l’OTAN

A sa fondation, le 4 avril 1949, les grands principes de l’Alliance sont inscrits dans le Traité de l’Atlantique Nord, aussi appelé  traité de Washington, signé par les membres.

Dans ce traité, l’organisation garantit notamment une protection mutuelle aux alliés, à travers sa clause de défense collective inscrite dans l’article 5, comme l’expliquait l’organisation sur son site en juillet 2022.

“Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles […] sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées”

Selon ce principe, les membres de l’OTAN sont tenus de participer à une riposte si l’un des alliés est attaqué militairement, même si c’est à chacun d’eux d’en définir l’ampleur et la nature. Cette réponse peut par exemple n’être que financière et non militaire.

Autrement dit, toute attaque armée contre un membre de l’OTAN n’entraîne pas automatiquement une riposte armée.

“Même en cas d’attaque, il n’y a pas automaticité d’emploi de la force armée prévue dans l’article 5 par les autres alliés, qui restent libres de choisir ‘telle action jugée nécessaire’ (par exemple un blocus économique). Donc chaque membre reste libre de choisir sa réponse”, a pointé auprès de l’AFP le 21 février Olivier Schmitt, professeur de science politique au Centre sur les Études de Guerre de l’université du Danemark-du-sud.

Capture d’écran prise le 21/02/2023 – AFP

L’article 5 a été invoqué pour la première fois après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

Or, selon les publications partagées en ligne, cet article aurait été modifié par le biais d’une “Convention modificative des statuts de l’Alliance”, en tout discrétion, le 15 février pour faciliter une riposte armée.

De même, la manière d’adopter les décisions, qui ont toujours été prises par consensus, c’est-à-dire d’un commun accord sans vote, aurait, selon ces internautes, été changée pour être prises “à la majorité”.

“Désormais l’OTAN pourra entrer en guerre hors article 5, c’est-à-dire sans qu’un de ses membres soit attaqué, et non plus à l’unanimité, mais à la majorité. Il s’agit de faire de l’organisation une ‘coalition de volontaires à la carte’. En ligne de mire : la Russie et la Chine”, soutiennent ainsi les publications virales.

“Cette allégation est fausse. L’article 5 de la clause de défense collective de l’OTAN n’a pas été modifié depuis la fondation de l’OTAN, en 1949. Toutes les décisions de l’OTAN, y compris pour savoir quand déployer des troupes militaires, sont prises par consensus. Il n’existe pas de décisions prises à la majorité à l’OTAN”, a réfuté le 21 février un porte-parole de l’OTAN interrogé par l’AFP.

Pour apporter une telle modification à la politique de défense collective de l’Alliance ou à son processus de décision, “ il y aurait une phase de négociation, et un traité modifié devrait être soumis aux procédures d’approbation nationale de chacun des États-membres (ce qui pour la grande majorité des pays suppose une ratification par le Parlement)”, pointe Olivier Schmitt.

“Cette décision devrait être entérinée dans une nouvelle charte de l’OTAN et faire elle-même l’objet d’un vote car l’article 11 prévoit que ‘le traité entrera en vigueur entre les Etats qui l’ont ratifié dès que les ratifications de la majorité des signataires […] auront été déposées'”, a abondé le 21 février Carole Grimaud, professeure en géopolitique de la Russie à l’université de Montpellier.

Capture d’écran de l’article 11 du traité fondateur de l’OTAN prise le 22/02/2023 – AFP

Une telle décision, qui ne serait valable qu’après ratification, ne pourrait de fait pas demeurer secrète.

“Il y a eu des protocoles rajoutés aux traités pour valider l’adhésion de nouveaux Etats-membres, et tous ces protocoles ont été approuvés par tous les Etats-membres déjà dans l’OTAN. Une telle modification ne se ferait absolument pas sur un coin de table lors d’une réunion de ministres (même pas de chefs d’Etat…), prendrait du temps et aurait beaucoup plus de visibilité politique”, estime Olivier Schmitt.

D’où vient cette allégation ?

Les publications partagées sur les réseaux sociaux ont commencé à circuler après la parution d’un article de l’agence de presse Bloomberg le 14 février 2023 , soit la veille de la réunion des membres de l’OTAN à Bruxelles.

L’article en anglais est intitulé “L’OTAN a du mal à atteindre ses objectifs de dépenses, envisage une augmentation de son budget”.

Capture d’écran de l’article de Bloomberg publié le 14 février 2023 – AFP

 

L’article indique: “lors de la réunion à Bruxelles cette semaine, les ministres de la Défense devraient également approuver de nouvelles orientations politiques, qui définiront les besoins d’investissement des alliés pour se préparer à toute éventuelle activité militaire future”.

Il s’agirait de prévoir “des moyens pour que l’OTAN s’engage simultanément dans un conflit de haute intensité de type ‘article 5’, où les alliés devraient se défendre mutuellement, ainsi qu’en cas d’événement hors zone et hors du cadre de l’article 5, ont déclaré des sources proches du dossier”, poursuit l’agence américaine, qui ne cite pas ses sources.

Le même jour, l’article de Bloomberg a été repris par l’agence de presse russe Ria Novosti avec le titre : “L’OTAN prépare l’Europe à partir à la guerre”.

Bloomberg “ne mentionne pas une modification de l’article 5. Il s’agit d’une mauvaise interprétation. Il décrit des orientations en matière de planification qui guideraient les alliés de l’OTAN pour constituer et organiser des forces militaires afin d’être en mesure d’agir en Europe et ailleurs dans le monde en même temps, si nécessaire”, a estimé le 21 février auprès de l’AFP Timothy Sayle, directeur du programme de relation internationales de l’université de Toronto et auteur de Enduring Alliance: A History of NATO and the Postwar Global Order (Cornell University Press, 2019).

L’AFP a publié une dépêche sur la réunion du 15 février, expliquant que les pays membres de l’OTAN avaient relancé à cette occasion à Bruxelles les discussions sur l’accroissement de leurs dépenses de défense, le secrétaire général de l’Alliance jugeant que le chiffre de 2% du PIB consacré à ces dernières devait désormais être un “plancher”. 

 

Le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg tient une conférence de presse avec le président polonais Andrzej Duda à Bruxelles, le 15 février 2023 – Kenzo TRIBOUILLARD / AFP

 

“Rien de ce qui a été discuté le 15 février ne correspond à ce que ces rumeurs semblent suggérer et certainement pas que l’OTAN souhaite une escalade vis-à-vis de la Russie”, a estimé auprès de l’AFP le 21 février Simon Miles, professeur à l’université Duke et spécialiste de la Russie et de l’ancienne Union soviétique.

Des opérations militaires possibles au niveau des pays membres

En outre, parler d’une “entrée en guerre de l’OTAN” ne veut strictement rien dire, ont unanimement souligné les spécialistes interrogés.

“Globalement, il est erroné de penser que ‘l’OTAN entre en guerre’. L’OTAN ne ‘déclare pas la guerre’ de la même manière qu’un État le fait. L’OTAN est une alliance d’États. Les États prennent individuellement la décision d’entrer en guerre. Il n’y a rien dans le traité (…) qui puisse forcer l’un des alliés à entrer en guerre”, détaille Timothy Sayle.

“L’importance de préserver la décision d’entrer en guerre en tant que décision des États est la raison pour laquelle l’article 5 est rédigé de la manière dont il l’est. À la fin des années 1940, bien que les Européens et les Canadiens aient voulu que le traité ait une certaine automaticité (c’est-à-dire qu’il entraîne automatiquement l’implication des membres dans un conflit pour défendre un allié), les États-Unis ont rejeté cette idée afin de préserver les prérogatives du Congrès en matière de déclaration de guerre”, poursuit le spécialiste de l’OTAN.

Les États membres de l’Alliance n’ont pas de fait besoin d’invoquer l’article 5 pour engager une action militaire s’ils le souhaitent.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.339Q36F.