Créé en 2014 dans le contexte la guerre du Donbass, le régiment Azov est un groupe militaire aujourd’hui attaché à la garde nationale de l’Ukraine. D’orientation nationaliste voire ultranationaliste, ses dirigeants et fondateurs partagent une idéologie d’extrême droite néonazie. Cette réalité est toutefois instrumentalisée par le discours de propagande du Kremlin, qui vise à justifier l’invasion militaire en Ukraine .
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, le régiment Azov, groupe militaire ukrainien, fait parler de lui sur les réseaux sociaux. Parfois qualifié de néonazi, le groupe qui est intégré à la garde nationale ukrainienne est souvent mentionné pour appuyer le discours de “dénazification” de l’Ukraine, tel que développé par la propagande du Kremlin pour justifier l’invasion du pays.
Capture d’écran Twitter
Un groupe militaire né en 2014 pendant la guerre du Donbass
Le régiment Azov (en référence à la mer d’Azov, bordée par la Russie et l’Ukraine) est né en 2014, pendant la guerre du Donbass.
“Après l’annexion de la Crimée par la Russie, des soulèvements séparatistes pro russes ont lieu dans cette région”, détaille Bertrand de Franqueville, doctorant en Science Politique au sein de la chaire d’études ukrainiennes de l’université d’Ottawa.
“Au moment du début de la guerre, l’armée ukrainienne est incapable de faire face à une opération militaire de cette ampleur, et on voit émerger partout en Ukraine des bataillons volontaires, qui se forment soit spontanément, soit en partie en collaboration avec les autorités ukrainiennes”, explique Coline Maestracci, doctorante au Cevipol (Centre d’Etude de la Vie Politique) de l’ULB et spécialiste de l’Ukraine.
Parmi ces combattants volontaires, il y a le “bataillon” Azov. Le groupe devient “régiment” à partir d’octobre 2014.
Une grande partie de ces groupes de volontaires, dont le régiment Azov, seront alors intégrés aux structures de l’État ukrainien. Le régiment Azov se distingue par l’idéologie d’extrême droite néonazie de ses leaders.
Coline Maestracci souligne que le régiment a, de fait, “été intégré à la garde nationale ukrainienne et donc à une structure étatique, ce qui interroge“.
Aujourd’hui, le régiment Azov est composé de 3500 à 5000 combattants, selon nos confrères de Libération.
Une affiliation néonazie
Si le régiment Azov fait autant parler de lui dans les pays occidentaux ces derniers jours, c’est en raison essentiellement de son idéologie d’extrême droite et sa proximité avec le néonazisme. Certains n’hésitent pas à le qualifier de “régiment néonazi”.
“Il n’y a pas de doutes sur le fait que les têtes pensantes du bataillon sont d’extrême droite et néonazis. C’est incontestable“, assure Coline Maestracci. La doctorante au Cevipol ajoute que “ces dernières étaient pour la plupart membres d’une organisation ultranationaliste d’extrême droite néonazie créée dans les années 2000“.
Parmi elles, on retrouve notamment Andriy Biletsky, fondateur et chef du régiment, dont la carrière est marquée par son engagement auprès de la droite la plus extrême de l’échiquier politique. Cet ultranationaliste est aussi un suprémaciste blanc, selon Libération.
A gauche, le logo reprenant le symbole du “Soleil noir”. Le logo du milieu est celui qui est aujourd’hui utilisé pour la communication du régiment sur les réseaux sociaux. Pierre Crom/Getty Images
Cette orientation idéologique est notamment visible dans la symbolique utilisée par le régiment Azov.
“L’emblème utilisé est l’emblème du parti (Social National party of Ukraine) dont est hérité le parti “Svoboda“, il s’agit du “I” et “N” mêlés, mais qui rappelle la Wolfsangel utilisé par certains SS. Ils reprennent également le soleil noir qui est aussi un symbole nazi“, détaille la chercheuse de l’ULB.
Bertrand de Franqueville ajoute : “Un certain nombre de ces symboles sont des éléments de folklores qui font partie d’une imagerie classique qu’on retrouve dans beaucoup de structures d’extrême droite“.
À noter cependant : le logo avec le “soleil noir” n’est aujourd’hui plus celui utilisé par le régiment à travers ses moyens de communication officiels.
Une réalité instrumentalisée
e bataillon Azov, dont les liens avec le néonazisme sont bien réels, est souvent pris comme exemple sur Internet pour illustrer le discours de la propagande russe. Celui-ci consiste à justifier l’invasion en Ukraine par un supposé objectif de “dénazification” du pays.
Ce discours s’est notamment retrouvé à plusieurs reprises dans les allocutions du chef d’État russe Vladimir Poutine. Sur les réseaux sociaux également, les institutions russes utilisent cette même rhétorique. Le ministère de la Défense russe a récemment partagé une série de visuels mettant en image cette même idée d’une Russie combattant le nazisme, associé à l’État Ukrainien.
“La propagande russe instrumentalise l’idée de la Russie comme pourfendeuse du nazisme. Cette idée date de la seconde guerre mondiale”, analyse le doctorant en Science Politique.
Les combattants du régiment Azov sont-ils en phase avec les idées extrêmes de leurs dirigeants ?
“Il faut séparer les leaders des combattants. Si certains combattants adhèrent à l’idéologie des têtes pensantes, c’est loin d’être toujours le cas”, précise Coline Maestracci. “Certains adhèrent au nationalisme revendiqué sans pour autant adhérer à l’idéologie d’extrême droite et néonazie“.
De fait, les raisons pour lesquelles certaines personnes rejoignent le régiment sont diverses.
“Cette idéologie n’est pas la première motivation chez les personnes qui s’engagent dans ce régiment. Cela peut s’expliquer par le fait qu’ils connaissaient des personnes qui y étaient déjà, qu’ils ont une mauvaise image de l’armée ou encore une envie de participer à la défense du pays. Il faut prendre en compte le contexte de la guerre contre la Russie“, explique Bertrand de Franqueville.
Avant le début de l’invasion russe ainsi que depuis le début de la guerre, le régiment offre des formations militaires aux civils ukrainiens, comme nous l’évoquions dans un précédent article.
“Le fait de combattre dans le régiment Azov ne veut pas dire une adhésion aveugle à l’idéologie”, développe également la doctorante. “Le bataillon est moins homogène qu’on ne le pense.”
Une présence limitée dans la vie politique ukrainienne
Il faut également noter une différence entre le régiment Azov, groupe militaire sous la responsabilité du ministère de la Défense ukrainien, et le parti qui est une de ses émanations : le “Corps national”. Celui-ci a été créé en 2016 pour porter ses revendications nationalistes en politique, avec Andriy Biletsky aux commandes.
“Il y a une volonté de recrutement et d’influence, un espace de transmission du savoir militant et militaire, dans un contexte où la guerre permet d’y donner une légitimité“, indique Bertrand de Franqueville.
L’impact de ces mouvements, comme le Parti du Corps national, sur la politique ukrainienne est par ailleurs relativement limité.
Lors des élections législatives ukrainiennes de 2019, les principaux partis ukrainiens d’extrême droite ont formé une liste unifiée à l’échelle nationale. Dans ce cartel politique, le “Corps national” s’est allié aux partis Svoboda, l’Initiative gouvernementale de Yarosh, et le Secteur droit. Cette liste étiquetée “Svoboda” n’a recueilli que 2,15% du vote populaire.
Et comme la coalition n’a pas réussi à franchir le seuil électoral de 5%, elle n’a obtenu aucun siège direct à la “Rada” d’Ukraine, la chambre parlementaire monocamérale de 450 députés
Le principal parti nationaliste, Svoboda, a cependant réussi à décrocher un siège dans la circonscription d’Ivano-Frankivsk. C’est un recul de cinq sièges par rapport aux élections législatives précédentes de 2014 puisque Svoboda avait obtenu six sièges. La frange politique du régiment Azov, le “Corps national”, n’en a décroché aucun.
“Je crois qu’il ne faut pas oublier que ces mouvements ultranationalistes, fascistes (bien qu’ils existaient avant mais étaient assez peu visible) ont émergés et ont été rendus visible dans un contexte particulier, postrévolutionnaire et guerrier et répondent en partie à une inquiétude profonde de la part de la société ukrainienne face à l’attaque russe. Il ne faut donc pas forcément voir en leur visibilité et médiatisation une adhésion entière de la population ukrainienne“, conclut Coline Maestracci.