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Un billet du roi Philippe à 0€ ? Rien d’illégal mais une technique de marketing piégeuse

Un billet du roi Philippe à 0€ ? Rien d’illégal mais une technique de marketing piégeuse - Featured image

Author(s): Guillaume Woelfle

Un site internet vendant plusieurs pièces et billets de collection propose sur son site un billet de zéro euro à l’effigie du roi Philippe pour son jubilé. Cette offre, gratuite, excepté les 4,95€ de livraison, est sponsorisée sur des réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram. S’agit-il d’une arnaque ? A priori non. Mais l’entreprise s’approche à travers son logo ou sa dénomination d’organismes officiels tels que le Palais Royal et son site déploie des techniques de marketing qui pourraient pousser à l’achat des internautes moins attentifs. Ainsi, derrière ce billet gratuit, le site pousse à l’achat d’une plaquette en or de 2,4 cm de long à 20 euros.

Un internaute nous a contactés après avoir vu une publicité sur Facebook : “Existe-t-il bel et bien un billet de 0€ pour le jubilé du roi Philippe ? Ou s’agit-il d’une arnaque ?” L’offre vue par notre internaute est celle d’une entreprise nommée “La maison de la Monnaie Belge” et un lien redirige vers son site. Le visuel du billet, reproduit en tête d’article, montre un billet bleu, avec une image du roi Philippe prêtant serment en 2013 et une valeur de zéro euro. Ce billet à zéro euro est donc… gratuit mais n’inclut pas les frais de livraison qui s’élèvent selon le site à 4,95€ pour la Belgique.

La distribution de ce billet de zéro euro, donc sans valeur pécuniaire, est promotionnée par la société à travers plusieurs publicités sur Facebook ou Instagram.

L’offre promet un billet neuf, “numéroté”, tiré à un nombre “strictement limité” et “disponible nulle part ailleurs”. De quoi offrir “un beau souvenir en l’honneur du Jubilé royal”, écrit le site. Un peu plus bas sur le site, il est écrit que le billet est tiré à 10.000 exemplaires.

Des billets à 0 euro existent au moins depuis 2015

Quelques recherches sur internet nous montrent que ce site belge n’est pas le premier à proposer un “billet à zéro euro”. Un article de BFM TV de 2018 indique que “leur multiplication depuis trois ans témoigne d’un réel engouement, notamment en Allemagne, où les collectionneurs raffolent de ces ‘petites coupures'”. Ces billets existent donc en tout cas à large échelle depuis au moins 2015.

Toujours d’après BFM TV, “le phénomène prend sa source en France où Richard Faille, un entrepreneur auvergnat, décide d’imprimer les premiers billets sur lesquels figurent de grands monuments français, comme le Mont Saint-Michel ou l’Arc de Triomphe”.

Ces billets sont donc vendus ou distribués depuis longtemps et par de nombreuses entreprises dans différents pays. La Banque centrale européenne (BCE) que nous avons contactée, et qui est compétente pour l’émission des vrais billets en euros, nous indique que ces faux billets ne doivent pas être approuvés par la BCE.

Des règles à respecter lorsqu’on produit un billet

Cependant, il y a des règles à respecter. L’article 2 de la décision de la Banque centrale européenne du 19 avril 2013 indique par exemple ceci : “Sont considérées comme illicites les reproductions que le public pourrait confondre avec des billets en euros authentiques”.

De manière plus explicite, l’article 3 développe ce que sont les reproductions autorisées :

  • Si vous souhaitez reproduire les deux faces d’un billet en euros, la taille de la reproduction ne doit pas être identique à celle du billet. Cette taille doit représenter au moins 200% de la longueur et de la largeur du billet ou au maximum 50% de la longueur et de la largeur du billet.
  • De la même manière, si vous souhaitez reproduire une face d’un billet en euros, la taille de la reproduction ne doit pas être identique à celle du billet. Cette taille doit représenter au moins 125% de la longueur et de la largeur du billet ou au maximum 75% de la longueur et de la largeur du billet.
  • Si vous souhaitez reproduire une partie du recto ou du verso d’un billet en euros, la taille de la reproduction doit être inférieure à 33% du recto ou du verso du billet réel.
  • Vous pouvez reproduire physiquement des éléments graphiques dès lors qu’ils ne sont pas représentés sur un fond ressemblant à un billet.
  • Vous pouvez reproduire physiquement des billets en euros dès lors qu’ils sont composés dans un matériau clairement différent de celui utilisé pour les billets authentiques.

L’idée générale revient à ce qui dit l’article 2 : on ne doit pas pouvoir les confondre, que ce soit par leur taille, leur texture ou leur graphisme à de vrais billets. Le site de la Banque centrale européenne précise que “les reproductions non conformes aux règles applicables sont considérées comme illégales. Toute personne qui reproduit un billet est personnellement responsable de veiller à ce que la reproduction remplisse les critères énoncés dans la décision BCE/2013/10“.

Le billet “Jubilé Philippe” respecte-t-il les règles ?

Le billet du Jubilé, de couleur bleue comme un billet de 20€, ne peut pas être confondu avec un vrai billet. Sa valeur explicite de 0€ ne permettrait aucun achat en magasin, par exemple. On ne connaît ni sa texture, ni sa taille exacte (même si les proportions de longueur et de largeur sont conformes, selon notre calcul basé sur des pixels), mais le visuel du billet dans son ensemble ne permet aucune confusion.

La Banque nationale de Belgique que nous avons contactée n’était pas au courant de l’émission de ce billet, mais nous indique que ces billets sont produits par la Koninklijke Enschede, l’ancienne imprimerie de la Banque nationale des Pays-Bas, qui “connaît très bien les règles”.

Des codes marketing qui font penser à une arnaque, des codes graphiques qui créent la confusion

“La maison de la Monnaie Belge” est un site pour collectionneurs qui vend de nombreux billets et pièces anciennes, et à des prix qui vont de quelques euros à quelques centaines d’euros. Le design du site ne fait aucun doute sur l’objectif de vente. De nombreux éléments graphiques poussent à l’achat ou à rassurer l’acheteur sur la qualité du produit, sur la sécurité de la plateforme ou sur la satisfaction du client. Ces très nombreux éléments graphiques ont ainsi poussé notre internaute à croire à une arnaque car les arnaques en ligne utilisent souvent des codes similaires poussant à l’achat et à la confiance.

Par ailleurs, ce qui interpelle, c’est le logo utilisé en haut à gauche de ce site : un dessin représentant le Palais royal de Bruxelles. Le site est identique à des sociétés similaires au Royaume-Uni ou en Suède : même design, même logo d’un bâtiment officiel en haut à gauche.

Une recherche à la Banque Carrefour des Entreprises nous apprend par ailleurs que “La Maison de la Monnaie Belge” est une société privée à responsabilité limitée fondée en 2010. Cette société privée est inscrite comme un “commerce de détail de biens neufs en magasin spécialisé”. Elle ne doit donc pas être confondue avec la “Monnaie Royale de Belgique“, une institution publique belge “responsable de la commande des pièces de monnaie, de la conception, du contrôle de la qualité et de la lutte contre le faux monnayage”.

Cette proximité dans les termes peut créer la confusion avec une institution publique de confiance, si on ne voit que la publicité sur Facebook ou Instagram avec le logo (le Palais Royal) et la dénomination de l’entreprise (La Maison de la Monnaie Belge).

Le billet est un produit d’appel pour acheter une plaquette… de 2,4 cm

Nous avons réalisé l’opération de commander ce billet sur le site. En cliquant sur “commander”, le site nous propose une nouvelle offre au lieu de nous renvoyer, comme n’importe quel site de vente en ligne, vers un formulaire de livraison ou de paiement. Cette technique fait penser aux différents écrans de Ryanair pour éviter de payer le supplément bagage.

Sur ce site, cette nouvelle offre consiste en un “pack” commémoratif comprenant le billet et le “lingot roi Philippe” décrit comme une “pièce en or 24 carats” pour 19,95€ au lieu de 39,95€ grâce à un bon de réduction “surprise”.

Cette plaque en or de 24 carats mesure, selon les dimensions indiquées en petit, 2,4 cm de long sur 1,4 cm de large, soit une longueur à peine plus grande que la largeur de votre pouce.

La livraison de 4,95€ annoncée dès le départ est cette fois incluse dans le prix. Une technique qui renforce l’idée d’offre avantageuse ou de cadeau, puisque la livraison qui était payante au départ ne l’est plus à l’arrivée.

En bas de cette page, le bouton qui se trouve en bas à droite en vert (celui qui mène logiquement vers la suite de la commande) est “Oui, je voudrais la pièce de collection la plus précieuse”. Autrement dit, le site pousse à la commande de la pièce à 19,95€. Pour l’éviter, il faut cliquer sur un bouton plus discret, à gauche et en gris.

Si nous cliquons sur ce bouton en bas à gauche et en gris, le site propose à nouveau le pack alors que nous l’avions refusé à l’écran précédent. Une page quasi identique à la précédente propose un historique du 21 juillet 2013, jour où Philippe a prêté serment en tant que Roi. Une phrase indique aussi  : “Assurez-vous d’avoir une série complète. Commandez maintenant la pièce de collection la plus rare et la plus précieuse de votre série du Jubilé !”.

En bas à droite, nous retrouvons à nouveau cette case verte indiquant “Oui, je voudrais la pièce de collection la plus précieuse”. Il faut à nouveau cliquer sur la case en bas à gauche en gris, “non merci”, pour ne commander que le billet gratuit annoncé au départ (moyennant les 4,95€ de frais de ports).

Un produit

Toutes ces démarches n’ont donc a priori rien d’illégal. Le billet respecte les conditions européennes de reproduction d’un billet.

Néanmoins, les techniques marketing poussent à l’achat d’un produit non désiré au départ et l’organisation des boutons sur le site pourrait piéger un public moins attentif.

“Le Maison de la Monnaie Belge” pousse donc de façon légale mais discutable à l’achat d’un petit produit (le lingot “roi Philippe” mesure 2,4 cm x 1,4 cm) à 19,95€ pour éviter le simple achat du billet à 4,95€, frais de port compris. Il est envisageable que ces 4,95€ ne couvrent pas l’entièreté des frais engagés si les 10.000 billets partaient à 4,95€ sans achat du “lingot roi Philippe”.

Par ailleurs, ces 4,95€ de revenus pour ce billet ne permettent pas de couvrir les frais engagés pour cette action (production du billet aux Pays-Bas, acheminement jusqu’en Belgique, main-d’œuvre, envoi postal vers le particulier, TVA).

Nous avons sollicité par e-mail et par téléphone l’entreprise “La Maison de la Monnaie Belge” pour mieux connaître leurs procédés et intentions derrière cette action. Nos mails sont restés sans réponse et par téléphone, il nous a été demandé de “raccrocher pour libérer la ligne”.