Des publications sur les réseaux sociaux appellent au boycott de diverses entreprises pour leur implication présumée dans la “colonisation israélienne”. Parmi ces publications, certaines évoquent un investissement de Danone de 3,5 milliards dans une firme installée illégalement dans le Golan et appellent à ne plus consommer les produits de la marque. Cependant, la multinationale n’a pas investi le montant cité et s’est retirée depuis plusieurs années de l’entreprise d’exploitation de l’eau sur le plateau du Golan dans laquelle elle avait des participations de 2003 à 2007.
Des “stories” sur Instagram (exemple) et des publications (1, 2) sur le réseau social X recueillent des dizaines de milliers de “vues” depuis le début du mois de novembre. Ces publications affirment que la société Danone est impliquée dans “l’occupation illégale du Golan” en y faisant des investissements conséquents : “Danone a investi 3,5 milliards de dollars dans une firme installée illégalement dans le Golan (territoire syrien occupé par Israël) en connaissance de la violation du droit international.” En-dessous de la story Instagram partagée, on peut lire “Boycottez et partagez”.
Les appels au boycott de marques actives sur le territoire israélien ou impliquées (ou supposément impliquées) dans la colonisation israélienne se multiplient sur diverses plateformes en ligne, depuis l’intervention militaire israélienne dans la bande de Gaza à la suite des attaques terroristes du Hamas, le 7 octobre dernier. Parmi les sociétés régulièrement citées, il y a le groupe Danone.
Aucun élément ne permet d’indiquer que la multinationale alimentaire française aurait consenti à un tel investissement dans une firme installée sur le plateau du Golan, territoire syrien occupé par Israël. Cette information erronée a potentiellement été construite à partir de deux éléments hors de l’actualité actuelle et volontairement mal interprétés et amalgamés.
Un investissement de deux millions de dollars dans une start-up israélienne installée hors du Golan
En faisant quelques recherches sur Internet, nous avons retrouvé trace d’un investissement récent de Danone en Israël. Il s’agit d’un accord stratégique conclu entre le géant français, actif notamment dans le secteur des produits laitiers, et une start-up israélienne appelée Wilk en avril 2023. La société Wilk a été fondée en 2018 et a développé une technologie cellulaire pour produire du lait maternel et animal en laboratoire.
Dans le cadre de cet accord stratégique conclu entre la société de capital-risque de Danone et la start-up Wilk, les parties examinent “la possibilité d’une coopération stratégique pour le développement de substituts du lait maternel qui comprendront des composants de lait maternel cultivés en laboratoire“, indique le Times Of Israël dans un article publié le 5 avril 2023 titré : “Danone met 3,5 M de $ dans une firme israélienne spécialisée dans le lait de culture“. Il s’agit bien ici de millions et non de milliards, comme indiqué dans les publications analysées.
Bien que le titre de l’article cite le montant de 3,5 millions de dollars mis sur la table par Danone, dans le corps de l’article on peut lire : “Danone Manifesto Ventures (DMV), la société de capital-risque créée par le géant de l’agroalimentaire basé à Paris a investi 2 millions de dollars, en tête d’un tour de table de 3,5 millions de dollars annoncé par Wilk“. Les 3,5 millions de dollars cités comprennent donc l’ensemble des investissements de ce “tour de table” et pas exclusivement les deux millions de dollars investis par Danone comme le confirme Le Figaro.
Ce partenariat a par ailleurs été annoncé en avril 2023. Bien avant l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 contre Israël.
Enfin, la start-up Wilk est basée à Rehovot, ville située au Sud de Tel Aviv, et non sur le plateau du Golan. Si le montant de 3,5 millions a pu être mal interprété, il ne s’agit donc pas de cet accord dont font l’objet les publications vérifiées.
Participation de Danone dans l’entreprise “Eden Springs” dans le Golan de 2003 à 2007
Danone a cependant bien été impliquée dans le passé dans une société installée sur le plateau du Golan. Cette société, c’est Mey Eden (Eden Springs, en anglais). En avril 2003, Danone prend des participations (20%) et annonce une “joint-venture” avec cette société israélienne afin de regrouper ses activités de distribution d’eau en bonbonnes et grands contenants en Europe. Par ailleurs, la société Eden Springs exploite de l’eau de la source Salukia, dans le Golan (lien en hébreu). Cette source est située à proximité de la ville de Qatzrin, considérée comme une colonie israélienne dans les Territoires occupés selon l’ONU. Le groupe y possède une usine de mise en bouteille (lien en hébreu).
Le journal financier israélien “Globes” annonce que le montant de l’opération est évalué à 400 millions de dollars, à l’époque.
En 2007, après avoir affiché sa volonté de se retirer du partenariat, Danone revend ses parts dans l’entreprise à Eden Springs. La société n’est donc plus impliquée dans des activités économiques sur le plateau du Golan depuis plus de quinze ans. Depuis 2016, l’entreprise appartient à la société des eaux américano-canadienne Primo Water.
Des appels au boycott de produits israéliens à l’internationale
Dans le cadre de la guerre entre le Hamas et Israël, des appels au boycott de produits ont ciblé plusieurs entreprises en lien, sous différentes formes, avec l’État hébreu. Ces appels sont relayés sur les plateformes en ligne dans différentes langues et dans différents pays (Inde, Malaisie, …) .
La Libre a publié le 13 novembre un article relatant qu’en Indonésie, pays qui compte la plus grande population musulmane au monde, la plus haute autorité religieuse du pays, a émis une fatwa déclarant “haram”, tout soutien à Israël ou à ceux qui le soutiennent. Un grand nombre de publications en indonésien appellent notamment au boycott de Danone sur le réseau social “X” ainsi que le même visuel reprenant les marques du groupe.
Interrogée par la RTBF, Nathalie Guillaume, la porte-parole de Danone Belgique-Luxembourg, réfute totalement les informations publiées dans les publications analysées mais confirme que “Danone est actif et commercialise des produits dans toutes les régions du monde, y compris au Moyen-Orient“.
Si, comme de nombreuses autres multinationales, Danone est bien présent sur le marché israélien au travers de ses différentes marques et notamment d’une participation de 20% dans le groupe Strauss (actif dans l’alimentaire et basé à Tel-Aviv), l’association BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) France qui milite pour le boycott économique d’Israël ne cite pas la multinationale française dans les entreprises qu’elle cible sur des pages Web mises à jour le 5 et le 9 novembre 2023.
Enfin, dans le cadre de ces publications sur l’investissement de Danone à hauteur de 3,5 milliards dans le Golan, aucune source n’est citée et aucun élément factuel ne vient corroborer les affirmations.
