Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National à l’Assemblée nationale a assuré au micro de France Inter que : “Personne ne remet en cause la liberté de recourir à une IVG aujourd’hui en France”. Pourtant, en analysant les différentes interviews, tweets, ou prises de position publique des 32 députés ayant voté contre cette proposition de loi (toutes familles politiques confondues), il apparaît que neuf députés ont des positions sinon ouvertement contre, du moins ambiguës vis-à-vis de l’IVG en France. Par ailleurs, des discussions politiques doivent prochainement reprendre sur les modalités de l’avortement en Belgique.
La députée française Mathilde Panot (NUPES) a déposé le 7 octobre 2022 une proposition de loi visant à constitutionnaliser l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le but recherché par cette constitutionnalisation est “d’empêcher le législateur de mettre des obstacles, notamment financiers, à l’avortement, et de maintenir le caractère inconditionnel de l’IVG, qui ne requiert que la volonté de la femme“. Selon Marine Le Pen il n’est “ni urgent ni utile” de protéger l’IVG en 2023 puisque comme elle l’expliquait sur France Inter le jeudi 9 mars dernier : “Personne ne remet en cause la liberté de recourir à une IVG aujourd’hui en France. Pas un seul mouvement politique constitué, pas une seule personnalité d’envergure, pas une seule… même association (sic).”
Après plusieurs heures de débats, la constitutionnalisation de l’IVG a été adoptée le 24 novembre 2022 par l’Assemblée nationale a 337 voix pour, 32 contre et 18 abstentions.
Les positions de Mme Le Pen vis-à-vis de l’avortement ont changé au cours du temps. En 2012, candidate à la présidentielle, elle déclarait vouloir dérembourser les avortements “de confort”. En 2022, Marine Le Pen s’est aussi opposée au projet de loi visant à élargir le délai légal de grossesse de 12 à 14 semaines.
En 2023, ce que souhaite Marine Le Pen, et une partie de son parti, c’est “sanctuariser” la loi Veil, écrite en 1975 et légalisant l’interruption volontaire de grossesse. Ce qui change par rapport à la proposition de la NUPES c’est que ce n’est plus le droit d’avorter qui est protégé mais bien une série précise de dispositions légales qui encadrent l’IVG en France. Jean-Philippe Tanguy, député du RN explique la nuance : “Il faut protéger le droit tel qu’il existe aujourd’hui et ne pas constitutionnaliser un principe très vague qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives.”
Au Rassemblement National, 23 députés ont refusé de voter la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Cinq d’entre eux ont tenu des discours ambigus voire ouvertement anti-avortement. Parmi eux se trouvent par exemple Hervé de Lépinau qui soutient la Marche pour la Vie, association française anti-avortement dont le but est de “rappeler annuellement la dignité et la valeur de chaque vie humaine” et Laure Lavalette qui s’inquiétait de l’extrême vulnérabilité d’un fœtus lorsque la députée Cécile Muschotti voulait garantir l’accès des femmes à l’IVG.
À leurs côtés, d’autres députés RN comme Caroline Colombier qui se définit comme “pas pro (avortement)“, Marie-France Lorho, organisatrice de “la journée parlementaire pour la vie” (journée de conférences autour du transhumanisme animées par diverses personnalités anti-avortement) ou Angélique Ranc qui choisit d’évoquer l’avortement avec Monseigneur Joly lui-même ouvertement anti-avortement.
Au sein même du Rassemblement National (RN), au moins cinq députés émettent une méfiance plus ou moins grande envers l’avortement. Il y a donc un décalage entre ce que déclare Marine Le Pen et les positions défendues dans son propre parti.
D’autres députés anti-avortement siègent à l’Assemblée nationale
Pourtant, le Rassemblement National n’est pas le seul parti politique dont les membres expriment des opinions contre l’avortement.
Chez Les Républicains (LR) par exemple, héritiers de l’UDF de Simone Veil (femme politique, ministre sous François Mitterrand et à l’origine de la loi éponyme légalisant l’avortement en 1975 en France) : sept députés ont voté contre la constitutionnalisation de l’IVG, parmi eux, trois députés se sont exprimés contre l’avortement.
Ces trois députés sont : Anne-Laure Blin pour qui “voter la constitutionnalisation mènera à l’allongement de l’IVG jusqu’à neuf mois” ce qui se rapproche plus de l’Interruption Médicale de Grossesse (IMG) [une intervention médicale qui peut avoir lieu à n’importe quel moment de la grossesse à la condition que “la poursuite de la grossesse mette en péril grave la santé de la femme” ou que “l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic”].
Le deuxième député LR est Xavier Breton pour qui “l’avortement relève à parts égales de la liberté de la femme et de protection de la vie à naître“. Enfin, le député Philippe Gosselin, quant à lui, est très clair sur ses positions. “[…] IVG, recherche sur embryon, etc. Nul besoin de continuer pour dire le bien que j’en pense ! C’est NON !!”
Même s’il ne siège pas à l’Assemblée nationale, Via, le parti de tendance chrétienne de Jean-Frédéric Poisson, ancien candidat à la primaire de la droite en 2016 et ancien député s’est plusieurs fois exprimé contre l’avortement. Fondé par Christine Boutin (femme politique, ancienne candidate à la présidentielle de 2002 et fervente défenseuse des “valeurs chrétiennes”), le parti compte aussi dans ses rangs des personnalités telles que Nicolas Tardy-Joubert, président de la Marche pour la Vie. Jean-Frédéric Poisson, lui-même, se positionne largement contre l’avortement en expliquant : “Je suis opposé au principe de la loi Veil car je ne peux approuver le principe de mettre fin à une vie humaine”.
En juin 2022, Christine Boutin se réjouissait d’ailleurs de la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis de révoquer le droit à l’avortement dans les États qui le souhaitaient. Elle tweetait alors : “Quelle nouvelle historique ! Quelle joie dans le cœur ! Même si cela mettra du temps à comprendre pour beaucoup, l’embryon est une personne. Ne pas respecter le plus petit maillon de la chaîne conduit à la barbarie. La culture de vie en route ! Quelle joie”.
Plus récemment, au cœur de “Reconquête”, parti du polémiste d’extrême droite Eric Zemmour, la vice-présidente, Marion-Maréchal Le Pen, soutenait en octobre 2012 qu’il fallait : “dérembourser [l’IVG] parce que je pense qu’il faut responsabiliser les femmes.” Car, pour elle, “ce n’est pas à l’État de rembourser une inattention de certaines femmes”.
À ses côtés, Stéphane Ravier, sénateur, présidait en janvier 2023 une conférence rassemblant de grandes figures anti-avortement comme la présidente du Mouvement Conservateur, (ex-Sens Commun),”organisation créée pour s’opposer à la loi d’ouverture du mariage aux couples de même sexe, fin 2013” ou la ECLJ, ONG chrétienne et conservatrice dont les pétitions visent à “protéger la vie de l’enfant à naître”.
Des jeunes souhaitent également l’abrogation de la loi Veil
Enfin, parmi la jeune génération, certains nourrissent aussi l’espoir de voir un jour la loi Veil abrogée. Différents mouvements anti-avortement, comme La Marche pour la Vie ou Civitas (parti catholique qui se définit comme “le seul parti politique français véritablement pro-vie et pro-famille, qui a l’intention d’abroger la loi Veil et l’assume“), sont des chambres d’échos de cette jeunesse conservatrice opposée à l’avortement.
Dans le cas de la Marche pour la Vie, composée d’une grande partie de jeunes, c’est la porte-parole, Aliette Espieux, 21 ans, qui exprime le mieux ses ambitions au travers de sa biographie Twitter dans laquelle elle affirme clairement : “Je suis de la Génération qui abolira l’avortement“.
En ligne, c’est Virginie Vota, vidéaste de 35 ans aux 97.000 abonnés sur Youtube qui traite de sujets comme l’avortement en y donnant ouvertement son avis. C’est le cas dans ses vidéos “Je suis contre l’avortement : mes arguments” et “Il est interdit de proposer des alternatives” (vidéo parlant du délit d’entrave à l’IVG voté en avril 2016). Virginie Vota est d’ailleurs une personnalité reconnue du mouvement catholique Civitas, qui l’avait invitée à son université d’été en 2018.
Des oppositions strictes à l’IVG s’expriment bien en France
Voici donc une liste non exhaustive de députés et de mouvements qui se sont exprimés partiellement ou complètement contre l’IVG. Au niveau politique, d’autres opposants à l’IVG siègent à l’Assemblée nationale parmi les non-inscrits (NI) comme Emmanuelle Ménard. D’autres politiques français prennent position depuis leurs circonscriptions, c’est notamment le cas de Sandrine Delatre ou Eve Froger (toutes deux membres du parti Reconquête).
Au sein de la société civile, il arrive aussi que des gynécologues renommés se positionnent “contre l’homicide d’un fœtus” comme c’est le cas du Dr Bertrand de Rochambeau.
Ce qu’affirme Marine Le Pen n’est donc pas totalement vrai. Certes, en mars 2023, aucun parti siégeant à l’Assemblée nationale ne prévoit dans son programme l’abrogation de la loi Veil et la plupart des contestations s’expriment notamment pour refuser l’allongement du délai dans lequel l’IVG est possible. Cependant, les opposants “stricts” à l’avortement existent bel et bien à l’intérieur et en dehors de l’hémicycle parlementaire.
D’après nos recherches non exhaustives, au moins deux mouvements citoyens d’envergure sont ouvertement pour l’abrogation de la loi Veil : La Marche pour la Vie et Civitas. Au niveau politique, neuf députés de trois partis différents ont eu des positions anti-avortement et la grande majorité (cinq) d’entre eux provenait du Rassemblement National de Marine Le Pen.
En Belgique : oppositions et réticences à l’IVG essentiellement côté flamand
En Belgique, la situation est en certains points similaire à celle de la France, les adversaires de l’IVG existent mais de façon plus ouverte. Le Vlaams Belang de Tom Van Grieken est “pro-life” (ndlr : contre l’avortement), sauf en cas de viol ou de danger pour la santé de la femme (comme c’est le cas actuellement en Pologne).
La N-VA, elle, se rapproche de la position du RN français : pour le parti nationaliste flamand, la loi doit rester telle quelle, sans évolution et sans constitutionnalisation.
De son côté, le CD&V n’a jamais caché ses réticences historiques d’abord vis-à-vis de la dépénalisation de l’IVG mais aussi plus tard au sujet de l’allongement du délai de 12 à 18 semaines. En 1989, déjà, lors de la première version de la loi décriminalisant l’avortement, l’ancêtre du CD&V, le CVP, était à l’origine d’une contre-proposition de loi concernant l’IVG dans laquelle il était stipulé que “l’avortement est considéré comme un infanticide lorsqu’il est pratiqué sur un fœtus qui est médicalement viable en dehors du corps de la mère“.
Depuis 1990, entre renvoi vers le Conseil d’État et menaces de quitter la formation d’un gouvernement, les chrétiens-démocrates flamands ont plusieurs fois usé de moyens politiques pour reporter ou éviter les votes au Parlement sur la question.
De nouveaux débats prochainement à la Chambre
Plus récemment, les démocrates chrétiens, soutenus par la N-VA et le Vlaams Belang attendaient les conclusions d’un comité d’experts avant de ramener le débat sur les conditions de l’avortement en Belgique à la Chambre. C’est désormais chose faite, le comité s’est prononcé le vendredi 10 mars. Ses conclusions sont claires : il est favorable à la dépénalisation, à l’allongement à 18 semaines, à la suppression du délai de réflexion de six jours et à la constitutionnalisation de l’avortement.
Reste à présent à voir si le président actuel du CD&V, Sammy Mahdi, se positionnera différemment que son prédécesseur Joachim Coens, qui avait notamment bloqué des discussions sur la composition d’un gouvernement fédéral en 2020, en demandant des garanties au MR de ne pas revenir sur l’allongement du délai possible pour procéder à un avortement, de 12 à 18 semaines de grossesse.
Les conclusions complètes du comité d’experts devraient être présentées prochainement à la Chambre dans le cadre de la commission nationale d’évaluation interruption de grossesse.