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Les Bruxellois payent-ils 65% d’impôts et de taxes en plus que les Wallons et les Flamands ?

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Author(s): Guillaume Woelfle

Invité de l’interview politique La Première ce mercredi 10 janvier, la tête de liste MR pour les élections régionales bruxelloises David Leisterh a affirmé que les Bruxellois payaient 65% de taxes et d’impôts de plus que les Wallons et les Flamands. Selon David Leisterh, ceci démontre le niveau de taxes trop élevé que paient les Bruxellois. A l’analyse des chiffres utilisés par David Leisterh, il s’avère que la méthode de calcul qui compare les recettes de taxe pour chaque région, et non les taux de taxation eux-mêmes, est influencée en grande partie par des patrimoines plus élevés à Bruxelles dont les prix de l’immobilier sont une donnée. Par ailleurs, l’exercice de la comparaison de toutes les taxes et de leur redistribution entre les régions s’avère quasiment impossible pour être aussi affirmatif.

Le Président de la fédération bruxelloise du MR, et tête de liste pour les prochaines élections régionales dans la capitale, David Leisterh était l’invité de Matin Première ce mercredi 10 janvier. Alors qu’il s’exprimait sur différents enjeux économiques ou sociaux, David Leisterh a dévoilé un argument fiscal censé démontrer un trop haut niveau de taxation à Bruxelles. Selon le chef de file des libéraux bruxellois, “les Bruxellois et Bruxelloise paient 65% de taxes et d’impôts en plus que les Flamands ou les Wallons.”

Dans le cours de l’interview, il n’a pas pu développer la méthode ou le calcul qui mène à ce constat. Nous avons donc contacté l’entourage du candidat pour obtenir le détail.

Un calcul basé sur les recettes en taxes de chaque région

Dans une note qui nous a été fournie par l’entourage de David Leisterh, il est indiqué le détail du calcul. L’auteur de la note a repris ce que perçoivent en taxes et impôts les trois régions du pays (Bruxelles, Wallonie et Flandre). L’auteur n’a repris que les impôts régionaux et non les impôts fédéraux, comme l’impôt sur le revenu, ou les impôts communaux comme les centimes additionnels.

Nous n’avons pas été en mesure de vérifier si les chiffres de recettes fiscales correspondaient réellement aux chiffres indiqués dans les résultats budgétaires des trois régions. Nous avons cependant pu en analyser le raisonnement

Le décompte réalisé par le MR donne ceci :

  • Région bruxelloise : 1,788 milliard de recettes en impôts et taxes régionales ;
  • Wallonie : 3,282 milliards de recettes en impôts et taxes régionales ;
  • Flandre : 7,432 milliards de recettes en impôts et taxes régionales.

Le MR divise alors ces montants par le nombre d’adultes que compte chaque région et obtient ces montants-ci :

  • Région bruxelloise : 1850€ d’impôts et de taxes par an par adulte ;
  • Wallonie : 1118€ d’impôts et de taxes par an par adulte ;
  • Flandre : 1361€ d’impôts et de taxes par an par adulte.

Dès lors, pour le MR, les adultes bruxellois paient 65% d’impôts en plus que les Wallons et 36% de plus que les Flamands. C’est le chiffre cité par David Leisterh sur antenne, même s’il disait que la différence de 65% valait aussi pour la différence d’impôts payés entre les Bruxellois et les Flamands.

Les recettes fiscales gonflées par le taux de taxation ou par la hauteur du patrimoine ?

Le choix de l’auteur de la note a donc été de diviser l’ensemble des recettes fiscales par le nombre d’habitants de chaque région. Le chiffre obtenu, qui donne une moyenne d’impôts payés par chaque habitant, peut vouloir dire plusieurs choses :

  • soit que les taux de taxation sont plus élevés à Bruxelles. Autrement dit, à revenu, patrimoine et consommation identiques, les Bruxellois paient davantage d’impôts que les Wallons et les Flamands ;
  • soit que les taux de taxation sont sensiblement les mêmes partout, mais que les Bruxellois ont un revenu, un patrimoine ou une consommation plus élevés que les Wallons et les Flamands. Et comme la taxation est souvent un pourcentage, 30% de 2000€ donnera davantage de recettes fiscales que 30% de 1000€, pour prendre un exemple.

Bien sûr, ces deux hypothèses ne s’excluent pas et peuvent être toutes les deux conformes à la réalité. Pour le savoir, il convient de comparer les taux de taxation. Car si les taux de taxation sont identiques, le surplus d’impôts payés par le Bruxellois ne proviendrait que de leur patrimoine plus élevé.

Seuls quatre Bruxellois sur dix sont propriétaires

Le premier élément pertinent de cette analyse est que la grande majorité de ces impôts proviennent d’impôts sur le patrimoine mobilier et immobilier : environ 70% des recettes en taxe et impôts régionaux proviennent d’impôts patrimoniaux, selon cette note du MR. Ce taux est quasiment identique dans les trois régions.

Ainsi, sur les 1,788 milliard engrangés en impôts par la région bruxelloise, 1,243 milliard (70%) provient de quatre taxes :

  • Les droits d’enregistrement lors de l’achat d’un bien ou d’une hypothèque, qui représentent 673 millions d’euros à Bruxelles ;
  • Les droits de succession, qui représentent 441 millions d’euros ;
  • Les droits de donation, qui représentent 98 millions d’euros ;
  • Le précompte immobilier, qui représente 29 millions d’euros.

Avant de comparer les taux de taxation de ces différents impôts, il est important de constater que ces impôts concernent donc surtout des propriétaires de logement. Les droits d’enregistrement et le précompte mobilier ne sont payés que par des propriétaires. Les droits de succession et de donation sont payés, eux, lorsqu’il y a quelque chose à transmettre et suggèrent donc qu’il y a du mobilier ou de l’immobilier à transmettre en donation ou en héritage.

Or, les derniers chiffres de Statbel montrent que seuls 39% des logements bruxellois sont occupés par leur propriétaire. En Flandre et en Wallonie, les taux de logements occupés par leur propriétaire sont plutôt de 70%, la moyenne nationale étant de 66%.

Si l’on résume, 70% des taxes étudiées ici sont payées en grande partie par des propriétaires puisqu’il s’agit de taxe sur la propriété ou sur un patrimoine mobilier ou immobilier à transmettre. Or, si seulement 39% des Bruxellois sont propriétaires, cela implique que 61% des Bruxellois sont locataires et ne sont pas ou peu concernés par ces quatre taxes sur le patrimoine.

Le fait que seuls 39% des logements bruxellois soient occupés par leur propriétaire, contre 70% ailleurs dans le pays, implique à Bruxelles, un plus grand nombre qu’ailleurs de propriétaires qui mettent leur(s) bien(s) en location sans y habiter. L’hypothèse d’un plus grand nombres de multi-propriétaires qu’ailleurs peut aussi être formulée, ce qui implique un plus grand patrimoine.

Enfin, les prix de l’immobilier qui sont systématiquement plus élevés à Bruxelles que dans les autres régions peuvent mener à l’hypothèse que les propriétaires bruxellois ont en moyenne un plus grand patrimoine que les propriétaires wallons ou flamands.

Des taux de taxations souvent équivalents entre les régions

Passons maintenant à la comparaison des taux de taxation entre les trois régions.

  • Les droits d’enregistrement

Les droits d’enregistrement sont de base, quasi identiques dans les trois régions : 12% en Flandre, 12,5% à Bruxelles et en Wallonie. À côté de ces taux, il existe de nombreuses réductions et abattements dans les trois régions qui sont difficilement comparables. La Flandre abaisse ainsi son taux à 3% pour les propriétaires qui occupent ce logement. Bruxelles et la Wallonie réduisent l’impôt sous certaines conditions de respectivement 20.000 euros dans la capitale et maximum 10.000 euros dans le sud du pays, pour autant que le prix de la maison ne dépasse pas un certain montant.

Les taux des trois régions sont donc similaires, mais la différence se fait à deux niveaux. D’une part, les réductions s’appliquent pour les propriétaires de leur logement, or Bruxelles compte moins de propriétaires qu’ailleurs. Donc les acheteurs à Bruxelles, davantage multipropriétaires qu’ailleurs, paient des droits d’enregistrement pleins, sans réduction, alors que les acquéreurs des autres régions bénéficieront plus souvent des réductions puisqu’ils habitent plus souvent le logement qu’ils achètent.

D’autre part, les réductions visent les biens à prix bas ou moyens, or les prix de l’immobilier sont plus élevés à Bruxelles. Par exemple, les droits d’enregistrement réduits à Bruxelles ne sont plus d’application pour des biens dépassants 600.000 euros.

Dès lors, si Bruxelles enregistre davantage de droits d’enregistrement par adulte (700€ en moyenne par an pour un Bruxellois contre 463 et 483€ pour les Wallons et Flamands, selon les chiffres présents dans la note du MR), ce n’est pas lié à une différence de taux de taxation.

Nos deux hypothèses formulées ci-dessus, des prix de l’immobilier plus élevés à Bruxelles et un plus grand nombre de multi-propriétaires, et donc un plus grand patrimoine, expliquent en revanche des recettes fiscales plus élevées, à taux de taxation identiques.

  • Les droits de succession

Au niveau des droits de succession, les trois régions appliquent des taux différents en fonction du montant de la succession (en ligne directe, entre époux et cohabitants, entre frères et sœurs, etc.) mais aussi en fonction des montants en question. Le site de la fédération des notaires affiche la comparaison entre ces différents tableaux dont il est difficile de sortir une vérité générale sur une région qui taxerait plus que l’autre.

Il s’avère par exemple que la Wallonie taxe davantage les successions en ligne directe que les autres régions ; que la Flandre taxe moins que les deux autres régions les successions entre frères et sœurs ; Bruxelles taxe davantage les successions entre oncles, tantes, neveux et nièces ; ou que la Wallonie taxe davantage les successions entre personnes sans lien familial. Dans tous les cas, la Wallonie et Bruxelles ont les mêmes taux de taxation sur les montants les plus élevés.

D’une manière générale, en appliquant une moyenne sur tous les taux affichés, la taxation de la succession est plus élevée en Wallonie et la moins élevée en Flandre. Bruxelles se situe entre les deux.

  • Les droits de donation

Les droits de donation sont identiques entre Bruxelles et la Flandre en ce qui concerne les biens meubles (titres, argent, bijoux, antiquités,…). La Wallonie, elle, taxe un peu moins (5,5% contre 7% à Bruxelles et en Flandre). Quant aux donations immobilières, elles sont strictement identiques entre les trois régions. Au total pourtant, selon les chiffres répertoriés par le MR, les droits de donation ont rapporté davantage en moyenne par adulte à la région bruxelloise (102€/adulte à Bruxelles) qu’aux deux autres régions (51€/adulte en Wallonie, 81€/adulte en Flandre) ce qui implique soit davantage de transactions, soit un plus haut patrimoine. Mais le taux de taxation n’y est pour rien.

  • Le précompte immobilier

Chaque année, les propriétaires, qu’ils habitent ou non le logement, doivent s’acquitter du précompte immobilier. Ce taux est fixé à 1,25% du revenu cadastral indexé à Bruxelles et en Wallonie, hors centimes additionnels communaux. Il est plus élevé en Flandre, fixé à 3,97%.

Le taux de précompte bruxellois n’est donc pas plus élevé qu’ailleurs, mais les revenus cadastraux qui servent de base au précompte sont historiquement plus élevés à Bruxelles note l’Echo. Étant donné que ce revenu cadastral “correspond au revenu annuel moyen net qu’un immeuble procurerait à son propriétaire”, explique le SPF Finances, les prix de l’immobilier bruxellois tirent ce revenu cadastral vers le haut, impactant alors le précompte immobilier, sans que le taux de taxation en lui-même ne soit différent.

Pour l’ensemble de ces quatre taxes immobilières, qui représentent donc 70% des rentrées fiscales des régions, il s’avère donc que les niveaux de taxation sont généralement équivalents entre les régions, mais que la valeur élevée de l’immobilier bruxellois et le taux élevé de multipropriétaires tirent les recettes bruxelloises vers le haut.

Les 30% de recettes fiscales restantes affichent des niveaux de taxation identiques

D’où viennent alors les 30% de taxes restantes, selon la note du MR bruxellois ? D’une part, de la fiscalité automobile et d’autre part de taxes sur les jeux et paris.

  • La fiscalité automobile

La fiscalité automobile pour le particulier est constituée principalement de la taxe annuelle de circulation et de la taxe de mise en circulation (payée une fois, à l’achat du véhicule).

La première est identique en Wallonie et à Bruxelles, elle est plus faible en Flandre. La différence est de 9€/an pour les plus petites voitures, jusqu’à 220€/an pour les plus grosses cylindrées.

La seconde est à nouveau identique en Wallonie et à Bruxelles. En Flandre, les montants mais aussi plus globalement le calcul est très différent et rend la comparaison compliquée.

  • La taxe sur les jeux et paris

Cette taxe affiche, là encore, des taux de taxation strictement identiques entre Bruxelles, la Wallonie et la Flandre. Par ailleurs, “le redevable de la taxe est donc d’abord l’organisateur des jeux et paris agissant pour son propre compte et ensuite l’intermédiaire qui se situe entre l’organisateur et les joueurs ; et qui est chargé – pour compte du premier – de recueillir les mises et enjeux”, indique Bruxelles-Fiscalité. Autrement dit, cette taxe incluse dans ce que paient les adultes bruxellois est plutôt une taxe à payer par les entreprises et professionnels.

Exercice trop périlleux… voire impossible pour être affirmatif

La vérification des taux de taxation entre les régions démontre que si les recettes fiscales bruxelloises par adulte sont plus élevées qu’ailleurs, selon les tableaux constitués par le MR, cela ne s’explique pas par des taux de taxation plus élevés. L’explication est plutôt à chercher du côté de niveaux de patrimoine plus élevés qu’ailleurs en Belgique, dont les prix de l’immobilier sont une donnée. Le nombre de propriétaires, faible à Bruxelles, influence aussi les recettes fiscales.

Ces données indiquent également de plus fortes inégalités de patrimoine en région bruxelloise qu’ailleurs. Ainsi, nous savons que 61% des Bruxellois sont locataires de leur logement et qu’un ménage sur deux à Bruxelles n’a pas de voiture. Une personne dans ces deux cas ne paiera quasiment rien des 1850€ d’impôts moyens annuels calculés pour chaque Bruxellois par le MR. Cela veut évidemment dire que d’autres, propriétaires d’un ou plusieurs logements, d’une ou plusieurs voitures, paieront des montants bien plus élevés que ces 1850€.

Par ailleurs, il manque plusieurs données pour pouvoir être affirmatif sur les différences de taxation entre contribuables bruxellois, flamands et wallons.

D’une part, il faudrait être exhaustif sur toutes les taxes payées par les résidents des trois régions, en comptant aussi les taxes communales, comme les centimes additionnels communaux sur l’impôt sur le revenu ou sur le précompte immobilier. Si le monde politique est conscient qu’une taxe est fédérale, régionale ou communale pour la bonne santé budgétaire de chaque niveau de pouvoir, le contribuable n’y verra pas toujours la différence. Dès lors, si on lui dit qu’il paie 65% de taxes de plus que son voisin flamand ou wallon, il pensera, à tort, que cela inclut toutes ses taxes y compris sur le revenu, sur l’eau ou même la TVA.

D’autre part, qui dit “taxes” dit aussi “redistribution”. L’exercice complet de comparaison aurait nécessité d’analyser les différences en termes de redistribution des richesses, comme les allocations familiales qui sont régionalisées, les primes à la rénovation ou à l’isolation ou les prix des transports en commun, etc.

L’exercice est périlleux, voire quasiment impossible. Il ne permet en tout cas pas d’être aussi affirmatif que ce que l’a été David Leisterh.