C’est un réflexe bien ancré en Belgique : pour percevoir le chômage, il faut être affilié à un syndicat. Pourtant, un organisme public indépendant des syndicats gère 15% des dossiers chômage, il s’agit de la Caisse auxiliaire de paiement des allocations de chômage, appelée “Capac”. Pour certains politiciens, la Capac devrait même gérer 100% des dossiers, en retirant cette fonction aux syndicats qui y gagneraient financièrement. C’est l’avis notamment de Georges-Louis Bouchez qui estime que “chaque demandeur d’emploi rapporte de l’argent” aux syndicats.
Après avoir interrogé les différents acteurs de ce dossier, et consulté plusieurs documents, il apparaît que la gestion des allocations de chômage coûte de l’argent aux syndicats, et l’administration des indemnités de chômage coûterait plus cher à l’Etat si cette fonction était retirée aux syndicats.
Depuis deux décennies, de nombreux politiciens ont remis en question la gestion et le paiement des allocations de chômage par les organismes de paiement (OP) liés aux syndicats. “La remise en question du système n’est pas nouvelle, fait remarquer Jean Faniel, directeur du Crisp, dont la thèse de doctorat était précisément la gestion du paiement du chômage par les organisations syndicales. Des libéraux flamands comme Vincent Van Quickenborne se sont déjà exprimés pour la fin de la gestion du chômage par les syndicats dans les années 2000. La N-VA, l’a aussi déjà exprimé. Le Vlaams Blok (ex-Vlaams Belang) l’avait même inscrit dans un cahier de revendication dans les années ’90. L’objectif annoncé était soit de réduire le pouvoir des syndicats en la matière, soit de simplifier ou moderniser les choses, dans le cas des libéraux flamands.”
Plus récemment, le président du MR Georges-Louis Bouchez a attaqué ce système, mais pour une autre raison. D’après lui, “le chômage est un business rentable pour les syndicats“, car “chaque demandeur d’emploi leur rapporte de l’argent”, indique-t-il encore sur le site du MR. Il nous indique aussi qu’en administrant les allocations de chômage, même si les syndicats ne sont pas les seuls à pouvoir le faire, ces organisations syndicales ont un nombre d’affiliés “artificiellement plus élevé que leur poids réel”. Sa solution serait la suivante : que l’ensemble des allocations de chômage soient gérées par un organisme public, comme la Capac.
Alors, la gestion des allocations de chômage rapporte-t-elle de l’argent aux syndicats ? Ont-ils dès lors intérêt à maintenir les gens au chômage ? Et pour quelle raison les syndicats sont-ils en charge de ce qui s’apparente à un service au public ? Les trois syndicats, l’Onem et le directeur du Crisp nous ont aidés à y voir plus clair.
Historiquement, ce sont les syndicats qui ont inventé l’allocation de chômage en Belgique
“On peut dire que s’il y a un système d’allocations de chômage dans ce pays, c’est grâce aux syndicats”, initie le directeur du Crisp, Jean Faniel qui n’exclut pas pour autant qu’un système comparable n’aurait pas été créé par quelqu’un d’autre à défaut.
“Dans le dernier quart du XIXe siècle, à côté d’une caisse de grève permettant d’indemniser des travailleurs en cas de grève, les syndicats se disent qu’il serait utile d’avoir une caisse pour aider les travailleurs en cas de chômage. Et derrière cette volonté des syndicats, on retrouve deux motivations. La première est la solidarité, celle de vouloir aider ceux qui perdent leur travail, qu’on comprend encore assez bien aujourd’hui. La seconde est celle de lutter contre l’effet négatif d’un chômage important qui tirerait les salaires à la baisse. En effet, si une personne perd son travail et n’a pas de revenu, elle pourrait être amenée à vendre sa force de travail pour moins cher, donc cela ferait baisser l’ensemble des salaires de tous les travailleurs. C’est à partir de là que se créent des “caisses de secours mutuel””.
Et voilà les premières caisses d’allocations de chômage créées autour des années 1860, comme l’indique Jean Faniel dans le volume 2 de sa thèse. Mais à l’époque, l’argent de ces caisses provient directement des cotisations des travailleurs. Il ne s’agit pas encore d’argent public, comme c’est le cas aujourd’hui. D’ailleurs, “très vite, ces caisses sont épuisées et on fait intervenir les pouvoirs publics comme les communes puis les provinces, note Jean Faniel. Le système inventé à Gand par un libéral au début des années 1900 sera le suivant : un travailleur peut toucher un complément de chômage par la commune s’il est affilié à un syndicat au préalable.”
Petit à petit donc, de l’argent public est injecté dans l’allocation de chômage. “Et le lien entre “volonté de se protéger contre le chômage” et “syndicalisation” va s’installer dans l’inconscient collectif, dès ces années 1900″, indique le directeur du Crisp. Le tournant se passe en 1944 avec l’invention de la sécurité sociale. “Dès cet instant, non seulement on rassemble les différentes assurances sociales qui existent en un seul endroit, mais en plus on rend la cotisation à ces assurances obligatoires. On est donc obligé de cotiser pour l’assurance chômage et ces cotisations sont prélevées à la source, sur le salaire, par l’Office national de Sécurité sociale (l’ONSS).”
L’argent qui permet de payer les allocations de chômage ne provient donc plus des affiliations aux syndicats, mais de l’ensemble des cotisations sociales et patronales payées par tous les employeurs et travailleurs. “En revanche, on décide de garder les “tuyaux”, compare Jean Faniel. Même si l’argent ne provient plus de caisses syndicales, tout le monde (syndicat et monde politique) semble avoir considéré que c’était un système qui marchait pas trop mal, et donc on va continuer à leur confier la tâche du paiement de ces allocations.” Et voilà d’où naissent les organismes de paiement (OP) au sein des syndicats. Même si ce n’est plus leur argent, ce sont les syndicats qui paient les indemnités de chômage.
Les syndicats gagnent-ils de l’argent pour gérer les cas de chômage ?
Mais les syndicats ne font pas que payer le chômage, ils sont aussi indemnisés pour le travail que la gestion de ces allocations de chômage engendre : coût de personnel, gestions des locaux, matériel et logiciel informatique qu’il a fallu développer ou payer, etc. Bref, les pouvoirs publics ont décidé via l’arrêté royal du 27 novembre 1991 portant sur la réglementation du chômage de défrayer les syndicats pour ce travail. Une formule de calcul plutôt complexe est mise sur pied et tient compte :
- Du nombre de cas de chômage traités par organisme de paiement ;
- De la variation du nombre de cas par comparaison avec 1991 ;
- De l’évolution du salaire journalier moyen des employés dans des secteurs similaires ;
- Des changements de productivité des employés dans des secteurs analogues ;
- De l’évolution de la complexité de cas.
Au bout du compte, en 2022, les montants octroyés par cas de chômage par l’Onem aux organisations syndicales et à la Capac sont les suivants.
Autrement dit, selon ces chiffres officiels émanant de l’Onem, un cas de chômage coûte moins cher à l’Etat s’il est traité par un syndicat que par l’organisme public, la Capac. La FGTB et la CSC qui traitent plus ou moins le même nombre de cas de chômage ont le même montant. “La CGSLB reçoit une indemnité complémentaire de 2,55 millions d’euros, en compensation de l’effet d’échelle qui lui est préjudiciable”, nous précise l’Onem. En effet, le fait de traiter un grand nombre de dossiers permet de réaliser des économies d’échelle sur des coûts de personnel, d’infrastructures ou de logiciels.
Ces montants permettent-ils aux syndicats de s’enrichir ?
Ces indemnités de fonctionnement sont la cible des opposants au système. Les syndicats tireraient un bénéfice des indemnisations de la part de l’Onem. La question fait râler, voire bondir les 3 directeurs d’organisation syndicale que nous avons contactés, Marie-Hélène Ska (CSC), Thierry Bodson (FGTB) et Olivier Valentin (CGSLB).
“La gestion du paiement du chômage nous coûte de l’argent depuis 2017”, affirme Thierry Bodson. “Oui, ça nous coûte de l’argent plus que ce que l’Etat nous finance”, confirme Marie-Hélène Ska qui donne une explication. “La formule ne tient pas bien compte de la complexité croissante des dossiers, de l’indexation des salaires, de la complexité des programmes informatiques que nous devons développer.”
Thierry Bodson avance même un chiffre sur le déficit que cela crée pour la FGTB. “On a calculé qu’en moyenne, un dossier de chômage nous coûtait un peu plus de 28€, or on en touche 25€ de l’ONEM, donc on perd en moyenne 3 à 4€ par cas que l’on gère.” Ce chiffre est invérifiable par nos soins, mais il n’étonne pas le directeur général finances et budget de l’Onem. Et Thierry Bodson poursuit son calcul. “Etant donné qu’on administre environ trois millions de dossiers de chômage, on perd environ dix millions d’euros par an, et c’est la caisse privée du syndicat qui éponge ce déficit.”
Nous ne sommes pas à l’équilibre.
Olivier Valentin, secrétaire national de la CGSLB.
Précisons ici qu’il faut différencier un “dossier de chômage” d’un “chômeur”, car un chômeur peut être amené à introduire plusieurs dossiers par an en fonction des multiples reprises de travail qu’il peut connaître. Ainsi, il y a actuellement en Belgique un peu plus de 300.000 chômeurs complets indemnisés, 400.000 si on compte les autres cas que les chômeurs complets indemnisés, mais le nombre de dossiers atteint lui 7,25 millions de cas en 2022.
“Les chiffres donnés par Thierry Bodson sont similaires chez nous, confirme Olivier Valentin, secrétaire national de la CGSLB, même si nous avons un petit bonus lié au nombre de cas plus faible que nous traitons. Nous ne sommes pas à l’équilibre.”
La Capac n’a pas souhaité répondre elle-même à notre demande d’interview et nous a redirigés vers l’Onem, l’Office national de l’Emploi qui dirige l’indemnisation du chômage en Belgique.
“En 2020-2021, grâce au Covid, la clé de calcul de l’indemnisation de la gestion du chômage a été favorable aux organisations syndicales et elles percevaient un peu plus que ce que leur coûtait chaque cas, témoigne Hugo Boonaert, le directeur général des services finances et budget de l’Onem. Mais ce bénéfice pour les syndicats n’existait pas avant le Covid et n’existe plus maintenant. Et depuis l’utilisation de cette formule de calcul dans les années 90, il faut dire que le résultat cumulé est négatif pour les organisations syndicales.”
Autrement dit, l’Onem confirme : la gestion des allocations de chômage coûte de l’argent aux organisations syndicales.
La période particulière du Covid
La période du Covid a effectivement bousculé les choses. Si on jette un œil au tableau ci-dessus qui compare le prix payé par l’Onem à chaque organisme de paiement, on remarque qu’en 2020, le Capac avait un coût de fonctionnement plus bas que celui des syndicats. Ce qui conforte Georges-Louis Bouchez dans son raisonnement. “Pendant le Covid, le coût de fonctionnement de la Capac est passé sous celui des syndicats car beaucoup de monde a adhéré à la Capac pour le chômage temporaire. Et pour quelle raison ce coût était-il plus faible ? Pour des raisons d’économies d’échelle. Leur coût de fonctionnement par allocation a baissé. Et donc, je pense que s’il y avait un seul organisme public, on ferait des économies d’échelle et on baisserait le coût de fonctionnement à l’unité.”
Renseignements pris, il s’avère qu’effectivement le nombre de demandeurs d’emploi s’étant tournés vers la Capac a explosé pendant le Covid. “60 fois plus de dossiers qu’à l’accoutumée”, écrivait-on à l’époque sur notre site internet. Ce nombre de dossiers a mécaniquement fait baisser le coût par dossier. Mais le même article parle surtout d’une “Capac débordée face à la crise du coronavirus”. La ministre de tutelle expliquait aussi que “150 fonctionnaires sont venus en renfort”. Ces fonctionnaires d’autres SPF n’ont pas été ajoutés aux budgets de fonctionnement de la Capac. Bref, l’augmentation éclair du nombre de dossiers n’a pas été suivie des investissements nécessaires, ce qui ne donne pas une vue fidèle de ce que coûterait le transfert de l’ensemble des dossiers chômage à la Capac.
Une différence de 21€ entre les syndicats et l’organisme public, 84% de surcoûts
La différence d’indemnisation de la gestion des cas de chômage entre la FGTB et la CSC d’un côté (25€ par cas) et la Capac de l’autre (46€) est donc de 21€. Chaque géré par la Capac représente un surplus de 84% pour l’Etat. Et le coût réel pour les syndicats tournerait, d’après la FGTB autour de 28€ par cas, toujours bien en dessous des montants obtenus par la Capac.
Pour Thierry Bodson, président de la FGTB, le différentiel s’explique par “le fait de gérer autant de cas qui permet de faire des économies d’échelle, sur le personnel, sur les bâtiments, sur les logiciels informatiques.” Mais un élément plus concret est également avancé par nos interlocuteurs.
“Si les syndicats font une erreur, attribuent un paiement à un demandeur d’emploi alors qu’il n’y avait pas droit, c’est le syndicat qui doit assumer et payer si nous ne parvenons pas à récupérer le montant auprès de l’allocataire. Mais la Capac, étant donné que c’est un organisme public, elle est structurellement à l’équilibre. Et donc si la Capac commet une erreur, c’est impossible de faire éponger cette perte par quelqu’un d’autre que l’Etat”, analyse Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC. La prise en compte par l’Etat des erreurs de la Capac fait donc mécaniquement augmenter le coût par cas de chômage.
Par ailleurs, un autre élément montre que l’économie d’échelle n’est pas le seul critère qui permet de faire baisser le coût par dossier pour l’Etat, c’est le tableau du nombre de dossiers gérés en 2022 fourni par l’Onem. On y voit que la Capac gère deux fois plus de dossiers que la CGSLB, et pourtant, son coût par dossier reste supérieur.
“La formule de calcul du coût par dossier n’est pas la même pour les organisations privées (les syndicats) que par les pouvoirs publics (la Capac), confirme Hugo Boonaert de l’Onem. Pour les syndicats, on fait référence à la formule de calcul de 1991. Mais pour la Capac, ils ont un budget à disposition, décidé par le gouvernement, indexé chaque année, comme n’importe quel organisme public. Donc leur financement n’est pas directement dépendant du nombre de cas traités ou de la complexité de ces cas.”
Il est parfois difficile d’établir précisément la part de travail qui doit être attribuée à l’Onem ou au syndicat.
Hugo Boonaert, le directeur général des services finances et budget de l’Onem
Et Hugo Boonaert pointe un autre point défavorable aux syndicats. “Dans la loi de 1991, il est écrit que l’Onem indemnise les syndicats pour un paiement accepté par l’Onem. Cela veut dire qu’effectivement, on n’indemnise qu’un paiement valide, pas une erreur, mais en plus on n’indemnise pas le travail qui pourrait être fait par un syndicat autour d’un dossier complexe et qui n’aboutirait pas à un droit au chômage.” Ce travail syndical n’est donc pas rémunéré par l’Onem.
Mais le directeur finances et budget de l’Onem apporte une nuance. “Il y a tout de même une subtilité qui est difficile à objectiver. L’employé du syndicat a une double mission : à la fois l’organisation du dossier du demandeur d’emploi et son paiement, qui est une mission payée par l’Onem et à la fois une mission d’information et de défense de l’affilié qui est une mission syndicale payée par le syndicat. Quand on contrôle la comptabilité des syndicats pour tenter de savoir si leur indemnisation est suffisante, il est parfois difficile d’établir précisément la part de travail qui doit être attribuée à l’Onem ou au syndicat. Les organisations syndicales nous envoient un emploi du temps avec une proportion du temps de travail attribué à l’Onem mais chacun peut comprendre que c’est difficile à vérifier, même si on demande des explications à chaque changement dans ces emplois du temps.”
Un contrôle particulièrement strict et trois comptabilités distinctes
Sur le sujet du contrôle de la gestion de l’argent octroyé par l’Onem aux syndicats, nos interlocuteurs sont à nouveau unanimes. “Les deux comptabilités, celle du syndicat et celle liée à l’organisme de paiement, sont étanches, affirme Thierry Bodson. Nous sommes contrôlés, et c’est très bien ainsi, plusieurs fois par l’Onem, trois à quatre fois par an. Et chaque paiement de chômage est vérifié puisqu’il conditionne l’indemnisation que nous recevons.”
“La loi est très claire depuis plus de 20 ans (depuis 1995, ndlr), les comptes sont strictement séparés et tout le monde le sait, y compris les cabinets politiques et le Parlement puisque ce sont eux qui ont voté la loi”, pointe Marie-Hélène Ska (CSC).
“Il y a effectivement deux comptabilités et même trois comptabilités, précise Hugo Boonaert de l’Onem. Il y a d’abord la comptabilité privée du syndicat à laquelle on n’a évidemment pas accès. Il y a ensuite la comptabilité liée directement au paiement des allocations de chômage, constituée de l’avance faite par l’Onem aux syndicats et des paiements des allocations vers les demandeurs d’emploi. Enfin, la troisième comptabilité correspond à la gestion des cas de chômage, c’est-à-dire les indemnités versées aux syndicats pour le travail effectué et les frais engendrés par cette activité pour le compte du syndicat. Et ce sont ces deux dernières comptabilités que nous pouvons vérifier plusieurs fois par an de manière très précise. Après un contrôle, on rédige un rapport à notre administration centrale et à notre comité de gestion.”
Les syndicats gardent-ils cette fonction pour grossir leur nombre d’affiliés ?
Enfin, c’est peut-être l’argument le plus politique de ce débat : les syndicats ont-ils intérêt à garder leurs affiliés au chômage ? C’est en tout cas ce qu’affirme Georges-Louis Bouchez : “je veux que les syndicats représentent leurs poids réels. Aujourd’hui, ils ont un nombre d’affiliés artificiellement gonflé par des gens qui s’affilient pour bénéficier du chômage.” Selon le libéral, les syndicats auraient donc moins d’affiliés, s’ils ne s’occupaient pas du paiement des allocations de chômage.
L’argument n’est pas farfelu, pour Jean Faniel, le directeur du Crisp, qui y songe aussi. “On peut évidemment supposer qu’ils craignent de perdre des affiliés si cette tâche ne leur était plus dévolue.” “Probablement qu’on aurait moins d’affiliés, reconnaît Thierry Bodson à la FGTB. Mais si je fais le calcul, nous traitons 50% des 400.000 chômeurs, donc 200.000 sont affiliés chez nous. Sur 1,5 million d’affiliés, cela représente 13%. On ne peut pas dire que le nombre d’affiliés s’effondrerait dans le cas hypothétique où tous les chômeurs quitteraient le syndicat si nous ne nous occupions plus de payer le chômage.”
Même son de cloche du côté de la CGLSB qui affirme que les demandeurs d’emploi ne représentent que 10% à 15% de leurs affiliés. Ces chiffres sont invérifiables puisque les organisations syndicales sont les seules à les détenir.
Les baisses du chômage font perdre de l’argent aux syndicats
En plus du poids politique que représente le nombre d’affiliés, Georges-Louis Bouchez affirme également que les syndicats auraient un intérêt financier à garder les gens au chômage. Il prend en exemple un fait d’actualité du mois de janvier dernier, lorsque la FGTB a enclenché une procédure de licenciement collectif envers son propre personnel, à hauteur de 34 ETP (équivalents temps plein). Le syndicat expliquait avoir tablé sur 35.000 à 40.000 chômeurs au lieu des 10.000 chômeurs finalement inscrits, et donc que le manque de chômeurs lui impose de réduire ses activités. Pour Georges-Louis Bouchez, c’est la preuve que le chômage est “un business pour les syndicats”.
La situation à la FGTB Huy-Waremme a effectivement surpris, mais le raisonnement va un peu vite. Car dans ce cas-ci, il faudrait en effet distinguer “chiffre d’affaires” et “bénéfice” comme le ferait une entreprise. Ainsi, avoir beaucoup de chômeurs affiliés à un syndicat rapporte un important chiffre d’affaires de 25€ par cas, on l’a vu. En revanche, si ce cas de chômage coûte 28€ à l’organisation syndicale, cela ne lui rapporte aucun bénéfice, c’est même plutôt un déficit de 3€.
Dans le cas de la section Huy-Waremme de la FGTB, le fait d’avoir trop de personnel pour un quart de l’activité prévue l’a obligée à engager une procédure de licenciement collectif. Garder le personnel aurait généré une plus grande perte que celle de gérer les cas de chômage. Mais cette gestion ne devient pas bénéficiaire pour autant.
Cela dit, la baisse du nombre de chômeurs va effectivement poser des problèmes aux syndicats, nous explique Hugo Boonaert de l’Onem. Pour cela, il faut jeter un œil sur le temps long au nombre de chômeurs en Belgique.
Le nombre de chômeurs est en baisse continue depuis 2007, où l’on comptait près de 480.000 chômeurs demandeurs d’emploi et 245.000 chômeurs non-demandeurs d’emploi en Belgique. Cette deuxième catégorie est quasiment exclusivement composée de prépensionnés dont le nombre se réduit avec le renforcement des conditions d’accès à la prépension au début des années 2010.
De 480.000 chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emplois en 2006, le chiffre a baissé à 395.000 en 2016 et 303.000 en janvier 2023, selon les derniers chiffres publiés par l’Onem. Autrement dit, le chômage est en baisse structurelle en Belgique. Et cette tendance risque de clairement impacter l’indemnisation des syndicats dans la gestion des allocations de chômage.
Les pertes liées à l’organisme de paiement pourraient s’accentuer
Hugo Boonaert, le directeur général des services finances et budget de l’Onem
“Leurs frais d’administration vont clairement diminuer dans les années qui viennent si la tendance se confirme, analyse le directeur financier et budget de l’Onem. Parce que dans leurs frais d’administration, il y a une composante variable, un montant par nombre de cas traités et une composante fixe qui baisse de tranche en tranche lorsqu’on réduit de 50.000 le nombre de chômeurs en Belgique par rapport à 1991. Et donc, si on passe d’une tranche à l’autre, les frais d’administration baisseront et il est très probable que l’écart entre ce que les syndicats touchent pour gérer les dossiers et le coût réel qui est le leur augmente encore. Et la tendance selon laquelle le syndicat éponge les pertes liées à l’organisme de paiement pourrait s’accentuer ou alors ils devront se séparer de personnel.” Un scenario tel que celui de la FGTB Huy-Waremme pourrait donc se reproduire avec la baisse du nombre de chômeurs.
Cela dit, la FGTB conteste cette vision selon laquelle les syndicats auraient intérêt à garder les affiliés au chômage, d’abord sur le plan philosophique, ensuite sur le plan financier. “On l’a vu, notre syndicat perd 3 à 4€ sur chaque cas de chômage, explique Thierry Bodson. Mais en plus, parce qu’un demandeur d’emploi affilié à la FGTB rapporte moins à la caisse privée du syndicat qu’un travailleur. Un demandeur d’emploi affilié chez nous paie 11€ par mois pour être membre de la FGTB alors qu’un travailleur cotise 16 à 17€/mois au syndicat. Donc il n’y a pas photo sur l’avantage financier que nous avons à pousser les gens au travail.”
Et si tout était géré par un organisme public ?
“Si l’activité est déficitaire, pourquoi continuent-ils à l’exercer ?”, questionne Georges-Louis Bouchez à l’adresse des organisations syndicales.
“Je pense qu’ils gardent la gestion du chômage pour des raisons historiques, analyse Jean Faniel. Les syndicats ont toujours assumé cette tâche, ils y tiennent. Ensuite, parce que les syndicats pourraient craindre que, si on leur retire la gestion de l’assurance chômage, ce serait pour la supprimer complètement, comme le demandent parfois les partis flamands, et non pour l’attribuer à un autre organisme. Pour les syndicats, il y a toujours l’enjeu, comme dans les années 1900, du maintien du niveau de rémunération moyen qui reste à un certain niveau grâce à l’existence de l’assurance chômage, donc ils veulent la préserver.”
Les trois organisations ont à peu près le même discours sur cette question. “On le fait pour nos affiliés”, affirment-ils tous les trois. “La plupart des demandeurs d’emploi sont au chômage entre deux emplois et ils étaient affiliés chez nous avant d’être au chômage, relève Olivier Valentin de la CGSLB. Et puis un demandeur d’emploi doit aussi parfois être formé et poussé vers un emploi et cela fait partie de nos missions. Enfin, il arrive qu’un travailleur qui perd son emploi n’ait pas tous les documents en ordre de son précédent employeur et donc on l’accompagne dans ces démarches. Donc il est logique qu’on intervienne pendant cette période de chômage.”
Pour les organisations syndicales, s’occuper du chômage permet, comme le suggère Jean Faniel, de continuer à défendre le système d’allocation en cas de chômage. “S’occuper du chômage nous permet de garder une légitimité sur ces questions-là lorsqu’on est amené à se positionner sur l’avenir de la sécurité sociale, pointe Thierry Bodson. Le fait de traiter ces cas, de rencontrer les chômeurs nous donne un “know-how”.”
Nous devrions plutôt fonctionner sur base du coût-vérité
Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC
Les organisations syndicales sont en tout cas contre la proposition de transférer la gestion des allocations de chômage à un institut public. Et si tel était le cas, ils ne croient pas à des économies possibles, loin de là. Le calcul d’un tel scénario est probablement impossible, mais Thierry Bodson le tente. “Sur les 7,25 millions de cas de chômage, 86% sont actuellement pris en charge par les syndicats, soit 6,2 millions de cas. Chaque cas coûte 21€ de plus, cela veut dire 130 millions d’euros à charge de l’Etat en plus chaque année, auxquels il faut ajouter les premières années de nombreux investissements en termes d’infrastructures, de bâtiments.”
Ce calcul rapide est impossible à vérifier. Mais il ne tient pas compte du coût des dossiers qui n’aboutissent pas à un paiement et des paiements erronés qui sont pour l’instant deux coûts pris en charge par les organisations syndicales.
Non seulement les syndicats souhaitent garder cette gestion, mais en plus ils souhaiteraient voir cette activité financée à son juste coût. “Nous pensons que nous devrions plutôt fonctionner sur base du coût-vérité, comme cela se fait pour les assurances maladies ou les allocations familiales, plutôt que d’avoir une vision idéologique des choses. Une formule de calcul mise au point dans les années 90 ne correspond plus aujourd’hui”, dénonce Marie-Hélène Ska.
La tendance politique n’est pourtant pas au refinancement des organismes de paiement par les pouvoirs publics. En 2012, le gouvernement Di Rupo a “imposé une économie de 5,5 millions d’euros aux organismes de paiement privés à partir de l’exercice 2013”, nous indiquait l’Onem.
Plus philosophiquement et politiquement, Jean Faniel pointe en réalité une volonté chez les libéraux, ou avant eux, la N-VA et le Vlaams Belang, de réduire globalement l’influence des syndicats dans le rapport de force politique.